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Quand l'interprétation s'invite dans la fiction

Quand l'interprétation s'invite dans la fiction

Publié le par Marielle Macé (Source : Anne Teulade)

Quand l'interprétation s'invite dans la fiction

Deux journées d'études, vendredi 21 janvier et vendredi 10 juin 2011,

organisées par Anne Teulade (Université de Nantes)

avec Nicolas Corréard (Université de Nantes), Vincent Ferré (Université Paris 13-Paris Nord)

dans le cadre du projet ANR Hermès (Théories et histoires de l'interprétation), porté par Françoise Lavocat (CLAM, Université Paris 7)

La première journée, organisée par N. Corréard et A. Teulade, portera sur la période du XVIe au XVIIIe s, à l'université Paris 7.

La deuxième journée, organisée par V. Ferré et A. Teulade, portera sur la période du XIXe au XXIe s, à l'université Paris 13.

Les propositions de communications, d'une page environ, doivent être envoyées à A. Teulade (Anne.Teulade@univ-nantes.fr), accompagnées d'une notice bio-bibliographique de leur auteur, avant le 30 avril 2010.

Les textes des communications retenues seront publiés dans un volume commun.

Appel à communications :

Feu pâle de Nabokov se présente comme l'édition des vers d'un poète assassiné, John Shade, commentés par les soins d'un certain Charles Kinbote, son plus fervent admirateur, par ailleurs son voisin et collègue à l'Université, et accessoirement le narrateur du roman. Comme Charles Kinbote entreprend d'annoter patiemment les vers du génial poète, ses remarques prennent la forme d'une interminable logorrhée qui mêle analyses littéraires, anecdotes biographiques et roman policier. Pot-pourri parodique et satirique des pseudo-commentaires du pseudo-recueil poétique d'un auteur fantôme, le roman se donne donc à lire comme une fiction de l'interprétation (en l'occurrence délirante). Le jeu n'est pas sans intention : allègrement, férocement, à tort ou à raison, Nabokov se moque de la critique littéraire professionnelle.

La fictionnalisation de l'interprétation peut ainsi revêtir un tour polémique, mais elle est également susceptible de tracer la voie d'une réflexion sur les réceptions possibles de la fiction. Nous souhaiterions, à travers ces deux journées d'études, interroger les modalités et les effets de l'intégration de l'interprétation dans la fiction. L'on pourra évidemment penser à des textes comme les Fictions de Borgès, La Montagne magique de Thomas Mann (les discussions entre Naphta et Settembrini, discours pro et contra qui finissent par se détruire mutuellement), ou Les Somnambules de Broch (un texte interne, La dégradation des valeurs théorise les motifs essentiels du roman sans pour autant régler la question de l'interprétation, gagnée par la folie et l'irrationnel). Mais la question déborde largement le XXe siècle ; aussi attendons-nous des réflexions qui s'attachent aux fictions romanesques et théâtrales du XVIe au XXIe siècle.

Dans cet ample mouvement chronologique, certaines périodes apparaîtront sans doute décisives : la « crise herméneutique » de la Renaissance représentée par l'oeuvre d'un Rabelais, l'époque baroque et ses mises en abyme, les explorations romanesques du XVIIIe siècle sans cesse commentées par exemple chez Sterne ou Diderot, l'« ironisation » romantique de l'oeuvre impossible (chez un Hoffman), la crise de la modernité, etc. Les journées devraient permettre d'affiner cette chronologie et de rendre saillants les moments où l'interprétation tend particulièrement à investir le champ de la fiction. Il sera d'ailleurs fécond de s'interroger sur les raisons de cette absorption (si l'on se place du point de vue des oeuvres) ou de cette déterritorialisation (si l'on se situe du côté des pratiques interprétatives). 

Les propositions de communication pourront porter sur des oeuvres où la pratique herméneutique s'incarne dans des figures spécialisées (l'archéologue chez Théophile Gauthier, le philologue chez Umberto Eco, le philologue-traducteur, dans La Caverne des idées de José Carlos Somoza, l'exégète dans Le Livre noir d'Orhan Pamuk), mais les exemples d'interprétation non savantes retiendront également notre attention, qu'elles apparaissent en marge de l'action, tel le gracioso commentateur de l'intrigue dans la comedia espagnole, ou au coeur de celle-ci.

Il ne s'agira pas d'interroger toutes les formes de métafictionnalité, encore moins toutes les formes de métadiscours : seules les thématisations nettes ou conséquentes de l'activité interprétative à l'intérieur d'un texte de fiction pourraient être considérées comme relevant de notre problématique, par différence avec de simples mentions ou allusions. Pour des raisons évidentes, on exclura de la réflexion les paratextes, par définition extérieurs aux fictions. On se gardera enfin d'assimiler la question des représentations fictionnelles de l'interprétation avec celle des réécritures comme commentaires de leurs sources (toute réécriture suppose une dimension interprétative, mais toute réécriture ne débouche pas nécessairement sur une thématisation de l'activité herméneutique de son auteur, ou de l'activité herméneutique en général).

On pourra s'interroger sur les questions suivantes :

1. Manières de fictionnaliser l'interprétation

- Les degrés de l'interprétation dans la fiction : de la fictionnalisation de la lecture au discours herméneutique, en passant par une pratique réitérée du commentaire.

- Les lieux et les figures du commentaire : comment fictionnalise-t-on l'interprétation ? (prise en charge par différentes instances énonciatives : auteur, narrateur ou personnages ?).

- Les dispositifs spécifiques, tels que la digression, l'anecdote, l'enchâssement des fictions, la mise en scène des débats entre conteurs ou lecteurs, le théâtre dans le théâtre, etc.

- La mise en scène de véritables personnages d'interprètes, maniaques ou professionnels. 

2. Efficacité poétique et herméneutique de la fictionnalisation

- Les modalités de l'interprétation : ouverture et limites de l'interprétation, effet de clarification et de guidage, propositions paradoxales, concurrence éventuelle entre les propositions interprétatives fictionnalisées.

- Les interprétations mises en scène ont-elles une finalité / une portée méta-discursive ou non ? Y a-t-il une efficacité propre à l'interprétation fictionnalisée ?

- Les effets de l'interprétation fictionnalisée sur le récepteur : la rupture de l'immersion fictionnelle, la réflexivité. Y a-t-il des dispositifs permettant l'adhésion du lecteur au commentaire ? Quelle est la crédibilité de l'interprétation proposée ?

- La fictionnalisation de l'interprétation et les modalités de la représentation : mimésis littéraire ou pratique antagoniste (écritures anti-romanesques, « distanciation » brechtienne) ?

3. L'historicité de l'interprétation et la relation avec les discours savants 

- Le découpage disciplinaire : quels champs épistémologiques se trouvent mobilisés ? peut-on dégager des rapports entre ces interprétations fictionnalisées et des pratiques savantes contemporaines ?

- Quelle présence de la critique littéraire et de ses pratiques dans les écritures de fiction ?

- La valeur historique des interprétations fictionnalisées : peut-on dégager des ruptures, des changements de paradigmes ?