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Pseudo-traduction: enjeux métafictionnels

Pseudo-traduction: enjeux métafictionnels

Publié le par Marc Escola (Source : Beatrijs Vanacker)

Revue Interférences littéraires

Appel à contributions - n° 19

Pseudo-traduction : enjeux métafictionnels, n° 19 - novembre 2016

s. dir. Tom Toremans (KU Leuven) & Beatrijs Vanacker (KU Leuven)

 

Régulièrement au cours de l’histoire littéraire – et pour des raisons très variées –, des auteurs ont présenté leurs textes comme la traduction d’un original imaginaire, plutôt que de reconnaître l’originalité de l’œuvre en question et d’assumer pleinement leur propre statut d’auteur. Pratique littéraire mise en œuvre dans des textes aussi différents que l’Historia Regum Britanniae de Geoffrey of Monmouth (XIIe siècle), le Don Quichote de Cervantes (1605-1615), Les Lettres Persanes de Montesquieu (1721), le Sartor Resartus de Thomas Carlyle (1831), Hokōnin no Shi d’Akutagawa Ryūnosuke (1918) et, plus récemment, La Fille d’un héros de l’Union Soviétique d’Andreï Makine (1990), la pseudo-traduction fait en effet preuve d’une longévité et d’une malléabilité qui demeurent mal connues et en appellent à une étude plus systématique. Mystificatrice par définition – même si elle est souvent de portée ludique –, ce geste a longtemps occupé une place périphérique au sein des études littéraires, tout comme dans les travaux en traductologie. Hormis quelques études ponctuelles, dont l’essai de typologie traductologique d’Anton Popovič (1976), l’intérêt scientifique pour ce phénomène littéraire est en effet plutôt récent (voir e.a. Bassnett 1999 ; Apter 2006 ; Jenn 2013 ; Martens & Vanacker 2013 ; Rath 2014) et s’est pour la plupart présenté sous forme d’études de cas isolées qui se sont focalisées pour l’essentiel sur des questions relatives aux débats sur l’originalité et l’authenticité textuelles, à l’établissement des genres ou encore au rapport entre texte-source et texte-cible.

