Actualité
Appels à contributions
« Qu'il parle maintenant ou se taise à jamais… » Les effets du silence dans le processus de la création

« Qu'il parle maintenant ou se taise à jamais… » Les effets du silence dans le processus de la création

Publié le par Marion Moreau (Source : Odile Gannier)

Loxias 32 : parution prévue le 15 mars 2011
"Qu'il parle maintenant ou se taise à jamais..." Les effets du silence dans le processus de la création

Numéro paru en 2011: Loxias n°32: « Qu'il parle maintenant ou se taise à jamais… » Les effets du silence dans le processus de la création (1)

***

Le silence, emprunté au latin silentium, est, d'après une première explication du Robert Culturel, « le fait de ne pas émettre de son par la voix ».
Paradoxalement, la représentation du silence, souvent liée à celle du cri, semble être au coeur de toute tentative d'écriture. Si le silence n'est donc pas l'absence de mots, il garde toutefois un secret que le mouvement des mots n'atteint pas. Il est ce reste intarissable qui semble relancer l'écriture. Le « mot trou », pour reprendre l'expression de Marguerite Duras, la « phrase du silence » semblent bien être le fantasme de tout écrivain à l'écoute de l'« inentendu », ce que l'on ne sait pas ou l'on ne veut pas entendre, relevant le défi de l'au-delà du sens.
Il s'agit pour nous de mettre en lumière différents aspects du silence dans la production littéraire, et de susciter des approches transdisciplinaires sur ce thème. De multiples interrogations peuvent en effet se poser sur le sens du silence et sur ses formes d'expression.
Le silence est-il inné ? Est-il le fruit d'une culture, d'une civilisation, d'une tradition ? A-t-il donc un caractère « naturel » ou plutôt acquis, fondé sur l'imitation ? Comment naissent les premières sources de silence ? Le silence est aussi ambivalent : il peut être constat d'échec, impossibilité de créer et de dire, proche de la stupeur. Le « mauvais silence » est aussi celui de la parole rentrée, interdite, mortifère. Mais l'un des sens du mot silentium est également l'absence de signe de mauvais augure : le silence des dieux serait donc favorable. Cette représentation positive du silence implique aussi le sens de l'harmonie, de l'absence de bruit qui favorise la paix intérieure.
Comment représenter le silence qui « doit se faire chose » pour être écrit ? Comment s'effectue la transition entre le silence muet et le silence écrit ? Violence ou éblouissement, le silence n'est pas un état mort. Il découvre une épreuve subjective de la vérité dont il faudrait pouvoir témoigner, même si ce n'est que pour la « remettre en cause ». Dans le champ des études postcoloniales ou des études féminines, par exemple, l'étude du silence et de sa rupture peuvent être la marque de l'étouffement ou de la libération de la parole. Parésie du corps ou détresse de l'âme, honte ou pudeur, secret ou tabou, dissimulation ou déni, folie ou retrait, les multiples visages du silence peuvent prendre vie dans l'oeuvre de l'artiste et résonner entre eux. Comment dire ces vérités dans un discours ? Peut-on parler d'autre chose que du réel ? Comment situer dans la parole écrite le « silence authentique » inséparable du discours vrai ? Si les mots doivent taire leur sens pour traduire l'insaisissable, il semble légitime de parler d'une écriture du silence, dont la lecture relèvera forcément d'une « lenteur », d'« un voeu de myopie » (expression reprise à Jean-Pierre Richard, dans Microlectures). L'écriture elliptique et fragmentaire sera-t-elle la meilleure matérialisation possible de ces brisures parmi les mots qui engendrent le silence ? Le jeu avec les marges blanches ou les blancs typographiques peut-il jouer des ressources créatives du silence ? Comment faire émerger dans la phrase le rythme et la musicalité du silence souterrain qu'elle est censée héberger ? Le poème, qui substitue au réel du dehors un réel d'avant le sens, sera-t-il alors, en faisant nôtre une expression de Heidegger, le « recueil où sonne le silence» ?
Par ailleurs, si, comme le souligne dans L'Implicite la linguiste Catherine Kerbrat-Orecchioni, « un énoncé veut dire ce que ses récepteurs estiment être la prétention et l'intention sémantico-pragmatiques du locuteur dans cet énoncé », l'implicite et le non-dit créent avec l'« autre » de la relation établie par le texte une communication qui peut être faussée, détournée de son objectif premier. Cela pourrait constituer un obstacle majeur dans la démarche de la tentative de mise en écrit du silence ? Le souci du respect de la vérité de l'auteur rendrait celle-ci incommunicable ? non publiable ? Devrait-on respecter le silence matérialisé dans la non publication d'un texte du vivant de son auteur ?
Ces questionnements sur le silence ne prétendent pas être exhaustifs. Il sera opportun de relier les réflexions au processus plus général de la création littéraire et artistique.
Filomena Iooss  et Odile Gannier
Université de Nice, CTEL
Adresser les propositions d'une demi-page avec CV à gannier@unice.fr pour le 1er septembre 2010.
Les textes dont le principe aura été accepté seront à remettre pour le 5 janvier 2011.