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Portraits et autoportraits d’écrivains sur écrans (cinéma, audiovisuel, web)

Portraits et autoportraits d’écrivains sur écrans (cinéma, audiovisuel, web)

Publié le par Marc Escola (Source : Marion Brun)

Portraits et autoportraits d’écrivains sur écrans (cinéma, audiovisuel, web)

L’« image d’auteur » et sa représentation médiatique sont des axes de recherche prépondérants dans les analyses littéraires actuelles : les outils élaborés par Dominique Maingueneau[1], Ruth Amossy[2], José-Luis Diaz[3] ou encore Jérôme Meizoz[4] témoignent de la présence de l’écrivain comme acteur de la vie publique et culturelle. Parler de « portrait » déplace quelque peu le discours de la métaphore dramatique (« scène » ou « mise en scène ») vers la métaphore picturale qui met au cœur de la réflexion, l’image, fondamentale pour les arts et les médias cinématographique, audiovisuel et numérique. Cette journée d’étude s’inscrira dans ces perspectives de recherche en analysant particulièrement les stratégies de « visibilité[5] » et de « célébrité[6] » des écrivains à travers ces documents et les scénarios adoptés. 

Si le portrait du peintre au cinéma a été largement traité[7], ce qui témoigne du dialogue privilégié entre ces deux arts, celui de l’écrivain a rarement fait l’objet d’études d’ensemble. Le colloque « Portraits et autoportraits d’auteur : l’écrivain mis en images[8] » qui se tiendra le 12 et 13 octobre 2018 exclut l’image animée. La plupart des études consacrées au portrait d’écrivains s’intéresse davantage à l’image fixe et à la photographie qui paraissent dans les reportages et les entretiens de presse[9] ou radiophoniques (filmés) et que l’on peut sans doute tenir pour les origines du sujet considéré[10]. Sans doute le statisme de la posture attribuée à l’écrivain, couramment représenté en penseur et en rêveur « assis », s’accorde-t-il davantage avec la photographie qu’avec le cinéma, art du mouvement. Nadja Cohen consacre toutefois un dossier sur les Écrivains à l’écran[11] : quoique s’intéressant aux écrivains réels et fictifs, son étude traite surtout du personnage d’écrivain au cinéma. 

Pour notre part, nous nous intéresserons à la représentation d’écrivains (réels et fictifs) dans l’image animée documentaire et de fiction, sur grand et petit écran mais aussi sur le web. Le corpus comprendra donc des entretiens[12] filmiques, des courts ou des longs métrages, des biopics ou bien encore des vidéos biographiques ou autobiographiques (lorsque l’écrivain a pris une part dans la réalisation et l’écriture du film) en ligne sur des blogs ou des sites personnels. Les communications pourront traiter le sujet selon les axes suivants, établis à titre indicatif :

Axe I : Biographie, autobiographie, scénographie

Nous pourrions envisager des questionnements sur le genre du portrait cinématographique d’écrivain : suit-il les étapes traditionnelles et attendues des biographies d’auteur, selon une chronologie linéaire par exemple ou des jalons attendus « jeunesse », « maturité »…) ? Ce cinéma verse-t-il dans l’hagiographie ou la mythographie décriées par Theodor Adorno, qui qualifie ce genre de « camelote culturelle » qui joue de « la lie de la psychologie »[13] et du culte de la personnalité ? Quelles sont les realia utilisées par les réalisateurs ?  Comment sont traités la table de l’écrivain et ses objets, emblématiques[14] ?S’agit-il de reconduire la scénographie stéréotypée de l’écrivain à sa table de travail ou en pleine méditation lors d’une promenade improvisée ou, encore, en société ? Ces interrogations rejoignent alors pour partie les réflexions de Paul Valery, théoricien du musée[15] et de l’exposition littéraire pour qui le « problème général d’une Exposition » serait celui de de rendre sensible le travail de l’écrivain et de l’Esprit à l’œuvre en valorisant, par exemple, les différentes strates des manuscrits d’une œuvre. Au contraire, l’image animée et les supports médiatiques employés ont-ils vocation à bousculer cet imaginaire éculé de l’écrivain et de la littérature et par quels moyens ?