Parmi les articles théoriques et historiques – dont l’étude de référence de Gideon Toury dans Descriptive translation studies and beyond (1995) – s’est marqué un intérêt particulier pour les enjeux assumés par la pratique de la pseudo-traduction dans un contexte littéraire spécifique. Plusieurs études de cas insistent ainsi sur la valeur émancipatoire de ces textes, qu’ils permettent à un auteur spécifique de se « négocier » une position plus reconnue dans la littérature d’accueil par le renvoi à quelque source exogène (voir Andreï Makine), qu’ils facilitent l’introduction, individuelle ou institutionnelle, d’innovations esthétiques sous la couverture de la traduction (voir Papa Hamlet) ou qu’ils contribuent, inversement, à consolider les pratiques littéraire et éditoriale « officielles » (p. ex. dans des régimes d’orientation totalitaire). Or, dans la mesure où les enjeux menant à la mise en œuvre des pseudo-traductions varient indéniablement suivant les époques et les contextes littéraires, les modalités discursives de leur mise en forme s’avèrent dans plusieurs cas symptomatiques, et dès lors révélatrices, du fonctionnement du champ littéraire en question et de la place qu’y occupe la traduction. Ainsi, c’est précisément en raison de leur statut de « simulacre » que les pseudo-traductions revêtent un pouvoir de mise en évidence – ou de prise de distance critique – par rapport aux mécanismes inhérents à la pratique littéraire au sens plus large, qu’elles soient considérées dans leurs particularités génériques, institutionnelles, inter-/intrasystémiques ou autres.
Dans ce numéro, nous projetons dès lors de creuser les valeurs auto-réflexives et métafictionnelles inhérentes à une pratique textuelle qui est par définition mimétique. Elaborées suivant une esthétique de l’imitation, les pseudo-traductions présupposent en effet une fonction critique et commentative à l’égard de la production littéraire (tant originale que traduite) d’une certaine époque. D’abord, l’imposture étant souvent construite de toutes pièces par un discours paratextuel circonstancié, celui-ci ne manque de marquer le caractère codé – c’est-à-dire imitable et donc falsifiable – de la traduction et invite ainsi à questionner les attendus et les présupposés sous-jacents à cette pratique textuelle. En effet, par le fait qu’elles miment le dispositif de la traduction dans ce qu’il a de plus représentationnel – son péritexte –, les pseudo-traductions se montrent susceptibles de remettre en cause précisément la fiabilité de l’acte de traduire. Cela est manifestement le cas durant les périodes au cours desquelles la récurrence du dispositif est telle qu’elle met en évidence la nature topique et hautement factice de la mystification (Martens & Vanacker 2013). À cela s’ajoute que ce discours paratextuel prend souvent la forme d’une fiction à part entière, qui non seulement présente l’histoire de la genèse et de la transmission du texte en question, mais fournit un commentaire méta-fictionnel au sein du paratexte même, sur des questions d’auctorialité, d’originalité, de genre, ou encore sur les rapports entre fiction et réalité. Enfin, dans un réflexe auto-référentiel ultime, s’y inscrivent parfois des commentaires explicites (critiques, ludiques, parodiques,…) sur la pratique de la pseudo-traduction ou des références intertextuelles à des textes pseudo-traductifs antérieurs (Jenn 2013).
Or, si les paratextes constituent un « lieu » privilégié dans le processus de négociation et de mise en scène des pseudo-traductions, il s’agira également de rendre compte des processus diégétiques  à travers lesquels ces textes – par définition mimétiques – interrogent, dans la diégèse même, les présupposés de la fiction en général ou de la pseudo-traduction plus spécifiquement, dans ses modalités génériques, institutionnelles, ou autres. Pensons par exemple à des passages mettant en scène des personnages traducteurs, à la mise en évidence du bilinguisme des personnages – qui reflèterait alors les doubles prémisses culturelles du texte – ou, à un niveau plus abstrait, à différentes formes d’imposture et de travestissement identitaire des personnages. Qui plus est,  il serait particulièrement intéressant d’examiner l’évolution des modes d’interférence entre la pseudo-traduction et différents types de textes pseudo-authentiques au fil du temps. Reste aussi à examiner comment ce jeu métafictionnel se développe au fil des traductions à proprement parler auxquelles ces pseudo-traductions donnent lieu, susceptibles de fournir à leur tour des commentaires sur la pseudo-traduction « originale », qu’elles prolongent l’imposture ou pas.     

En raison de la nature transculturelle des pseudo-traductions, qui présupposent par définition l’existence d’un transfert culturel (imaginaire), nous souhaitons inclure des études de cas portant sur des contextes culturels et historiques diversifiés, qui abordent l’une ou plusieurs des questions de recherche esquissées ci-dessus. Dès lors, aucune restriction historique et/ou culturelle n’est imposée par les éditeurs. La longueur des articles, qui pourront être rédigés en français, en anglais, en allemand, en espagnol, en italien ou en néerlandais, se situera entre 30 000 et 50 000 signes (espaces et notes compris).

Les propositions devront parvenir avant le 20 décembre 2015 à Tom Toremans (tom.toremans@arts.kuleuven.be) et Beatrijs Vanacker (beatrijs.vanacker@arts.kuleuven.be),  assorties d’un résumé d’environ 300 mots, ainsi que d’une courte biographie précisant votre appartenance institutionnelle et vos domaines de recherche. La sélection des propositions sera opérée pour le 10 janvier. Les articles seront envoyés dans leur version définitive par voie électronique avant le 15 avril 2016. Ils seront évalués anonymement par deux experts. La publication du dossier est prévue pour novembre 2016.


