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Poétique et politique de la ruine au cinéma et au théâtre depuis 1945 (Oxford & Paris Nanterre)

Poétique et politique de la ruine au cinéma et au théâtre depuis 1945 (Oxford & Paris Nanterre)

Publié le par Marc Escola (Source : Anne-Violaine Houcke)

Poétique et politique de la ruine au cinéma et au théâtre depuis 1945

Appel à communications. Colloque international

2 avril 2021, Université d’Oxford

22 novembre 2021, Université Paris Nanterre

Date limite pour déposer une proposition : 30/10/2020.

 

Organisatrices

Estelle Baudou, APGRD (Archive of Performances of Greek and Roman Drama), Université d’Oxford ;

Anne-Violaine Houcke, laboratoire de recherche Histoire des Arts et des Représentations, Université Paris Nanterre.

 

Comité scientifique

Estelle Baudou (Université d’Oxford), Anne-Violaine Houcke (Université Paris Nanterre), Barbara Le Maître (Université Paris Nanterre), Fiona Macintosh (Université d’Oxford).

 

Résumé

L’antiquité a été largement mobilisée en Europe dans l’entre-deux guerres – le classique servant la cause d’un « retour à l’ordre » de plus en plus perçu comme nécessaire après les hérésies avant-gardistes – et elle a été au cœur, grâce à des manipulations inédites orchestrées par le pouvoir, des idéologies fasciste et nazie qui ont mené au désastre de la Seconde Guerre mondiale et de la Shoah. L’objet premier de ce colloque est d’étudier la manière dont les processus artistiques et les œuvres théâtrales et cinématographiques européennes enregistrent les répercussions historiques et artistiques de ce traumatisme, dans la manière dont elles réinventent l’antiquité, et plus précisément dans la manière dont elles en travaillent les ruines, tant poétiquement que politiquement. Le colloque s’inscrit donc à la fois dans le champ des études de réception de l’antiquité et des études théâtrales et cinématographiques, mais aimerait également pouvoir dialoguer avec l’archéologie, la philosophie esthétique, les sciences politiques, l’anthropologie, la théorie des médias. Le cadre chronologique va de 1945 à nos jours, car l’on retrouve évidemment des traces de ce processus bien au-delà de l’immédiat après-guerre dans les œuvres et les démarches des artistes européens qui recourent à l’antique pour questionner le contemporain, et cela au rythme des événements politiques, économiques et sociaux.

Argumentaire détaillé

Les régimes totalitaires nazi et fasciste ont fait subir à l’antiquité des manipulations discursives et pratiques qui ont servi de support à leurs ambitions anthropologiques (l’homme nouveau, modelé sur la statuaire antique), à leurs modèles temporels (origines, généalogies, etc.), à leurs prétentions territoriales (l’empire), ou encore à leurs discours politiques (l’articulation restauration-révolution). À partir de l’antique, on a ainsi forgé des discours sur le corps, le temps et l’espace, éléments fondamentaux des arts du théâtre et du cinéma, d’ailleurs mis au service des idéologies totalitaires. L’esthétisation de la politique a de fait conduit, plus largement, à une théâtralisation et à une spectacularisation généralisées, dont l’antiquité fut partie prenante.

Proposant une définition du cinéma moderne, le critique Serge Daney identifiait précisément le moment de sa naissance dans l’Europe détruite de l’après-guerre, « sur le refus fondamental du semblant, de la mise en scène, de la scène » et « sur un divorce d’avec le théâtre, exprimé avec force par Bresson ». Ce qu’il entend ici par « théâtre », c’est moins cet art en particulier que ce que toute mise en scène, y compris cinématographique, sous-tend potentiellement en termes de mensonge et d’illusionnisme. Sa cible est le cinéma classique, art du décor, des grandes reconstitutions, des stars, des scénarios ficelés, des happy ends, indissociable des grandes mises en scène politique qui ont servi à masquer ce qu’il appelle une autre scène, celle des camps. Avec la Seconde Guerre mondiale, le théâtre entre dans une crise durable qui va largement modifier le rapport aux classiques tant du point de vue de la scène que du point de vue de l’écriture. En la matière, les mises en scène politiques de Brecht constituent pour nous un exemple particulièrement représentatif dans la mesure où elles deviennent rapidement incontournables tant au théâtre qu’au cinéma.

La mise en scène, dans ce qu’elle met en jeu des corps, de l’espace et du temps, est donc ce dénominateur commun au théâtre et au cinéma qui nous conduit à les interroger conjointement, afin d’identifier comment tous deux ont pu et peuvent encore aujourd’hui, par des voies qui leur sont propres ou qui se rejoignent, en repasser par l’antiquité et l’inventer – c’est-à-dire la mettre au jour et la mettre en forme – toujours autrement, et en particulier en remodelant la ruine, poétiquement et politiquement, à même les formes artistiques et les processus créatifs.

