Revue
Nouvelle parution
Poétiques de l’archive (Protée, hiver 2007-2008)

Poétiques de l’archive (Protée, hiver 2007-2008)

Publié le par Gabriel Marcoux-Chabot (Source : Site web de la revue)

Protée est une revue universitaire dans le champ diversifié de la sémiotique, définie comme science des signes, du langage et des discours. On y aborde des problèmes d'ordre théorique et pratique liés à l'explication, à la modélisation et à l'interprétation d'objets ou de phénomènes langagiers, textuels, symboliques et culturels, où se pose, de façon diverse, la question de la signification.


Vol. 35, no 3 (hiver 2007-2008)
Sous la direction de Marie-Pascale Huglo


Marie-Pascale Huglo
Présentation

Robert Dion et Mahigan Lepage
L’archive du biographe. Usages du document dans la biographie d’écrivain contemporaine
La biographie d’écrivain contemporaine (sur un écrivain par un écrivain) – et les nombreux genres voisins : le roman biographique, l’essai biographique, la fiction biographique, le roman du biographe, etc. – se signale par un usage particulier de l’archive qui la distingue des biographies plus conventionnelles signées par des universitaires ou par des journalistes. Dans des ouvrages comme Le Perroquet de Flaubert de Julian Barnes, Rimbaud le fils de Pierre Michon ou Morts imaginaires de Michel Schneider, l’archive n’a pas pour unique fonction d’étayer le récit, d’attester que telle chose ou tel événement a été : elle ne disparaît pas sous la surface narrative du récit de vie, elle est au contraire exhibée, questionnée, quand ce n’est pas triturée ou tout simplement créée, entre fonction d’authentification et fonction de fabulation. L’article que nous proposons poursuit deux objectifs qui en ordonnent les deux parties. Le premier est d’interroger le statut de l’archive dans la praxis biographique en suivant le parcours qui va de sa médiatisation à son appropriation, parcours illustré par plusieurs exemples tirés de notre corpus. Le second objectif, qui consiste à observer de près le travail de l’archive dans une biographie contemporaine, est au fondement de notre deuxième section : l’étude de la biographie d’un « écrivain » pour le moins surprenant, Vladimir Ilitch Oulianov dit Lénine, par Dominique Noguez (1989).

Catherine Douzou
Naissance d’un fantôme. Dora Bruder de Patrick Modiano
Dora Bruder est une œuvre ambiguë en ce qu’elle se présente comme un livre d’archives et de traces, construit sur l’enquête que mène un narrateur pour découvrir la vérité sur une jeune fugueuse pendant l’Occupation. Il a d’abord appris son existence par un avis de recherche lu dans un vieux journal de 1941. Mais ces archives, sans cesse sollicitées et citées, ne permettent pas d’accéder à ce que cherche le narrateur. Il ne peut communier avec la jeune Juive, finalement déportée à Auschwitz, que par un effet d’identification et d’imagination qui reconstruit la fiction là même où, doutant de la littérature, il voulait la bannir. L’enquête comme mise en scène de l’archive se penche alors sur l’écriture de l’Histoire comme sur le pouvoir de la littérature à dire le réel et à conserver la mémoire. Le livre mémorial devient lui-même archive et trace, tombeau monumental de destins minimes, mais redécouvre la valeur heuristique et dénonciatrice de la fiction.

Élisabeth Nardout-Lafarge
Des anciennes photos à l’archive de pierre
Cet article décrit quelques-unes des modalités d’appropriation de l’archive dans quatre récits de Pierre Bergounioux, La Maison rose, Miette, B-17 G et La Mort de Brune, depuis les photographies anciennes jusqu’à l’édifice qui abrite les archives elles-mêmes. Par une appropriation dynamique où le récit convoque l’archive pour débattre avec elle et la mettre à l’épreuve, ces textes l’incorporent au projet d’ensemble de l’œuvre attachée à la compréhension de ce qui du passé détermine le présent.

