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Nouvelle parution
Pratiques & enjeux de la réécriture dans la littérature 

Pratiques & enjeux de la réécriture dans la littérature

Publié le par Perrine Coudurier (Source : Makki Rebai & Moez Rebai)

Compte rendu publié dans Acta fabula (Novembre 2017, vol. 18, n°9) : Nessrine Naccach, "Se baigner deux fois dans le même fleuve. Enjeux et défis de la réécriture: des écrivains à l'épreuve"

 

Référence bibliographique : Moez REBAI, Makki REBAI (dir.), Pratiques & enjeux de la réécriture dans la littérature,  Paris : Presses Universitaires du Midi, Littératures, n° 74, 2016, 264 p., EAN 9782810704514.

 

 

   Harald Weinrich avait jadis appelé de ses vœux une « linguistique de la littérature » : « l’application de certaines méthodes linguistiques à des textes littéraires est féconde : elle permet d’en faire surgir certains aspects, intéressant aussi bien les linguistes que les spécialistes de littérature. » (Weinrich, Le Temps, 1973 [1964]). Paradoxalement, les travaux d’analyse littéraire d’inspiration structuraliste se sont plutôt penchés sur de grandes notions sémiologiques (paradigme, connotation, actant…) que sur des questions procédant de la linguistique en tant que discipline étudiant les propriétés des langues naturelles. « L’impérialisme linguistique, en fait, écrit Dominique Maingueneau, a surtout été un impérialisme sémiologique ». Mais tout au long des années 1980, l’analyse linguistique de la littérature a connu un regain d’intérêt grâce aux apports des théories de l’énonciation, de la linguistique textuelle et de la pragmatique. Ces approches novatrices ont permis d’examiner des « phénomènes linguistiques d’une grande finesse […], où se mêlent étroitement la référence au monde et l’inscription des partenaires de l’énonciation dans le discours » (Maingueneau, Linguistique pour le texte littéraire, 2003).

   La notion de réécriture s’avère ici particulièrement précieuse pour cerner et interroger les rapports complexes, parfois tendus, entre la linguistique et la littérature, d’autant plus que la notion, d’origine d’abord linguistique (tour à tour appelée « dialogisme » chez Bakhtine et « intertextualité » chez Kristeva), a migré dans le domaine de la poétique, grâce en particulier aux travaux de classification et de formalisation de Gérard Genette (Palimpsestes, 1982). 

   En effet, l’œuvre littéraire implique dans son essence même une certaine ambivalence. Si elle ne surgit jamais ex nihilo, s’inscrit peu ou prou dans une mémoire intertextuelle et entretient avec les écrits antérieurs diverses relations, elle constitue néanmoins nécessairement un acte de création et une démonstration d’originalité. Dès lors, les frontières entre imitation et création cessent d’être imperméables.

   Supposant à la fois proximité et distance, reproduction et écart, copie et invention, la notion de réécriture – elle-même polysémique – régit un large éventail couvrant de multiples modalités d’écriture, allant de l’imitation à la parodie, en passant par la citation, l’emprunt, le pastiche,  l’adaptation, voire le plagiat, si bien que pour certains théoriciens, tout texte est le produit d’une réécriture, l’auteur ne pouvant jamais complètement faire abstraction de son expérience de lecteur quand il conçoit son projet d’écriture. Pour se faire une place dans le champ littéraire, il est en effet tenu de faire preuve d’inventivité, tout en continuant à s’inscrire, plus ou moins explicitement, dans une certaine tradition littéraire, dont la reconnaissance lui garantit dialectiquement d’être reconnu comme écrivain.

   Le texte est une réalité « altérée » selon Bakhtine, car son unité apparente cache la présence de l’autre qui le mine de l’intérieur. Appelé « dialogisme » chez Bakhtine et « transtextualité » chez Genette, ce recoupement des textes prend diverses formes et acquiert différentes fonctions. L’exploitation plus ou moins manifeste des paroles de l’autre dans un énoncé relève de la réécriture et viserait le dépassement du texte originel et la création d’un texte nouveau.

   La réécriture peut d’abord se manifester sous forme d’imitation, voire de plagiat dans le cas d’un écrivain débutant faisant ses premiers pas dans l’univers de la création littéraire, d’un épigone prenant pour maître un auteur célèbre. Le nouveau texte s’inspire alors du texte modèle, en reprend des thèmes, des personnages ou des situations, en reproduit des passages, en imite le style ou encore le ton.

   La réécriture consiste également à transformer un texte, à le « réinvestir » selon le terme de Dominique Maingueneau, car cette pratique « vise moins à modifier qu’à exploiter dans un sens destructif ou légitimant le capital d’autorité attaché à certains textes ». En effet, en réécrivant le texte d’un prédécesseur, l’écrivain accrédite son œuvre d’une part de légitimité et lui confère une certaine autorité – celle du modèle. Cependant, le nouveau texte (« l’hypertexte ») renforce inversement la légitimité du modèle réécrit. Mais il arrive tout aussi bien qu’en réinvestissant un texte existant, l’auteur du texte nouveau cherche à le caricaturer ou à le tourner en dérision, adoptant ainsi une attitude subversive et une démarche parodique fondée sur l’imitation burlesque d’un texte a priori sérieux. C’est en particulier le cas d’une grande orientation du roman postmoderne qui appréhende l’Histoire, non plus comme un ensemble figé de faits historiques, mais comme une matrice d’événements légitimés ou accrédités par l’écriture même et plus ou moins fictionnalisés. La réécriture tend alors à corriger les textes de l’Histoire officielle en faisant émerger des aspects ou des événements jusqu’alors insoupçonnés ou escamotés.

   La réécriture peut aussi prendre une autre forme quand l’écrivain reprend son propre texte pour le corriger, l’améliorer, en adaptant par exemple son roman au théâtre. Les versions successives d’une œuvre témoignent ainsi souvent d’un désir de perfection scripturale devant idéalement conduire l’auteur à la reconnaissance et à la notoriété. Dans cette perspective, les « lettres de travail », formule par laquelle Pierre-Marc de Biasi désigne l’échange épistolaire portant sur l’évolution de l’œuvre d’un écrivain, acquièrent une importance capitale dans la mesure où elles sont susceptibles de jeter un éclairage nouveau sur les mobiles, les enjeux et les finalités de la réécriture, mais également sur l’évolution du style et les préoccupations esthétiques d’un écrivain.