Axe II : le génie du décor : mise en scène de soi, mise en scène du chez-soi

Dans cette perspective, on pourrait axer la réflexion sur la représentation des lieux de création (cabinet de travail, salon-bureau, chambre, extérieurs…) : celle-ci a-t-elle pour fonction de générer une imagerie légendaire et glorifiante, ou de satisfaire les appétits voyeuristes du spectateur ? Ainsi, l’on pourra accorder une attention toute particulière à la figuration du domicile de l’écrivain dont l’aménagement et la décoration prennent parfois une place prépondérante dans ces films au point de structurer le parcours biographique et littéraire de l’auteur, voire de constituer un sujet indissociable de sa biographie et de son œuvre dans l’esprit de la Maison d’un artiste d’Edmond de Goncourt. Aussi certains de ces films sont-ils l’occasion de consacrer les lieux de vie et de création de l’écrivain dans l’imaginaire collectif et de les faire valoir, dans certains cas, comme des œuvres à part entière. Ainsi de Hauteville House pour Hugo, de l’hôtel Pimodan (hôtel de Lauzun) pour Baudelaire et Gautier par exemple, d’Arnaga pour Rostand, de Malagar pour Mauriac ou encore des Roches noires pour Duras. Nous pourrons porter également une attention particulière au corps de l’écrivain dans la mesure où le film parlant et l’image animée offrent la possibilité de faire coïncider le visage et la voix de l’écrivain, et celle de représenter l’écrivain en mouvement.

Axe III : Littérature et images animées, le portrait intermédial

Le choix du medium et du support filmique pour retracer un parcours littéraire pourrait être interrogé : ce choix fait-il sens au regard de l’intérêt de l’écrivain pour l’art cinématographique ? Comment le film fait-il la monstration de l’écriture ? Comment générer de l’« action » par le récit de l’écriture ? Car, comme l’écrit Alain Boillat : « Bien que le cinéma ne soit pas avare en figures de romanciers ou de poètes, le film narratif s’accommode mal du déficit en termes de spectaculaire et d’action qu’implique la monstration de l’écrit, et développe en général des stratégies narratives visant à nier la matérialité du texte[16] ».

Axe IV : portrait cinématographique et histoire littéraire

Comment les portraits cinématographiques permettent-ils de changer l’« image de marque » de l’écrivain au cours de sa carrière ? Le portrait cinématographique reconduit-il l’imagerie traditionnelle de cet auteur ou contribue-t-il à proposer un nouveau récit ? Vient-il confirmer ou infirmer ce que l’histoire littéraire a fixé dans l’imaginaire collectif ? Le biopic, par exemple, n’entre-t-il que dans une logique patrimoniale et légitimante, comme l’affirme Dennis Bingham en écrivant que ce genre « fait entrer le sujet biographique dans le panthéon de la mythologie culturelle[17] » ? En quoi cet effet de présence de l’écrivain peut-il avoir une influence sur notre lecture in absentia ?

Modalités

Les propositions de communications (300 mots) comportant une bio-bibliographie seront à adresser à marieclemenceregnier@hotmail.com et marion_brun@ymail.com au plus tard le 4 janvier 2019.

Les propositions seront examinées par le comité scientifique composé de Jean-Louis Jeannelle, Jérôme Meizoz, Ugo Ruiz, Adeline Wrona, Gilles Bonnet, Servanne Monjour et Nadja Cohen.

La journée d’études aura lieu à l'Université d'Artois le 20 juin 2019. Elle donnera lieu à une publication.

 

 

[1]Dominique Maingueneau, Le discours littéraire, Paratopie et scène d’énonciation, Paris, Armand Colin, 2004. 

[2]Ruth Amossy, La présentation de soi, ethos et identité verbale, Paris, Presses Universitaires de France, 2010. 

[3]José-Luis Diaz, L’Écrivain imaginaire. Scénographies auctoriales à l’époque romantique, Paris, Champion, coll. « Romantisme et modernités », 2007.