Marielle Macé
« Le réel à l’état passé ». Passion de l’archive et reflux du récit
Notre passion pour l’archive se nourrit d'un certain renoncement à l'emportement romanesque : le rapport d'attestation, de conservation, voire de sidération que l’écriture de l’archive nous invite à entretenir avec notre passé n’est pas sans lien avec ce que Ricœur appelait la « nuit de l'entendement narratif ». La documentation collectée par Roquentin dans La Nausée, le rassemblement d’un répertoire photographique du monde proustien par Roland Barthes, le goût actuel des récits de filiation sont autant d’exemples permettant d’observer le triomphe durable du thème mémoriel et sa force émotionnelle, mais aussi de l’associer à une crise déjà ancienne du récit prospectif dont cet article souhaite exposer les enjeux.

Manon Plante
« La copia » de l’art de poésie. À propos de Quelque chose noir chez Jacques Roubaud
Cet article étudie les statuts et les enjeux de l’archive dans le cas particulier de la réécriture faite par Jacques Roubaud, dans le recueil Quelque chose noir (1986), du Journal (1984) d’Alix Cléo Roubaud, son épouse, décédée en 1983. Nous analyserons ce diptyque en nous intéressant à l’effet de répétition produit par le dispositif intertextuel, et surtout aux libertés prises par le poète à l’intérieur de cette copia (déplacements sémantiques, grammaticaux ou syntaxiques). Nous tenterons d’observer comment le travail de deuil et la réorganisation de la mémoire privée, intime, visent à une réinvention de formes appartenant à la tradition, notamment celle du tombeau poétique et, plus généralement, celle du poème lyrique, en ce qui a trait à la représentation et à la récitation. Enfin, nous montrerons comment ce travail sur l’archive convoque de manière paradoxale une pensée à la fois de la disparition et de l’inscription, qui s’accorde aux thèses roubaldiennes sur la création poétique et la mémoire.

Bernard Magné
Le Cahier des charges de La Vie mode d’emploi : pragmatique d’une archive puzzle
À partir d’une réflexion générale sur le statut de l’archive dans l’œuvre de Georges Perec, je propose d’analyser les principaux mécanismes énonciatifs du Cahier des charges de La Vie mode d’emploi. À cette fin, je distingue dans cet avant-texte deux grandes instances énonciatives : d’une part le scribe, qui regroupe quatre fonctions (le transcripteur, le coordonnateur, le comparateur et l’adaptateur) et d’autre part le scripteur, qui en regroupe huit (le contrôleur, l’actualisateur, le décideur, le gloseur, le scénariste, le rédacteur, l’« æncreur » et l’individu). Illustrée par des exemples très précis empruntés au manuscrit du Cahier des charges, l’analyse de ces différentes fonctions met en lumière les mécanismes spécifiques qui les sous-tendent, les effets qu’elles produisent sur le lecteur et révèle toute la complexité d’un avant-texte qu’on ne saurait réduire à un simple catalogue de contraintes et de consignes oulipiennes.


Hors dossier

Hamid Reza Shairi
Réexamen du parcours narratif : place et types de la sanction.« Comment peut-on être Persan ? »
Par leurs diversités culturelles, les discours sont souvent le moyen de fournir à la théorie une force innovante. Le petit conte persan auquel nous nous intéressons ici nécessite une révision du régime narratif classique puisque le modèle standard de la narrativité semble insuffisant pour son examen. En effet, cette étude s’efforce de montrer comment le discours persan nous met en présence d’un parcours qui, nourri de la problématique de la tensivité et du corps, déplace les phases du schéma narratif en le faisant débuter par une sanction anticipée et manipulatoire. Nous verrons par la même occasion en quoi cette sanction procure à la narrativité une dimension sensible et phénoménologique. Cela nous permettra de constater que l’interaction des plans sémiotiques aboutit à l’insertion des dimensions axiologiques – impressive, émotionnelle et cognitive – dans le parcours narratif pour créer deux formes de vies distinctes : commencer par la fin ; finir par le commencement.