Questions de société
Quelle Europe pour l'Université ? Dix questions de SLU aux candidats aux élections européennes (28/05/09)

Quelle Europe pour l'Université ? Dix questions de SLU aux candidats aux élections européennes (28/05/09)

Publié le par Bérenger Boulay

Quelle Europe pour l'Université ? Dix questions de Sauvons l'Université aux candidats aux élections européennes (28 mai 2009)

http://www.sauvonsluniversite.com/spip.php?article2656

Appelaux candidats, partis politiques, collectifs et citoyens pour que lacampagne des élections européennes pose enfin la question del'enseignement supérieur et de la recherche. Loin des bonnes intentionset lieux communs habituels, dix questions posées aux candidats parSauvons l'université.

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Aujourd'hui, nous, universitaires français, excédés parplusieurs mois de manipulations et par le processus de destruction dessavoirs et de nos métiers, le mépris souverain de nos gouvernants pourla formation de citoyens éclairés et pensants, nous demandons auxcandidats aux élections du Parlement européen du 7 juin de prendreclairement position contre le dévoiement des missions de l'université,dissimulé sous une novlangue managériale incompatible avec un véritable enseignement et une véritable recherche.

Dans le processus de Bologne, l'Europe s'est engagée à développer ce qu'elle a appelé « la société de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde », en réalité la seule « économie de la connaissance ».Pour cela, l'Europe a choisi d'appliquer les techniques managériales degestion et d'évaluation aux secteurs de l'enseignement supérieur et dela recherche, la « méthode ouverte de coordination »(MOC). Cette méthode confère un rôle primordial aux conseilsintergouvernementaux, à la Commission européenne dans la définition desorientations et les processus de décision, mais en exclut le Parlementet la Cour de Justice. Est-il acceptable que de telles questionséchappent à la représentation populaire européenne ?

L'application des techniques managériales à la gestionde toutes les structures d'enseignement et de recherche conduit ainsi àl'instrumentalisation de la notion de « connaissance » dans uneperspective purement économiciste. Sous couvert d'harmonisation, elletend à l'uniformisation des structures universitaires pour les mettreen concurrence, au détriment des formations. Fondée sur le benchmarking(la production infinie d'étalons jamais atteints de compétitivité), lapolitique mise en oeuvre asservit les gouvernements. Elle conduit à desanalyses infondées et promeut des processus d'évaluation insensés.

La démocratisation de l'accès à l'enseignementsupérieur, l'idée même que nous nous faisons de la recherche sontaujourd'hui en conflit avec la construction d'un « marché européen de la recherche et de l'innovation ».Nous ne pouvons laisser à l'idéologie du marché - qui détermine larefonte de l'enseignement supérieur et de la recherche au niveaueuropéen - le soin de définir ce que sont l'accès démocratique ausavoir, la transmission des connaissances et la recherche véritable.Nous le pouvons d'autant moins que cette idéologie a déjà montré seseffets destructeurs sur l'organisation, les conditions et la qualité dutravail ainsi que la créativité.

La principale caractéristique des « réformes » adoptées, en France comme ailleurs, dans le cadre de ce « processus de Bologne »est de se faire sans, voire contre, la communauté universitaire. À cetégard, la situation française est une caricature d'imposition par lehaut d'une transformation radicale jamais formulée pour ce qu'elle est,alors même que la méthode de coordination est dite « non contraignante ».

Depuis le vote de la loi LRU trois mois tout justeaprès l'élection de Nicolas Sarkozy, l'université et l'enseignementvoient grandir une contestation profonde des principes sur lesquels sefondent les « réformes » actuelles. Ces dernières,inaptes à résoudre les difficultés propres du système français,détruisent ses fondements : publique, laïque, démocratique,l'université française s'appuie sur une articulation forte entreenseignement et recherche, elle préserve un accès démocratique àl'enseignement supérieur à côté d'autres structures fortementélitistes. Nous rappelons l'engagement des pays membres à respecter lesspécificités nationales dans le cadre du processus de Bologne : danscette perspective, l'Europe ne doit pas servir à détruire lescaractéristiques qui ont fait la force de l'université française.

Pour que les universitaires ne sedétournent pas de la construction européenne, il faut que la politiqueeuropéenne en matière d'enseignement et de recherche soit radicalementtransformée. Il faut que la question même de l'enseignementsupérieur, d'un accès démocratique de tous au savoir, revienneexplicitement dans les objectifs politiques européens. En Europe commeen France, il est nécessaire de mettre fin aux manipulationssémantiques et aux faux-semblants. Plusieurs contre-vérités constituenten effet le socle de la politique européenne actuelle en matièred'enseignement supérieur et de recherche.

