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Nouvelle parution
Protée, vol. 36, no 1 (printemps 2008) - Le symbole. Réflexions théoriques et enjeux contemporains

Protée, vol. 36, no 1 (printemps 2008) - Le symbole. Réflexions théoriques et enjeux contemporains

Publié le par Gabriel Marcoux-Chabot (Source : Site web de la revue)

Protée est une revue universitaire dans le champ diversifié de la sémiotique, définie comme science des signes, du langage et des discours. On y aborde des problèmes d'ordre théorique et pratique liés à l'explication, à la modélisation et à l'interprétation d'objets ou de phénomènes langagiers, textuels, symboliques et culturels, où se pose, de façon diverse, la question de la signification.


Vol. 36, no 1 (printemps 2008) - Le symbole. Réflexions théoriques et enjeux contemporains
Sous la direction d'Émilie Granjon, Bertrand Rouby et Corinne Streicher


Émilie Granjon, Bertrand Rouby, Corinne Streicher
Présentation : Le symbole. Réflexions théoriques et enjeux contemporains
L'homme met en place des symboles pour mieux comprendre le monde dans lequel il vit. Avec le mode symbolique s'institue un ancrage mémoriel, une pensée singulière dont l'énonciation participe d'un processus herméneutique qui rend compte de structures interprétatives. Originellement, le symbole désigne un signe de reconnaissance provenant d'un « objet coupé en deux dont deux hôtes conservaient chacun une moitié qu'ils transmettaient à leurs enfants ; on rapprochait les deux parties pour faire la preuve que des relations d'hospitalité avaient été contractées » (Rey, 2004 : 3719). Comme l'atteste son étymologie grecque sumbolon, dérivée du verbe sumballein qui signifie « jeter ensemble », « joindre », « réunir », « mettre en contact », il avait la fonction d'unir, de construire un pont entre deux objets. Au fil du temps, il est devenu un médiateur sémantique dont les modalités fonctionnelles permettent le passage d'un sens littéral à un sens figuré. Par conséquent, il institue un processus herméneutique singulier, pluridimensionnel et transcendant : pluridimensionnel, le symbole dévoile des structures imaginaires ; transcendant, il interroge le saisissable de l'insaisissable.
Évidente en apparence, la définition du « symbole » est pourtant problématique du fait de la polysémie du terme qui en brouille la compréhension et instaure un malaise définitionnel. À cet égard, Umberto Eco qualifie de « forêt symbolique » (1988 : 191) l'hétérogénéité lexicale découlant des différentes utilisations du mot. Cette plurivocité terminologique entraîne un affadissement lexical causé par un emploi équivoque et désinvolte. Ainsi, la psychanalyse, la philosophie, la sémiotique, la littérature et la poésie utilisent le symbole pour servir leur domaine et l'investir d'un sens qui leur est propre. Il résulte de ces emprunts d'étonnants antagonismes concernant la notion de signe. Alors que certains penseurs comme Lévi-Strauss, Freud ou Kristeva rendent compte d'une synonymie entre le symbole et le signe, d'autres comme Ricoeur, Durand, Jung ou Todorov revendiquent la distinction entre les deux. La disparité lexicale qui découle de ce constat ne mène pas à la destitution du symbole. Paradoxalement, elle le fait renaître et lui permet de produire de nouvelles unités sémantiques.
En regard de ce constat, nous proposons de réfléchir aux axes définitionnels du symbole en abordant les diverses disciplines que sont la sémiotique, l'histoire de l'art, la littérature et la philosophie. L'horizon théorique du dossier est non pas d'élaborer une nouvelle définition, mais de situer et de comprendre les contradictions internes qui résultent de la globalisation de la réflexion. L'ensemble des articles explore deux voies parallèles et complémentaires interrogeant l'investissement du symbole dans nos sociétés contemporaines. Les auteurs proposent de repenser les structures de symboles anciens par l'entremise des disciplines susmentionnées, d'un côté, et d'examiner les modalités théoriques de symboles en mutation (c'est-à-dire partiellement dé-sémantisés et en quête d'un nouveau sens), de l'autre.
D'emblée, Guillaume Asselin livre une réflexion originale en marge de l'idée traditionnelle du symbole, et montre que le thème contemporain de la déliaison s'enracine dans l'étymologie. Ainsi propose-t-il, à partir de Pascal Quignard notamment, de penser une herméneutique de l'« entre-deux » en explorant la part de déchirure qui prélude à la constitution du symbole. Il s'agit dès lors de pallier transversalement une déchirure initiale, et c'est dans cet esprit qu'Émilie Granjon présente un état des lieux sur la question. Elle met en évidence la rencontre de plusieurs traditions théoriques qui ravive une définition plus ancienne du symbole et, de ce fait, l'inscrit dans une réflexion interdisciplinaire qui échappe aux définitions exclusivement sémiotiques, anthropologiques, sociologiques ou psychanalytiques. Paola Pacifici démontre que, au XVIIe siècle, le réseau signifiant ainsi formé se centrait notamment sur l'image du corps, envisagée comme métaphore sémiosique d'une interrelation entre anatomie, astrologie, philosophie et religion. Étudiant la même époque, Andrea Catellani sémiotise la manière dont l'allégorie supplante le symbole dans la littérature jésuite. À une ratio difficilis motivée par une intensité passionnelle euphorique ou dysphorique se substitue une ratio facilis visant à organiser, à systématiser et à limiter le panorama interprétatif.
Avec les articles de Guillaume Asselin, d'Émilie Granjon, de Paola Pacifici et d'Andrea Catellani, les théories contemporaines, sous l'impulsion de modèles philosophiques, sémiotiques et phénoménologiques, inspirent une réflexion interdisciplinaire qui envisage le symbole comme facteur de cohésion ou de disjonction conceptuelle. En revanche, la littérature et les arts du XXe siècle témoignent d'une ruine de la dimension notionnelle à mesure que se révèle la faillite des langages symboliques.
Avec L'Atelier du peintre de Patrick Grainville, Fabienne Claire Caland analyse, dans le cadre d'une réflexion littéraire, l'échec de la tentative du narrateur visant à constituer un langage symbolique, de telle sorte que la langue de l'écrivain se fonde sur la destruction même d'un tel langage. Pour comprendre cette crise de l'organicité, il faut remonter à l'entre-deux-guerres, qui voit se déstructurer les systèmes coloniaux, la perception du corps humain (premières greffes) et le psychisme (impact de la psychanalyse). S'y ajoute, à l'approche de la Deuxième Guerre mondiale, une menace d'indifférenciation violente qui précipite la dé-symbolisation. Ainsi un poète comme David Gascoyne se tourne-t-il vers l'alchimie pour construire une nouvelle cohérence symbolique ; or, Bertrand Rouby montre que cette entreprise aboutit à des tensions herméneutiques telles que le symbole s'en trouve défait. De Gascoyne à Grainville, le XXe siècle apparaît donc comme une ère du soupçon à l'égard des systèmes symboliques, dont les velléités d'ordonnancement ne répondent plus à une vision du monde marquée par la dissémination et le jeu différentiel du langage.

