Revue
Nouvelle parution
Pratiques n° 139/140 : « Linguistique populaire ? »

Pratiques n° 139/140 : « Linguistique populaire ? »

Publié le par Bérenger Boulay (Source : André Petitjean)

Pratiques n° 139/140 : « Linguistique populaire ? »

Numéro coordonné par Guy Achard-Bayle et Marie-Anne Paveau 

CRESEF

ISSN:03382389


Communiqué :


Pourquoi ce numéro ? En même temps que cette livraison de la revue Pratiques, parait un numéro de l'European Review of Philosophy consacré à la Folk Epistemology (Heintz et al. (eds.) 2008). Parmi les questions abordées par les auteurs, majoritairement philosophes, certaines recouvrent exactement celles que nous posons dans notre numéro, preuve qu'il existe actuellement, en philosophie, en épistémologie, en linguistique mais aussi en psychologie, argumentation, en neurosciences, en biologie et dans bien d'autres domaines, on y reviendra, une interrogation parfois musclée sur la nature de savoirs et sur les modes de constitution et de légitimation des connaissances dites scientifiques.

L'European Review of Philosophy pose entre autres les interrogations suivantes :
@Citsansalin1 = – What is the proper domain of a folk epistemology system ?
– Do epistemic evaluations involve conscious thinking ?
– Are epistemic evaluations human-specific ?
– How does folk epistemology contribute to rational thinking ?
– What are the relations (if any) between normative epistemology, commonsense epistemology and folk epistemology ? How does folk epistemology relate to our naive understanding of truth ?
– Which aspects of culture could be explained on the basis of a folk epistemology ?
– Do subjects share the same epistemological intuitions across cultures ? Or do epistemologies vary across cultures ? (Heintz et al. 2008 : call for papers)


La place nous manque ici pour expliquer l'émergence actuelle de ces interrogations. Nous nous contenterons de rappeler quelques phénomènes bien connus : l'augmentation du niveau de connaissances des individus dû en particulier au développement des nouvelles technologies, la disponibilité accrue des savoirs dans les publications traditionnelles ou électroniques, la surdiffusion de l'information sur des supports multiples, en particulier gratuits, tous ces phénomènes (qui concernent, nous ne l'ignorons pas, surtout les pays développés), contribuent à l'augmentation des savoirs des individus, et donc à un certain effacement des différences entre professionnels du savoir (que sont les universitaires par exemple) et détenteurs profanes de savoirs ou de savoirs profanes. D'autres éléments plus confidentiels car ils concernent l'histoire des sciences peuvent être avancés : la réflexion sur les relations entre savoir et croyance est aussi vieille que la pensée elle-même, et partant, sur la validité des savoirs de sens commun non susceptibles de vérification logique (Coates 1996, Dascal 1999, Markovits 1999, Dennett 1990 [1987], Fisette & Poirier 2002) ; l'émergence d'une discipline comme l'ethnométhodologie a amené dans la seconde moitié du XXe siècle de nouveaux objets épistémologiques pour les sciences humaines comme le « savoir des membres », ou de nouvelles méthodes comme la « compréhension », en particulier à partir des récits de vie ; enfin les sciences cognitives, contrairement à leur sulfureuse réputation positiviste et naturaliste, ont été les premières à se demander comment les connaissances étaient produites dans le cerveau... de tout un chacun, et non pas des seuls scientifiques. Il nous a donc semblé pertinent, et même relativement urgent, que la linguistique française, restée jusqu'à présent un peu à l'écart de ce questionnement épistémologique, s'interroge et se laisse interroger par la dimension folk des savoirs.
En posant, au sens propre, comme l'indique notre titre interrogatif (interrogateur ?), la question de la linguistique populaire aux sciences du langage, nous poursuivons plusieurs objectifs. Nous souhaitons d'abord rendre compte de l'absence en France d'un champ identifié comme « la linguistique populaire » ou « la linguistique folk », par rapport aux domaines anglo-saxon et allemand, qui comptent parmi les sous-domaines de leur linguistique une folk linguistics ou une Volklinguistik assez bien implantée et dynamique, si l'on en croit les publications et les manifestations scientifiques repérables ces dernières années. Nous voulons également explorer voire définir ce qui pourrait relever du champ de la linguistique populaire dans le domaine francophone, par rapport à des domaines connexes et des problématiques affines comme le purisme, la grammaire normative, les travaux sur les normes, sur le métalangage ou la notion d'épilinguistique par exemple. Nous voulons également ouvrir une réflexion sur la validité de savoirs profanes, et, par conséquent, sur celle des savoirs « scientifiques », question qui est très spécifique en linguistique, dans la mesure où la réflexivité, l'introspection, la conscience linguistique et épilinguistique sont des données définitoires de la discipline. Que valent donc les intuitions des locuteurs profanes par rapport aux élaborations savantes des linguistes ? Ces derniers ne sont-ils pas aussi des locuteurs profanes ? Il nous semble enfin nécessaire de questionner les relations et les apports de la linguistique populaire à la linguistique générale et appliquée pour la connaissance et l'enseignement-apprentissage de la langue, en particulier à une période où les orientations officielles de l'enseignement de la langue à l'école et au collège promeuvent un type de grammaire qui revendique une « simplicité » et une « authenticité » peut-être proches de ce que nous appelons ici savoirs profanes ou spontanés. C'est la raison pour laquelle nous avons souhaité une réflexion sur la place, la validité et l'efficacité pédagogique des pratiques relevant plus ou moins consciemment de la linguistique populaire, mises en oeuvre par les élèves comme par leurs enseignants, dans l'enseignement de la langue à tous ses niveaux.


Sommaire
G. Achard-Bayle, M.-A. Paveau : La linguistique « hors du temple »
Ouverture initiale. Entretien avec un folk linguiste : l'historien Éric Mension-Rigau
D. Preston : Qu'est-ce que la linguistique populaire ? Une question d'importance
G. Achard-Bayle : Trivial Pursuit. Abécédaire d'identité pop-folk à l'usage des linguistes, suivant l'usage profane et savant, incluant « Le dictionnaire non- ou préscientifique et la linguistique populaire » par Amélie Cure
G. Schmale : Conceptions populaires de la conversation
M. Stegu : Linguistique populaire, language awareness, linguistique appliquée : interrelations et transitions
M.-A. Paveau : Les non-linguistes font-ils de la linguistique ? Une approche anti-éliminativiste des théories folk
M. Doury : « Ce n'est pas un argument ! » Sur quelques aspects des théorisations spontanées de l'argumentation
J.-C. Beacco : De la verve. À la recherche d'un idéal discursif ordinaire
P. Sériot, E. Bulgakova, A. Her¾en : La linguistique populaire et les pseudo-savants
J. David : Les explications métagraphiques appliquées aux premières écritures enfantines
J.-P. Jaffré, M.-F. Morin : Les activités pré-orthographiques : nature, validité et conceptions
M. Laparra : L'enfant grammairien ? L'exemple de l'apprentissage des marques graphiques du français
C. Weber : Les verbalisations ordinaires dans la classe : objets furtifs ou variables encombrantes des sciences du langage ?
F. Capucho : L'intercompréhension est-elle une mode ? Du linguiste citoyen au citoyen plurilingue

Présentation du numéroRésumés des articles : voir l'url de réf. ci-dessous.