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Quand « je » t’interpelle : enjeux de l’écriture au « tu/vous (83e congrès de l’ACFAS, au Québec)

Quand « je » t’interpelle : enjeux de l’écriture au « tu/vous (83e congrès de l’ACFAS, au Québec)

Publié le par Marc Escola (Source : Karine Rosso)

Quand « je » t’interpelle : enjeux de l’écriture au « tu/vous »

83e Congrès de l’ACFAS

Université du Québec à Rimouski

Le lundi 25 mai 2015

 

Dans l’écriture romanesque, la narration à la deuxième personne semble faire figure d’exception aux côtés des textes narrés à la première ou à la troisième personne qui correspondent aux formes canoniques du genre. Traditionnellement, ce type de voix met en scène un narrateur au statut trouble qui vise plus ou moins directement à se raconter : « Dire que je fais mon possible pour ne pas parler de moi. Dans un instant je parlerai des vaches, vous allez voir[1] », fait dire Beckett au premier narrateur de Molloy. Dans La modification de Michel Butor et Un homme qui dort de George Perec, la narration à la deuxième personne est également utilisée comme un « je » déguisé qui tend à interpeler le lecteur, à lui donner l’impression de participer au récit (Guillaume Bourque). Cette instance énonciatrice, qui remplit à la fois le rôle de narrateur-protagoniste et de narrataire, traduit souvent un flou identitaire, une sorte de prise de distance de soi à soi qui relève principalement du fait que, comme le suggère Benveniste, le « tu » est une « forme vide[2] », un pur déictique qui n’a d’existence qu’en référence au « je ».

Or il arrive que les textes narrés à la deuxième personne énoncent un « tu » sans référence à un « je », trahissant ainsi la présence d’une instance qui se cache. Si cette indétermination référentielle peut offrir une représentation de l’altérité subjective et du monologue intérieur, tous deux déployés dans le Nouveau Roman, l’emploi de cette deuxième personne offre aussi la possibilité de décrire l’indicible ou de reconstituer le récit d’un personnage qui n’est pas totalement conscient de son passé, car comme le soutient Butor : « si le personnage connaissait entièrement sa propre histoire, s’il n’avait pas d’objection à la raconter ou se la raconter, la première personne s’imposerait : il donnerait son témoignage[3] ». C’est pourquoi l’écriture au « tu/vous » revient souvent à mettre en scène un témoin, un psychologue ou un inspecteur (Butor) qui « arrache » le récit d’un personnage incapable de refaire le fil des évènements ou qui occupe une fonction de révélateur face à celui qui s’y refuse.

L’objectif de ce colloque est donc d’étudier les différents emplois de ce type de narration qui semble faciliter une forme d’écriture blanche, anonyme, utilisée aussi bien dans les intrigues amoureuses ou les enquêtes policières (comme dans L’homme interdit de Catherine Lovey) que dans les écritures dites « de l’absence », lesquelles cherchent à atteindre une image toujours fuyante, l’envers de l’autre qui nous échappe et qui, comme avance Maurice Blanchot, « nous ouvre, nous aussi, sur une sorte de neutralité où nous cessons d’être nous-mêmes et oscillons étrangement entre Je, Il et personne[4] ». La résurgence de la narration au « tu » dans l’autofiction ou « l’autofiction théorique[5] » (voir Folle de Nelly Arcan et Testo Junkie de Beatriz Preciado) semble également reproduire cette dynamique référentielle qui agit par oscillation, car plus qu’une écriture adressée à un×e absent×e (un×e ex-copain×pine, un×e défunt×e, etc.), ce type de voix permet de faire le récit de l’absence même. Dans ce contexte, le « tu » apparaît comme un élément fondamental et essentiel de toute construction identitaire, par définition intersubjective (Jessica Benjamin). Cependant une partie du dialogue et de la dynamique intersubjective est ici tronquée, effacée, cachée, réservée, « gardée ».

Ce colloque se veut donc le lieu pour aborder, aussi bien dans une perspective critique l’impact des récits narrés à la deuxième personne sur l’extrême contemporain, que, dans une perspective pratique (réflexive, philosophique), des mécanismes d’écriture spécifiques à cette forme de narration. Le but est d’initier et poursuivre les réflexions sur l’écriture au « tu », de même que sur la portée de cette instance narrative sur le temps du récit, les jeux esthétiques et les effets de lecture. Sans que cette liste ne soit exhaustive, les sujets suivants pourraient être abordés :

 

• La présence du « tu » dans la poésie québécoise (Michel Beaulieu, Kim Doré, etc.)

• L’utilisation de la narration à la deuxième personne dans l’autofiction

• Effacement du sujet et dynamique intersubjective

• Passage du « vous » durassien au « tu » de l’extrême contemporain

• De nombreux « tu » autour d’une même personne : l’exemple de la Maladie de Sachs de Martin Winckler

• Les problèmes de traduction du « you »

• Le roman épistolaire

 

Les propositions de communication (maximum 250 mots) doivent être envoyées au plus tard le 30 janvier 2015, accompagnées de vos coordonnées complètes et du nom de votre institution d’attache à isabelle.boisclair@usherbrooke.ca ainsi qu’à karine.rosso@usherbrooke.ca

 

 

[1] Samuel Beckett, 1951, Molloy, Paris, Minuit, p. 15.

[2] Émile Benveniste, Problèmes de linguistique générale, Paris, Gallimard, p. 254.

[3] Michel Butor, 2000 (1992), Essais sur le roman, Paris, Gallimard, p. 81.

[4] Maurice Blanchot, 1969, L’entretien infini, Paris, Gallimard, p. 536-537.

[5] L’expression est de Vincent Landry, 2013, « L’autofiction théorique chez Virgine Despentes, Wendy Delorme et Beatriz Preciado : un genre trouble », Sherbrooke, Maîtrise en Études Françaises, Université de Sherbrooke.