Questions de société

"Quand les facs coupent le cordon" (liberation.fr, 2/1/9).

Publié le par Marc Escola

Quand les facs coupent le cordon

La loi sur l'autonomie des universités entre en application dans vingt établissements. A Cergy-Pontoise, on se fait pragmatique.

par VÉRONIQUE SOULÉ





«Je ne veux pas dramatiser. Mais on pensait que les universités qui deviennent autonomes comme nous seraient mieux dotées financièrement et qu'elles auraient un petit plus. On va tout de même au feu.» Professeure d'espagnol à l'origine, Françoise Moulin Civil préside l'université de Cergy-Pontoise, dans le Val-d'Oise, l'une des vingt premières à s'émanciper de la tutelle de l'Etat au 1er janvier 2009 (lire encadré ci-contre). Comme tous ses pairs, elle apprécie de devenir une présidente qui aura désormais les moyens de diriger. Mais elle s'inquiète aussi de se lancer dans l'autonomie avec cinq emplois supprimés.

Sur le site des Chênes où se trouve la tour de la présidence, à cent mètres du RER, on observe aucun signe de changement. Les étudiants se pressent sur l'esplanade en béton battue par les vents. Dans le vaste hall, quelques-uns sont attablés au café devant un sandwich. Le site ne possède pas de resto U. Il faut marcher quinze minutes pour rejoindre le plus proche. Et nombre d'étudiants s'en plaignent. Mais une université autonome ne devient pas plus riche pour autant. Et ce n'est pas cette année qu'on inaugurera un resto U aux Chênes.

«Nous avons appris notre dotation financière le 15 décembre à 22 h 30 par un mail du ministère de l'Enseignement supérieur. Et notre conseil d'administration, qui devait le voter, avait lieu le lendemain, raconte Françoise Moulin Civil, face à ce volontarisme politique, on a dû faire en deux mois des choses qui prennent d'habitude six mois.»

«Tout le week-end». Les négociations financières étaient particulièrement cruciales cette année. Conformément à la LRU (loi sur la responsabilité des universités), les universités qui deviennent autonomes vont désormais avoir leur propre budget et ainsi gérer elles-mêmes leurs masses salariales, leurs ressources humaines, mener une véritable politique de l'emploi, etc. Auparavant elles ne disposaient que de 25 % de leurs fonds. Les personnels - enseignants, administratifs, etc - étaient directement payés par le ministère. «Nous avons reçu la première proposition financière du ministère un vendredi, se souvient le secrétaire général Bernard Pascal, il fallait rendre nos commentaires le mercredi suivant. Nous avons planché à dix tout le week-end.»

A Cergy-Pontoise, il faudra désormais payer les 1 600 personnes titulaires. Une innovation complète. L'université a acheté un logiciel sur lequel des agents administratifs se sont entraînés à remplir des quittances de salaires. Elle a par ailleurs conclu un contrat avec la trésorerie générale des Yvelines qui fera les virements. «Elle prend 1,52 euro par fiche de paie contre 5 à 7 euros dans le privé,» se félicite Bernard Pascal. La prochaine étape sera la création d'un service juridique. «Faute de moyens, on n'a pas pu le faire encore, précise la présidente Françoise Moulin Civil, mais c'est dans nos priorités.»

Une fondation. Pour ses nouvelles missions «managériales», l'université de Cergy a créé un poste d'ingénieur d'études pour gérer la masse salariale. Elle a aussi embauché une personne chargée de lever des fonds. Elle pense aussi créer bientôt une fondation pour récolter des dons. «Nous avons des atouts et des secteurs qui peuvent attirer les entreprises, notamment dans les domaines des transports, de l'environnement, de l'électronique, de la biologie avec ses applications cosmétiques, souligne la présidente. Nous savons que le sujet de "la tectonique des bassins" intéresse Total qui pourrait financer une chaire. Depuis longtemps, nous travaillons en outre avec des entreprises du Val-d'Oise car nous avons de nombreuses formations professionalisantes.»

L'argent reste le nerf de la guerre. A Cergy, la loi LRU est passée sans trop de mal. Le nouveau conseil d'administration y est plutôt favorable, en tout cas pragmatique. Malgré une certaine déception, le 16 décembre il a voté le budget. Mais deux motions de défiance, l'une émanant de l'Unef, l'autre des personnels administratifs, ont été votées pour dénoncer l'insuffisance des moyens.

Comme les 19 autres universités, Cergy a reçu 250 000 euros pour le passage à l'autonomie : 50 000 pour des primes au personnel qui a travaillé plus, le reste pour l'achat de logiciels, le réaménagement de locaux et la création d'un bureau d'insertion professionnelle pour les étudiants. Mais «on nous a transféré la masse salariale à l'identique, sans plus». Surtout cinq emplois ont été supprimés en 2009 - deux départs à la retraite non renouvelés et deux redéploiements (des postes attribués à une université plus mal lotie).

Du coup la direction se veut prudente. Elle a toujours le projet d'embaucher une dizaine de personnes, surtout dans le nouveau service des ressources humaines. Et elle prépare un plan d'intéressement pour le personnel. Mais on reste modeste. Après beaucoup de bruit, la LRU se met ainsi en place à petits pas. «En plus la crise plombe le moral des troupes, reconnaît un membre de la présidence, on craint d'avoir du mal à démarcher les entreprises. En plus le mécénat ça n'est pas durable.»