Guillaume Asselin
Du (dé)bris symbolique.
On a l'habitude, lorsqu'on s'attarde au symbole, de faire porter l'attention sur le « rejointement » des deux moitiés de l'objet brisé (tablette, anneau ou cube) auquel renvoie étymologiquement le sumbolon. On occulte, du coup, l'instant diabolique de la déchirure ou de la brisure, qui semble ne conditionner l'acte de suture symbolique que pour en signer simultanément la ruine, que matérialise ce qui tombe hors de son règne sous la forme d'un reste ou d'un débris opaque résistant à la signification, analogue au caput mortuum des alchimistes. Il s'agira donc de s'interroger sur l'incongru foisonnement des vestiges qui affluent sur la scène de la littérature contemporaine et se distribuent autour de la fêlure du symbole. J'analyserai, en me basant essentiellement sur l'oeuvre de Pascal Quignard, la nature et la fonction de ce qui fourmille ainsi sur les bords du symbole sous des noms divers : « skybala », « sordidissimes », « miroboles » ou « significe » qui tous sont à mettre au compte de cet « impossible-à-sauver » dont parle Benjamin et commandent, à ce titre, d'explorer le lien entre ce qu'on peut qualifier de « souffrance du symbole » et la pensée sacrificielle.

Émilie Granjon
Le symbole : une notion complexe.
Nombre d'auteurs ont utilisé le mot « symbole » de manière bien souvent disparate et parfois même erronée. Faire une synthèse de tout ce qui a été dit sur le symbole dans le cadre des sciences humaines serait impossible. Selon les traditions théoriques, les disciplines que sont la sémiotique, la philosophique, la sociologie, l'anthropologie, la psychanalyse et la sémiotique utilisent des aspects définitionnels variés opérant une divergence herméneutique fondamentale, divergence observée parfois même au sein d'une discipline et opérant un imbroglio sémantique déstabilisant. L'auteure convoque plusieurs réflexions théoriques sur le symbole pour effectuer un état des lieux actuel sur la question.

