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Pour une histoire de l’incrédulité à l’époque moderne (Séminaire de J.-P. Cavaillé )

Pour une histoire de l’incrédulité à l’époque moderne (Séminaire de J.-P. Cavaillé )

Publié le par Arnauld Welfringer (Source : Jean-Pierre Cavaillé)

Pour une histoire de l’incrédulité à l’époque moderne

 

Séminaire sous la responsabilité de Jean-Pierre Cavaillé, 2e et 4e lundi, 105 bd Raspail, salle 1, 17h-19h

 

Calendrier novembre-janvier

 

Nota bene : une partie du séminaire sera associée cette année à la charge de conférences complémentaires d’Alain Mothu, consacré au thème Parcours de l’incroyance, XVIe-XVIIIe siècle (voir descriptif ci-dessous). Alain Mothu interviendra selon la même fréquence bimensuelle (2e et 4e lundi), de 15h à 17h, dans le même lieu (105 bd Raspail, salle 1). Des séances communes seront envisagées.

 

13 novembre 2006

17h-19h, séance introductive, Jean-Pierre Cavaillé : Pour une histoire politique des pratiques de représentation et d’énonciation : les énoncés de l’incrédulité (XVIe-XVIIIe siècle)

 

27 novembre 2006

17h-19h, Jean-Pierre Cavaillé : De tribus impostoribus, un livre né de sa propre rumeur.

 

11 décembre 2006

15h-17h, Alain Mothu : Visiter le passé intellectuel. Le problème de la croyance au XVIe siècle.

17h-19h, Luca Addante : Athéisme triomphant, Campanella et la dissimulation entre Machiavel et libertinage.

 

8 janvier 2007

15h-17h, Alain Mothu : Les professions maudites, I. Médecine et athéisme
(16e-17e s.).

17h-19h, Jean-Pierre Cavaillé : Dénominations et définitions de l’athéisme. Gisbert Voet, De athéismo, 1639.

 

22 janvier 2007

15h-18h, séance collective consacrée à alchimie et irréligion avec Alain Mothu, Sylvain Matton et Didier Khan.

 

Nous poursuivrons notre réflexion sur les écritures sous contrainte au début de l’époque moderne, en revenant plus particulièrement sur la question des conditions de possibilité des modes d’écriture à travers lesquelles s’exprime la mise en cause plus ou moins radicale des objets de foi et de piété (miracles, possessions, dogmes, Dieu de la révélation, existence d’une divinité distincte de la nature, etc.). On voudrait, autrement dit, affronter les problèmes si controversés de l’_expression écrite et de la publication de l’incrédulité, de l’impiété et de l’athéisme entre XVIe et XVIIIe siècles. Mais il s’agira surtout de tenter une reformulation des difficultés et apories rencontrées en ce domaine par les historiens de la philosophie, des idées religieuses ou du « libertinage », en refusant de séparer les questions de doctrine de la question des contraintes, externes (procédures censoriales, judiciaires, etc.), mais aussi internes (question du lexique, de l’acceptabilité discursive, etc.), qui pèsent sur les textes de l’époque. Dans cette optique, il est de la plus grande importance d’observer et d’analyser les transformations, en fait extrêmement rapides, des procédures théoriques de critique de la religion, des dispositifs rhétoriques et du vocabulaire, qu’il convient d’étudier en relation étroite avec les mutations des procédures censoriales et répressives. Il s’agit, autrement dit, de tenir le plus grand compte des transformations à la fois quantitatives et qualitatives de la littérature désignée comme véhicule de l’impiété en moins d’un siècle et demi (disons entre le Fléau de la foi de Geoffroy Vallée et le Mémoire du curé Meslier) et de tenter d’en comprendre la dynamique.

Cette démarche nous conduit à distinguer l’écriture d’autres formes d’_expression (orales, gestuelles, comportementales) de l’impiété et de l’incrédulité, et d’envisager, dans l’articulation de ces divers types d’action, ce que pourrait être une histoire sociale de l’irréligion et de la mécréance, dont les formes écrites (et à plus forte raison leur affirmation proprement théorique) ne seraient qu’une partie et où les acteurs appartiendraient à toutes les strates de la société d’ancien régime et non aux seules « élites » productrices d’écrits.