1. La concurrence généralisée, meilleure que l'émulation académique ?

Il n'est pas vrai que lamise en concurrence des individus (étudiants, chercheurs, enseignants,personnels administratifs et techniques) et des établissements(universités, organismes publics de recherche, instituts) favorisel'augmentation des connaissances et crée le cercle vertueux d'unpartage enrichissant chacun des partenaires.

Nous affirmons que larecherche est une activité collective qui suppose la collégialité etl'émulation, le partage des savoirs et la coopération internationale.L'émulation est un des moteurs de la recherche et de la création : ellepermet un véritable travail en équipe et un partage fécond desconnaissances. Elle est incompatible avec la concurrence, guerre detous contre tous et entrave à une vraie circulation des savoirs.

2. La précarisation, un mode de gestion efficace de la recherche ?

Il n'est pas vrai que lescontrats précaires, opposés au statut stable de fonctionnaire, soientun levier d'amélioration de la recherche et de l'enseignement ; iln'est pas vrai que la précarité développe la « compétitivité » desindividus dans le champ scientifique. Elle dévalue la diversité descompétences essentielles à la recherche dans tous ses aspects et à tousses niveaux. Elle engendre soumission et conformisme scientifiques.Efficace ? Elle a pour effet d'atomiser le monde de l'enseignement etde la recherche, de le rendre dépendant du bailleur de fonds, dudonneur d'ordre et/ou de la tutelle bureaucratique.

Nous affirmons que larecherche libre nécessite un emploi stable, seul garant de l'autonomiescientifique vis-à-vis de toutes les tutelles, qu'elles soientacadémiques, politiques, économiques ou bureaucratiques.Nous affirmonsque l'Europe doit encourager les États à favoriser la recherche etl'enseignement supérieur par des plans nationaux pluriannuels de postesstatutaires.

3. Évaluer pour sanctionner ?

Il n'est pas vrai quel'évaluation soit une opération mathématique relevant de l'objectivitéscientifique et de la neutralité technique. Les critères qu'elleutilise ne sont jamais universels. En une vingtaine d'années, elle acessé d'être conçue comme nécessairement collégiale, prospective,comparative pour devenir un outil de gestion budgétaire ainsi qu'uninstrument anonyme de sanction financière et morale des individus etdes structures.

Nous affirmons quel'évaluation peut être le moyen de construire sa place dans le champscientifique, à condition que cette évaluation soit plurielle,contradictoire et qualitative. Elle n'a de sens que si elle permet desoutenir les efforts de recherche et d'enseignement, ainsi quel'émulation, non d'instaurer et de faire fonctionner la concurrence enencourageant notamment une vaine course à la publication.

4. Employabilité ou formation ?

Il n'est pas vrai que laprofessionnalisation des études soit l'instrument d'une insertionprofessionnelle durable et de qualité, pas plus que l'allongement desétudes n'est automatiquement synonyme d'amélioration de la formation.Une professionnalisation étroite risque au contraire de limiter lespossibilités d'adaptation de chacun aux transformations futures.

Nous affirmons que laquestion de la professionnalisation est posée aux universités parl'existence d'un chômage structurel et la massification des étudiantsdepuis quarante ans. Nous affirmons qu'elle n'est actuellement penséequ'en termes d'employabilité à court terme au détriment d'une réflexionsur ce qu'est une formation véritable.

5. Le Classement de Shanghai, veau d'or de l'Europe de la connaissance ?

Il n'est pas vrai que leclassement de Shanghai soit un indice exact de la valeur desenseignements et de la recherche proposés dans les universités. Leregroupement et l'augmentation de la taille de certaines universitésfrançaises les feront mécaniquement remonter dans ce classement, maisils ne signifieront pas pour autant amélioration de la formation et dela recherche dans ces établissements.

Nous rappelons en revanche quesi les communicants voulaient utiliser honnêtement ce classement pourévaluer la « performance » des universités et de la recherchefrançaises, ils devraient rappeler que la France se place au 6e rangmondial, alors que la part du PIB consacrée à l'enseignement supérieuret à la recherche la classe 18e des pays de l'OCDE.

Nous affirmons que seuls les ignorants croient encore àla pertinence du classement de Shanghai, inapte à rendre compte de lamanière dont l'université accomplit ses missions.

6. L'autonomie, nouveau paradis académique ?

Il n'est pas vrai que l'« autonomie »des universités octroyée par la loi LRU leur donne une indépendancescientifique, pédagogique et financière.Elle ne leur attribue qu'uneresponsabilité de gestion, sous contrôle renforcé de leur ministère detutelle. Elle leur confère la tâche de gérer l'ensemble du budget del'université. Elle fait de la masse salariale la principale variabled'ajustement de cette gestion : c'est donc sur le potentiel humain quese feront nécessairement les économies budgétaires des universitéspassées aux « compétences élargies ».