Paola Pacifici
Le corps : anatomie d'un symbole.
Grâce à la dissection, une idée nouvelle du corps s'affirme à l'aube de la Renaissance : il s'agit d'un corps matériel et saisissable, qui trouve dans son nouveau statut les prémisses – philosophiques et esthétiques – de sa représentation. Néanmoins, loin de se réduire à un schéma fonctionnel, le corps anatomique se détermine dans le cadre d'une saisie symbolique qui le lie étroitement à la religion, à l'astronomie et à l'art. Par l'analyse d'un choix de textes, cet article se propose de revoir cette construction à la fois symbolique et scientifique et d'expliquer comment le corps se définit dans un réseau pragmatique, devenant une clef d'interprétation du monde.

Andrea Catellani
Symbolisme et rhétorique dans les images de la littérature illustrée jésuite entre les  XVIe et  XVIIe siècles : approches sémiotiques.
L'article tente de définir, à partir du modèle théorique sémiotique, certains aspects de la symbolique humaniste incarnée dans la littérature jésuite illustrée du  XVIIe siècle. Un premier moment est la présentation de quelques contributions sémiotiques liées à l'exploration du champ sémantique du mot « symbole », en distinguant en particulier les contributions de Saussure, Hjelmslev et Todorov, et en retravaillant le couple conceptuel de « mode symbolique » et « mode allégorique » de signification secondaire, proposé par Eco. Deuxièmement, on observe la prévalence du mode allégorique dans cette partie de l'épistémè renaissante et baroque appelée « symbolique humaniste », en vérifiant aussi l'existence constante, au cours de l'histoire, de la tension entre le deux « modes ». Enfin, l'analyse textuelle de quelques images symboliques provenant de deux ouvrages jésuites du  XVIIe siècle permet de retrouver cette tension dans un corpus textuel spécifique.

Fabienne Claire Caland
La plume de Grainville contre l'oeil du Virginal. Ordonnance symbolique et désordre de la langue.
Dans L'Atelier du peintre de Patrick Grainville, l'acte de création (poiêsis) est théorisé par le narrateur principal, Le Virginal, en vue d'élaborer un langage symbolique fondé sur l'art, et son herméneutique exprimée par les médias iconiques et verbaux. Parce qu'il s'agit en définitive d'une fictionnalisation personnelle et non d'une structure fonctionnelle symbolique, le système s'effondre. Le Virginal tombe littérairement le masque : la langue de Grainville se construit sur et par la destruction du langage symbolique, laquelle lui fait prendre toute son ampleur et affirmer son autonomie à l'herméneutique attendue. La plume de Grainville, son écriture « différentielle », l'emporte sur l'oeil fortement sexué que Le Virginal pose sur le monde.

Bertrand Rouby
Défaites du symbole. David Gascoyne et l'alchimie face à l'hiver des signes.
La poésie de David Gascoyne est tiraillée entre réinterprétation de symboles alchimiques et paysages en voie de désymbolisation, dilemme lié au caractère irreprésentable de la Deuxième Guerre mondiale. S'il est tentant de fabriquer de nouveaux schémas symboliques pour rendre compte de l'horreur à venir, de telles architectures ne donnent finalement lieu qu'à des jeux stylistiques où se désassemblent les composantes mythiques. En ce sens, elles préfigurent un autre aspect de la poésie gascoynienne, où les paysages européens sont peu à peu vidés de toute résonance symbolique, voire de toute signifiance. La situation ainsi dépeinte s'apparente aux friches de la modernité où « la perte de toute valeur mesurée par l'homme » suscite une nouvelle herméneutique tributaire de la réévaluation subjective. Dès lors, la déconstruction des symboles alchimiques sert de pont entre les intonations élégiaques héritées du modernisme et le rejet postmoderne des principes essentialistes.


HORS DOSSIER

Alexandra Saemmer
Figures de surface média.
The Dreamlife of Letters, poème cinétique de Brian Kim Stefans, fait partie des créations numériques les plus commentées du Web. Les hésitations des critiques quant à l'inscription de ce poème dans la tradition concrète ou lettriste interpellent autant que le caractère souvent très généraliste des commentaires. À travers une lecture détaillée des premières minutes de The Dreamlife of Letters, il s'agit d'abord dans cet article d'identifier des « figures de surface média » de la poésie numérique. Afin de rendre sensibles certaines proximités entre les figures du discours classiques et les figures de surface média, des emprunts aux taxinomies classiques sont faits dans certains cas. Pour éviter les analogies trop téméraires, et aussi pour exclure d'emblée toute confusion entre « effets » et « figures » de la poésie numérique, une nouvelle terminologie est proposée dans d'autres cas. Cette taxinomie a comme but de caractériser avec précision la relation entre le contenu des mots et leur mise en mouvement. En conclusion, il s'agit de réfléchir sur l'inscription de ces formes de poésie cinétique dans les mouvements de la poésie d'avant-garde.