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Le secret de famille dans la littérature narrative d’expression française (depuis les années 1980), collectif

Le secret de famille dans la littérature narrative d’expression française (depuis les années 1980), collectif

Publié le par Alexandre Gefen (Source : Sylviane Coyault)

 


Sylviane Coyault Pr Littérature française, Clermont-Ferrand

Nathalie Wacker, Professeur agrégé, Docteur, (CELIS).    

Patricia Bissa Enama Patricia BISSA ENAMA, Docteur - HDR,

 Équipe « Littératures 20/21 » du CELIS  en collaboration avec l’Équipe de « Recherche sur les Littérature des Marges » Faculté des Arts, Lettres et Sciences Humaines, Université de Yaoundé, Cameroun 

Non-dit, silence, faux-semblant, lapsus… Lié à une souffrance occultée, le secret existe néanmoins dans nos modes de communication tout à la fois verbale (ce que l’on dit pour cacher la vérité) et non-verbale (ce que le corps dit à notre insu). Il est à la fois ce qui est caché et ce qui révèle le mystère, ce qui n’existe pleinement qu’au moment où il disparaît.

En ce sens, le secret est une matière littéraire ; il est indissociable du récit de sa révélation, il n’existe que dans son élucidation par le langage, mais aussi parfois par le silence ou le récit mensonger dont on l’entoure. Il convient néanmoins de distinguer le récit lié au secret familial du concept freudien de « roman familial »[1] qui désigne une histoire familiale idéalisée, permettant à l’enfant de se construire comme individu. Le secret de famille constitue au contraire une entrave à la construction individuelle, liée à une méconnaissance de son histoire. Le récit qu’il inspire est donc une quête de vérité nécessairement inachevée, une exploration du « génosociogramme »[2] et des chemins qui ont conduit à l’individu présent.

Le secret de famille présente ainsi un fort potentiel romanesque : enquête policière, investigation psychologique, peinture des moeurs…. A l’inverse des sagas familiales, le récit d’un secret de famille est rétrospectif ; il a pour seule certitude le trouble présent d’un individu qui se sent porteur d’une malédiction. Cela détermine des formes narratives singulières.

Mais si les lecteurs s’intéressent à ces secrets familiaux romancés, c’est aussi parce que le roman rejoint là une réalité contemporaine. Contestation de l’autorité, éloignement géographique, recomposition de la famille, déni mémoriel et culturel… de nombreux signes du délitement du lien familial se manifestent à travers les faits-divers. Les progrès médicaux dans le domaine de l’insémination artificielle multiplient également les cas de rupture de la filiation génétique et posent des questions éthiques nouvelles. Aussi psychologues et psychogénéalogistes explorent de plus en plus cette question (théorisée par plusieurs d’entre eux, notamment Serge Tisseron[i][3] et François Vigouroux[4]), tandis que les romanciers mettent en scène ces problématiques autour de la filiation, témoignant d’une inquiétude, d’une conscience soucieuse de ses origines sociales, géographiques, parfois même littéraires.

Ces récits fictifs ou autobiographiques montrent que le secret de famille touche à la fois à ce qu’il y a de plus intime (la sexualité tout particulièrement) et de plus universel. Les récits de malédiction transgénérationnelle sont nombreux dans la Bible et dans la mythologie gréco-romaine (Atrides, Labdacides...) ; ils soulignent nos questionnements sur la filiation, le rapport au père, la procréation..., mais ils montrent aussi la transmission d’une culpabilité, d’une faute, que l’époque contemporaine s’efforce de rationnaliser.[5] Au 19ème siècle, le récit du secret de famille illustre des interrogations liées aux moeurs, à la place des femmes dans la société, et constitue une forme de roman psychologique, avec Pierre et Jean de Maupassant. Au 20ème siècle, il porte la trace des affres du nazisme, dans Magnus de S. Germain, W ou le souvenir d’enfance de G. Perec ou Un Roman russe d’E. Carrère, sans éluder des drames plus intimistes, nous interrogeant sur notre rapport à la mort, comme dans Un Secret de P. Grimberg. Le secret lui-même importe moins parfois que la manière dont il façonne une personnalité, oriente l’histoire familiale, rompt le lien de filiation, dans Mon Coeur à l’étroit de M. NDiaye par exemple. La littérature présente ainsi de nombreux exemples de ces quêtes mêlant réalité et fiction, autobiographie et recomposition imaginaire du passé, qui interrogent sur les prétextes éthiques, sociaux, parfois politiques, qui poussent à taire une naissance adultérine, un enfant mort-né, un abandon, un parricide…

Une approche synchronique du secret de famille semble s’imposer, du fait de la multiplicité des récits qu’il inspire depuis les années 1980 et des travaux scientifiques qui nourrissent ces récits. Il serait bon d’identifier les spécificités de cette littérature narrative du secret, tout en reconnaissant sa diversité et peut-être déjà – sur ces trois décennies – son évolution. 

Comment ces récits visant à éclairer une filiation, à mettre en lumière une faute originelle, ont-ils trouvé des voies narratologiques, poétiques, pour dire cette dépendance à l’égard d’une ascendance dont on ne sait rien ou presque ? Dans quelle mesure la psychanalyse, la sociologie, les techniques d’investigation modernes ont-elles renouvelé le récit du secret ? Quelles voies nouvelles, à mi-chemin entre roman et autobiographie, ont été explorées pour exprimer cette quête de vérité ? Voilà quelques réflexions auxquelles nous vous convions.

 

Les propositions (accompagnées d’un résumé d’une dizaine de lignes) doivent parvenir avant le 15 décembre 2012

à Nathalie Wacker (nathalie.wacker@wanadoo.fr )

Ou

à Patricia Bissa-Enama (bissaenama@yahoo.fr

Et l’article devra être envoyé au plus tard le 30 juin 2013.

 

 

[1] Concept sur lequel s’appuie la typologie du roman établie par Marthe Robert, in Origines du roman et roman des origines, Paris, Grasset, 1972.

[2] Voir les travaux de A.Ancelin Schützenberger, psychothérapeute et psychogénéalogiste, auteure notamment de Aïe, mes aïeux ! (éd. Desclée de Brouwer, Paris, 1993) et de N.Canault, journaliste scientifique et philosophe, auteure de Comment paye-t-on les fautes de ses ancêtres ? (éd. Desclée de Brouwer, Paris, 2007).

[3] Serge Tisseron est psychanalyste et psychiatre, auteur notamment de Secrets de famille, mode d’emploi (aux éditions Marabout, en 2007) et Tintin chez le psychanalyste (chez Aubier Montaigne en 2000).

[4] Psychologue, François Vigouroux est l’auteur notamment de Le Secret de famille, collection Pluriel, PUF, 1993.

[5] On pense notamment à la malédiction que Noé fait peser sur Canaan, son petit-fils, pour punir son fils Cham de l’avoir vu nu, infléchissant ainsi l’histoire de tout un peuple, les Cananéens.