 

D’importants éléments de documentation (bibliographies, textes, comptes rendus) sont accessibles en ligne à l’adresse URL :

http://www.ehess.fr/centres/grihl/

 

Parcours de l’incroyance, XVIe-XVIIIe siècles

 

Alain Mothu

 

 

Si l’on pose que les sociétés d’Europe occidentale se déprennent progressivement du christianisme, des religions en général et même de Dieu entre le XVIe et le XVIIIe siècles (position historiographique que nous aurons à préciser et nuancer de plusieurs manières), quels en furent les principaux vecteurs ? On a parlé notamment de l’Humanisme, soit de la résurgence des philosophies antiques pré-chrétiennes (épicurisme, scepticisme, stoïcisme,…) ; de l’essor de la philologie, dont les Écritures et certains dogmes auront à souffrir, et de celui de l’imprimerie, qui donnera un écho inédit aux moindres dissidences et mettra la Bible à la portée du grand nombre ; de structures économiques nouvelles ayant favorisé l’individualisme et la sécularisation des valeurs ; des secousses produites par la Réforme, les désillusions qu’elle provoqua et les guerres de religion ; de la découverte de nouveaux mondes, en particulier l’Amérique ; et, bien sûr, on a parlé de l’effondrement de l’ancien schéma cosmologique et anthropologique ou, plus généralement, de l’éclosion des sciences physico-mathématiques et biologiques. On a encore évoqué un long suicide de la théologie et de l’apologétique chrétiennes, qui seraient allé jusqu’à donner vie aux phantasmes déistes ou athées qu’ils combattaient. Tous ces facteurs s’enchevêtrent et parfois s’opposent dans les études modernes. Un bilan semble s’imposer : il formera l’un des axes de notre enquête ou, du moins, restera à son horizon.

 

Si une synthèse historiographique objective sur la « genèse de l’incroyance » à l’époque moderne est ardue, peut-être même impossible, nous voudrions au moins, au cours de ces conférences, mettre au service des chercheurs quelques matériaux utiles à sa construction. Notre bilan voudra y servir, mais nous essaierons aussi de mettre l’accent sur quelques facteurs assez peu étudiés ou franchement méprisés des historiens de notre modernité.

 

De quelle manière ? En explorant d’abord, comme en laboratoire, la vie et les textes de plusieurs minores chez lesquels se décèle l’irruption d’une rationalité hostile à la « foi ». À cet égard, les dits « Libertins » du XVIIe siècle, très étudiés depuis plusieurs décennies, retiendront moins notre attention que des personnalités originales du XVIe comme Geoffroy Vallée (exécuté en 1574 pour avoir publié un Fleo de la foy) ou Noël Journet (brûlé en 1582 à cause de deux ouvrages perdus où les incohérences de l’Écriture Sainte étaient vertement dénoncées), ou même du XVIIe siècle, comme Jean Patrocle Parisot (auteur condamné de La Foy dévoilée par la raison, 1681). L’étude de ces auteurs et de quelques autres nous permettra d’entrevoir si certains ferments spiritualistes « mystiques » et illuministes « joachimites » n’ont pas fertilisé l’incroyance aux temps modernes, au moyen notamment d’une laïcisation de l’Esprit Saint (lequel, par un mouvement d’intériorisation et d’individualisation, se confond avec l’esprit rationnel, l’intellect) et d’une “historicisation progressiste” de la Révélation (l’avènement de l’Âge de l’Esprit rendant superflu tout culte religieux).

 

Dans le même mouvement – le livre de Parisot nous y invitant, ainsi que plusieurs « manuscrits philosophiques clandestins » – nous pourrons aussi nous demander si certaines doctrines philosophico-alchimiques et / ou paracelsiennes n’ont pas, elles aussi, participé au progrès de l’incroyance en Europe, en tendant par exemple à identifier Dieu à la nature (via l’Esprit universel du monde), en donnant vie et en magnifiant certains éléments de la matière, en suggérant que l’homme puisse naître par génération spontanée ou que l’âme humaine puisse être une sorte de produit de distillation biologique (un gaz rare…). Cette tradition de pensée est aujourd’hui largement négligée dans les Histoires du matérialisme, au même titre que le matérialisme chrétien hérité de Tertullien, selon lequel l’âme et les anges sont matériels, et qui se survit pourtant jusqu’aux temps modernes ; au même titre encore que l’astrologie judiciaire, à travers ses thèmes du déterminisme astral et de l’horoscope des religions ; ou encore – quoique à un moindre degré – au même titre que la magie naturelle ou ce que, à la fin du XVIIe siècle, on a appelé le « panthéisme » et le « quiétisme ». Nous croiserons tous ces courants de pensée et toutes ces problématiques au cours de notre enquête.

 

Un sujet comme « Parcours de l’incroyance » supposera que nous nous intéressions aussi à ses modes d’_expression et de diffusion. Nous y consacrerons une petite partie de notre temps, en faisant le point sur les « manuscrits philosophiques clandestins » des XVIIe et XVIIIe siècles et en évoquant la légende pluriséculaire du De tribus impostoribus.

 

Nos conférences s’inscriront dans le prolongement de recherches, pour certaines déjà publiées, mais que nous nous attacherons à développer (Vallée, Parisot, le matérialisme paracelsien, les manuscrits clandestins, etc.) ; pour d’autres, de recherches à peine amorcées (Journet, le matérialisme chrétien, le spiritualisme incrédule, le déterminisme astral, etc.). À propos de ces dernières, et parallèlement aux conférences, nous proposerons à l’E.H.E.S.S. la mise en ligne de plusieurs documents rares ou inédits.