Bibliographie indicative

Apter Emily, « Translation with no originals : scandals of textual reproduction », dans The Translation zone : a new comparative literature, Princeton, University Press, 2006, pp. 210-225.
Bassnett Susan, « When is a Translation not a Translation? », dans Constructing Culture: Essays on Literary Translation, Bassnett (Susan) & Lefevere (André) dir., Clevedon, Cromwell Press, 1998, pp. 25-40.
Beebee Thomas O., Transmesis. Inside translation’s black box, New York, Palgrave Macmillan, 2012.
Collombat Isabelle, « Pseudo-traduction : la mise en scène de l’altérité », dans Le Langage et l’homme, vol. XXXVIII, n° 1, juin 2003, pp. 145-156.
De Groote Brecht & Toremans Tom, « From Alexis to Scott and De Quincey: Walladmor and the Irony of Pseudotranslation », dans Essays in Romanticism, n° 21, tome 2, 2014, pp. 107-123.
Godbout Patricia, « Pseudonymes, traductionymes et pseudo-traductions », dans Voix et images. Littérature québécoise, « Le pseudonyme au Québec », Marie-Pier Luneau & Pierre Hébert n° 88, automne 2004, pp. 93-103.
Jenn Ronald, La pseudo-traduction, de Cervantès à Mark Twain, Louvain-la-Neuve, Peeters, 2013.
Lombez Christine, « La ‘traduction supposée’ ou : de la place des pseudotraductions poétiques en France », dans LANS. Linguistica Antwerpsiensia. Themes in Translations studies, new series, n° 4, « Fictionalising Translation and Multilingualism », s. dir. Dirk Delabastita & Rainier Grutman, 2005, pp. 107-121.
Martens David, « De la mystification à la fiction. La poétique suicidaire de la fausse traduction », dans Translatio in fabula, enjeux d’une rencontre entre fictions et traductions, s. dir. Sophie Klimis, Isabelle Ost et Stéphanie Vanasten, Bruxelles, Publications des Facultés Universitaires Saint-Louis, 2010, pp. 63-81. [En ligne], URL : https://www.academia.edu/7855206/De_la_mystification_%C3%A0_la_fiction._...
Id., « Au miroir de la pseudo-traduction. Ironisation du traduire et traduction de l’ironie », dans LANS. Linguistica Antwerpsiensia. Themes in Translations studies, new series, « Traduire l’ironie », s. dir. Pierre Schoentjes & Katrien Lievois, n° 9, 2010, pp. 195-211. [En ligne], URL : https://lans-tts.uantwerpen.be/index.php/LANS-TTS/article/view/268
Martens David & Vanacker Beatrijs, « Scénographies de la pseudo-traduction » (numéro thématique), dans Les Lettres Romanes, n° 67, tomes 3-4, 2013.    
O’Sullivan Carol, « Pseudotranslation », dans Handbook of Translation Studies, volume 2, s. dir. Yves Gambier & Luc Van Doorslaer, Amsterdam, John Benjamins, 2011, pp. 123-125.
Popovič Anton, Dictionary for the Analysis of Literary Translation, Edmonton, University of Alberta, 1976.
Rath Brigitte, « Unübersetzbares, schon übersetzt. Sprachliche Relativität und Pseudoübersetzungen », dans Les Intraduisibles / Unübersetzbarkeiten. Sprachen, Literaturen, Medien, Kulturen / Langues, Littératures, Médias, Cultures, s. dir. Jörg Dünne, Martin Jörg Schäfer, Myriam Suchet & Jessica Wilker, Paris, Éditions des archives contemporaines, 2013, pp. 15-25.
Id., « Pseudotranslation », dans State of the Discipline Report ACLA, 2014, [En ligne], URL: http://stateofthediscipline.acla.org/entry/pseudotranslation.
Toury Gideon, Descriptive translation studies and beyond, Amsterdam, John Benjamins, 1995.
Id., « Enhancing Cultural Changes by Means of fictitious Translations », dans Translation and Culturel Change, s. dir. Eva Hung, Amsterdam and Philadelphia, Benjamins, 2005, pp. 3-18. [En ligne], URL : http://www.tau.ac.il/~toury/works/fict.htm