[4]Jérôme Meizoz, Postures littéraires, mises en scène modernes de l’auteur, Genève, Slatkine Érudition, 2007. On peut aussi penser aux travaux de David Martens : David Martens et Myriam Watthée-Delmotte (dir.),L’écrivain, un objet culturel, Dijon, Éditions universitaires de Dijon, coll. « Écritures », 2012 ; David Martens et Nausicaa Dewez, « Table d’orientation », Interférences littéraires / Literaire interferenties, dans David Martens et Nausicaa Dewez (dir.), « Iconographies de l’écrivain », mai 2009, n° 2.

[5]Nathalie Heinich, De la visibilité, excellence et singularité en régime médiatique, Éditions Gallimard, 2012. 

[6]Antoine LiltiFigures publiques. L'invention de la célébrité (1750-1850), Paris, Fayard, coll. « L'épreuve de l'histoire », 2014.

[7]Gilles Mouëllic et Laurent Le Forestier (dir.), Filmer l’artiste au travail, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2013. 

[8]Caroline Marie, Xavier Giudicelli, « Portraits et autoportraits d’auteur : l’écrivain mis en images », 12 et 13 octobre 2018, Paris VIII.

[9]Voir Jean-Pierre Bertrand, Pascal Durand et Martine Lavaud (dir.), Le portrait photographique d’écrivain, COnTEXTES, n°14, 2014, [en ligne] https://journals.openedition.org/contextes/5904, consulté le 11 avril 2018.

Voir David Martens, Jean-Pierre Montier et Anne Reverseau (dir.), L’écrivain vu par la photographie, formes, usages, enjeux, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2017. MarieBlaise, Marie-Ève Thérenty et Sylvie Triaire(dir.), L’interview d’écrivain. Figures bibliques d’autorité, Montpellier, Presses universitaires de la Méditerranée, coll. « Collection des littératures », 2014 ; Elizabeth Emery,Le photojournalisme et la naissance des maisons-musées d’écrivains en France (1881-1914), traduit par Jean Kempf et Christine Kiehl ; avant-propos de Dominique Pety, Chambéry, Université Savoie Mont Blanc, coll. « Écriture et représentation », vol. 32, 2016.

[10]Pierre-Marie Héron (dir.), Écrivains au micro : Les entretiens feuilletons à la radio française dans les années cinquante, Nouvelle édition [en ligne], Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010.

[11]Nadja Cohen, Écrivains à l’écranCaptures, figures, théories et pratiques de l’imaginaire, volume n°2, numéro 1, mai 2017, [en ligne], http://revuecaptures.org/dossier/%C3%A9crivains-%C3%A0-l%E2%80%99%C3%A9cran, consulté le 11 avril 2018.

[12]Sur la question de l’entretien, voir Galia Yanoshevsky, « L’entretien littéraire, un objet privilégié pour l’analyse de discours ? », Argumentation et analyse du discours, n° 12, 2014, [en ligne] https://journals.openedition.org/aad/1726?lang=en, consulté le 11 avril 2018.

[13]Cité sans référence par Valentine Robert « Introduction, fictions de la création : la peinture en abyme et le cinéma en question », dans Gilles Mouëllic et Laurent Le Forestier (dir.), Filmer l’artiste au travail, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2013, p. 16.

[14]Voir sur cette question, Marie-Ève Thérenty et Adeline Wrona, Objets insignes et objets infâmes de la littérature, colloque 19-20 mai 2015, Paris. 

[15]Paul Valéry, Le problème des musées dansŒuvres complètes, Paris, Gallimard, coll. « Pléiade », 1960, p. 1290 et suiv. ; Ébauche et premiers éléments d’un Musée de la Littérature, présentés sous la direction de Julien Cain, préface de Paul Valéry, Paris, Éditions Denoël, 1938

[16]Alain Boillat, « Le déni de l’écrit à l’écran. L’écrivain, son œuvre et l’univers filmique », Décadrages [En ligne], 16-17 | 2010, mis en ligne le 10 février 2011, consulté le 11 avril 2018. URL : http://journals.openedition.org/decadrages/236 ; DOI : 10.4000/decadrages.236.

[17]Dennis Bingham, Whose Lives are they Anyway ? The biopic as Contemporary Film genre, New Brunswick/New Jersey/London, Rutgers University Press, p. 10, traduction d’Alain Boillat.