Questions de société

"Police partout, profs nulle part", Par Bernard Girard (Rue 89, 22/06/09)

Publié le par Bérenger Boulay

Police partout, profs nulle part

Par Bernard Girard | Enseignant blogueur | 22/06/2009 |

http://www.rue89.com/2009/06/22/police-partout-profs-nulle-part

Dans sa proposition de loi sur « la lutte contre les violences de groupes et la protection des personnes chargées d'une mission de service public », loi dont la discussion publique est prévue pour les jours qui viennent, Estrosi s'auto-congratule :

« A l'exception de certains syndicats de magistrats etcertains avocats (…) l'ensemble des personnes entendues par votrerapporteur se sont félicitées du dépôt de la présente proposition deloi. »

C'est un gros mensonge par omission : pour être honnête, Estrosiaurait dû préciser que, sur les quarante personnes auditionnées par sessoins, dix-sept représentent les syndicats de police, trois lapréfecture de police, quatre le ministère de l'Intérieur, un leministère de la Défense, cinq sont magistrats, deux avocats, sansoublier l'inénarrable Alain Bauer, président de l'Observatoire national de la délinquance.

Un loi sur l'école élaborée sans les représentants du monde éducatif

Quoiqu'une large partie du texte touche aux établissements scolaireset aux enseignants, on relève l'absence totale des enseignants et desreprésentants du monde éducatif : pour légiférer sur l'école, Estrosin'a pas jugé nécessaire de prendre l'opinion des premiers concernés,sans doute jugés peu crédibles sur le sujet.

Dans le cours de la discussion, Sandrine Mazetier, députée PS, a justement fait observer à ce sujet :

« Si l'on entend véritablement “sanctuariser” lesétablissements scolaires, le mieux est d'associer la communautééducative à l'élaboration des mesures tendant à prévenir lesviolences. »

L'Education nationale avait néanmoins délégué devant la commissiondeux fidèles serviteurs, en la personne du recteur de l'académie deCréteil, très en cour auprès de son ministre de tutelle, mais aussi dela proviseure du lycée de Gagny.

Le fait que son établissement ait été victime il y quelques semaines d'un très médiatique incidentest sans doute un gage de compétence pour Estrosi. Une de ses seulesinterventions a consisté à souligner « l'importance des équipementsanti-intrusions dont doivent pouvoir se doter les établissements »,omettant quand même au passage de signaler que le lycée qu'elle dirigeétait déjà sous vidéo-surveillance lorsqu'une agression s'y estproduite.

Pour le recteur d'académie, c'est « l'absence de sanction immédiatedes jeunes très rapidement relâchés après leur interpellation [qui]mine l'autorité de l'école et la confiance des enseignants ». Dans labouche de ce haut fonctionnaire de l'éducation, on n'a rien entendu quifasse référence, même de loin, à l'éducation…

Avec un débat sur les violences scolaires phagocyté par la police,l'expertise, l'expérience et les compétences du terrain sont tenuespour quantité négligeable, ce qui permet aux intervenants de se livreraux affabulations les plus ridicules sans risquer le démenti.

Les accents dignes de saint Jérôme effrayé par les hordes barbares àl'assaut de l'Occident, se retrouvent dans le tableau apocalytiqued'Estrosi dénonçant « les invasions d'établissements scolaires avec desarmes ».

Avant d'être une cause de délinquance, l'absentéisme est la conséquence de l'échec scolaire

Alain Bauer s'inquiète, lui, de « l'absentéisme scolaire dans lesecondaire qui contribue au développement des bandes territoriales parune occupation quasi continue des territoires » (sic), manifestant parlà une affligeante méconnaissance du sujet : outre que l'absentéismereste en France, contrairement à la Grande-Bretagne par exemple, à unniveau relativement bas (2 à 3% au collège, 5 à 6% au lycée), il fautcomprendre qu'avant d'être une cause de délinquance, l'absentéisme estd'abord la conséquence de l'échec scolaire.

La qualification pénale du phénomène ne peut conduire qu'à sonaggravation, comme le montre, justement, l'exemple de laGrande-Bretagne. Cette ignorance de la réalité quotidienne desétablissements, jointe à une bonne dose de mauvaise foi, conduit à un grossier amalgame entre incivilités et délinquance :pour Estrosi, « les actes d'incivilité, les insultes ne sauraient êtretolérées, car d'une part elles entretiennent un climat exécrable, peupropice à l'enseignement et d'autre part le silence de l'autorité enpareil cas ne peut être perçu que comme un encouragement à lacommission d'actes de violence plus graves encore ».

Avec des informations prises exclusivement dans les commissariats plutôt qu'auprès des établissements scolaires, Estrosi n'est pas intellectuellement équipépour admettre que les insultes à l'école ne sont jamais « tolérées » nipassées sous « silence » mais que les enseignants, du moins pour lamajorité d'entre eux, ne sont sans doute pas disposés à considérerleurs élèves comme des délinquants en puissance ni à se considérercomme des auxilaires de police.

Vers la criminalisation de l'action politique et des revendications sociales

Pas davantage que celles qui l'ont précédée, cette nouvelle loi, defaçade, de circonstance -Estrosi en attend, comme récompense, unenomination au gouvernement- n'est évidemment pas en mesure d'apporterune solution aux problèmes de l'école.

Ce n'est pas son objectif : on devrait d'ailleurs s'intéresser de plus près à l'article 431-23 du texteen question qui prévoit une peine de trois ans de prison et de 45 000euros d'amende pour tentative d'intrusion « si le délit est commis enréunion, c'est-à-dire par au moins deux personnes. »

Les lycéens qui font le mur au cours d'une manifestation lycéenne,comme les parents d'élèves qui occupent l'école pour protester contrela fermeture d'une classe, sont évidemment concernés. Avec la loi surles bandes, c'est en réalité la criminalisation de l'action politiqueet des revendications sociales qui se trouve renforcée.

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