Nous affirmons que laseule autonomie digne de ce nom est l'autonomie scientifique. Celle-cirepose pour les enseignants-chercheurs et les chercheurs sur lastabilité d'un statut national, pour les établissements sur lerenforcement des compétences des organes universitaires scientifiques,et leur capacité à orienter les choix de l'université. Rappelons qu'àl'inverse, la loi LRU prive les conseils scientifiques de toutevéritable capacité d'intervention dans la politique de l'université.

7. La « gouvernance » et le « pilotage », nouveaux arts de gouverner ?

Il n'est pas vrai que le« pilotage » nouveau de la recherche et de l'enseignement supérieurfavorise la rationalisation, l'efficacité et la transparence desdirections que la notion de gouvernance prétend promouvoir au niveaunational et au niveau européen. Au contraire, il promeut un modèleautoritaire de la direction des structures de recherche et desuniversités. La notion de « gouvernance » procède d'un discours managérial de la direction qui n'a rien à voir avec l'art de gouverner.

Nous affirmons que lacollégialité est un des instruments essentiels de l'organisation et dela politique des universités ; elle devrait l'être pour les organismes.Nous affirmons que seule la représentation, fondée sur le vote,garantit la légitimité des personnels de direction, à quelque niveauque ce soit. La nomination ne garantit que l'autoritarisme de ceux quisont en position décisionnaire, elle biaise et fragilise leurs choixadministratifs et scientifiques, elle entretient le clientélisme etfavorise le conformisme de la recherche et des carrières.

8. Le financement sur projet, pierre philosophale de la recherche moderne ?

Il n'est pas vrai que lefinancement sur projet et par objectif garantisse la qualité de lascience.Le financement sur projet accentue la mainmise du pouvoiréconomique et politique sur la recherche ; il favorise les grosseséquipes, le gonflement artificiel des budgets et le développementtechnologique, sans permettre pour autant la critique des connaissancesscientifiques.

Nous affirmons que touterecherche de qualité nécessite des structures stables, dotées de fondspérennes et suffisants. Seule la stabilité permet de « faire de la recherche »,impliquant prise de risque, adaptabilité aux résultats, persévérance,bifurcations et découvertes véritablement innovantes, non inscritesdans les projets préalables.

9. Simplification ou multiplication des structures bureaucratiques ?

Il n'est pas vrai quenous allions vers une simplification des modes du fonctionnement de larecherche, créant des économies au niveau national comme au niveaueuropéen.La multiplicité croissante des structures de financementactuel de la recherche, notamment au travers d'innombrables agences,produit opacité, stérilité et bureaucratie. Elle implique une dépensede temps, d'énergie et de moyens considérable : un véritable gaspillagescientifique, humain et financier.

Nous affirmons que lapluralité des structures de recherche et d'enseignement constitue unegarantie de leur indépendance politique et de leur qualité. Cettepluralité doit être protégée par les États et encouragée par l'Europe.Nous affirmons qu'elle est la véritable justification, le véritableintérêt de la circulation des étudiants, des enseignants et deschercheurs entre les pays de l'Union.

10. L'endettement à vie, un avenir radieux pour les étudiants ?

Il n'est pas vrai que lerecours massif au prêt étudiant permette d'augmenter les dotations desuniversités, ni qu'il soit socialement équitable. Les exemplesanglo-saxons montrent qu'il accroît la sélection sociale et n'estqu'une façon pour l'État de faire payer aux étudiants et à leursfamilles son propre désengagement.

Nous affirmons quel'université est un service public et qu'à ce titre, l'État doit engarantir le financement et l'accès pour le plus grand nombre.

« Il n'y a pas d'alternative », vraiment ?

Ces questions sont fondamentales. Nous sommes face à unchoix de société. Il n'est pas vrai que la politique européenne derecherche et d'enseignement soit un processus irréversible, ni que ladestruction des services publics de l'enseignement supérieur et de larecherche soient obligatoires et inéluctables.

L'université et la recherche deviendront-elles lesinstruments normalisés, atomisés, précarisés, garrottés de l'économieglobale ? La volonté politique existe-t-elle de confirmer l'universitéet la recherche dans leur fonction de formation des hommes et dessavoirs, dans leur mission de transmission et de création ?

Les représentants élus des pays de l'Union ont uneresponsabilité devant l'histoire de ce continent. Nous refusons queBologne, nom d'une des plus anciennes et prestigieuses universitésd'Europe, soit à l'avenir associé à une entreprise de destruction de laconnaissance. La stratégie de Lisbonne doit être renégociée en 2010 :l'occasion à ne pas manquer d'en modifier radicalement les orientations.

Sauvons l'Université !
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