Le prisme par lequel il s’agira d’étudier ces réinventions de l’antique par le cinéma et le théâtre depuis 1945 sera donc la ruine. D’une part, l’antiquité, comme période historique passée, est moins innocente que jamais, tout comme la prétention à la connaître et à pouvoir la reconstituer, par l’archéologie, l’histoire ou l’art. D’autre part, la guerre a laissé derrière elle d’autres types de ruines, décombres contemporains issus de la catastrophe, qui ont amené à redéfinir l’entreprise archéologique dans son ensemble, et stratifient l’imaginaire des ruines d’une composante nouvelle, réactivée par tous les événements et catastrophes de la seconde moitié du XXe siècle. L’art se trouve sans doute dans la situation de l’ange de l’histoire imaginé par Walter Benjamin, dont le regard reste tourné vers l’arrière, vers le passé, sur les ruines qui continuent de s’amonceler, tandis que souffle la tempête du progrès qui le pousse en avant. La Seconde Guerre mondiale semble ainsi avoir réactivé le double sens du terme ruine, comme processus – « ruiner » ou « mise en ruine » – et comme résultat de ce processus – « une ruine » – rappelant dans le même temps que l’expérience esthétique d’une ruine contient nécessairement la pensée du spectacle – même virtuel – de sa « mise en ruines ». L’impact est majeur dans le champ artistique. De nouvelles formes voient le jour, assumant ou revendiquant le fragmentaire, la dispersion, l’ouverture ou encore la stratification exhibée de l’œuvre. La ruine dans ce qu’elle a d’humble et de chaotique semble alors plus authentique que la complétude issue de l’imaginaire classique. Le modèle classique est mis en pièces et, face (ou peut-être grâce) à cet abîme, les artistes et théoriciens partent en quête d’une origine, d’un passé archaïque qui leur permet d’interroger leur présent en convoquant ce qui avait pu être refoulé par les manipulations antiques précédentes : l’impur, le populaire, l’irrationnel, le rebut, les laissés-pour-compte du progrès etc. En même temps, l’idéal de la raison et de la démocratie hérité de l’antiquité classique resurgit régulièrement en Europe comme un vestige à l’aune duquel on interroge les dérives du présent et les identités individuelles et collectives, et qu’on ne pourrait pas ne pas avoir également comme horizon.

La ruine est donc à entendre à la fois au sens des vestiges antique et des décombres ; au sens de l’état (l’objet ruine) ou du processus (la destruction) ; au sens littéral et comme paradigme formel d’écritures privilégiant des formes associées à la ruine (fragmentation etc.). Ainsi comprises, la ruine et la mise en ruines opèrent à plusieurs niveaux : dans les démarches et les processus de création des artistes (castings, repérages, écriture, dramaturgie, mise en scène etc.) ; dans les formes et motifs développés (ruine, fragment, stratification, etc.) ; dans les impensés même des artistes, qu’il s’agit pour le chercheur de mettre au jour à même les formes présentes. On interrogera aussi comment les ruines contemporaines (Berlin et Hiroshima mais aussi Belgrade, le WTC, Bagdad, Fukushima, Palmyre, Idlib...) viennent tour à tour prendre part au remodelage des représentations qui s’ouvre avec la Seconde Guerre mondiale.

Quelques questions que le colloque souhaite aborder (parmi d’autres) :

- Comment la ruine est-elle réinventée au théâtre et au cinéma après 1945 en réponse aux manipulations de l’antique par les régimes totalitaires ?

- Comment la présence, la représentation et l’invention de la ruine antique au théâtre et au cinéma sont-elles continuellement modifiées par la présence et la prolifération de ruines contemporaines ?

- Comment la ruine intervient-elle dans les processus de création ? - Comment la ruine devient-elle un paradigme formel ?

- Comment le théâtre et le cinéma présentent-ils sur ce sujet une interdisciplinarité heuristique ?

Les communications pourront porter exclusivement sur le théâtre, sur le cinéma, ou sur les deux pris conjointement.

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Axes de recherche (non exclusifs) :

  • La ruine comme espace : lieu de création, représentation, tournage (site archéologique ou décor) ; enjeu de mises en scène politiques ; support de reconstitution.

  • Ruine et rapport au corps : statuaire (hommes nouveaux), « ruine » métaphorique, dégradation physique, mouvement.

  • Ruine et rapport au temps : ruine antique/ruine contemporaine, histoire et mémoire, archéologie.

  • La ruine comme enjeu d’identité : collectif, héritage, altérité, décolonisation, ethno- anthropologie.

  • La ruine comme paradigme formel : fragmentation, ouverture, mise en pièces etc.

  • La ruine comme esthétique : complétude classique, nostalgie romantique, catastrophe moderne, apocalypse post-moderne.

  • La ruine comme paradigme discursif : dans la critique et la théorie du théâtre et du cinéma et dans la pensée du médium.

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Modalités de participation

Les propositions de communications sont à envoyer avant le 30/10/2020 aux adresses suivantes : estelle.baudou@classics.ox.ac.uk et ahoucke@parisnanterre.fr.

Elles doivent inclure :

  • Nom et prénom de l’auteur.e

  • Un CV synthétique, comprenant une bibliographie sélective, en lien avec l’objet du colloque (1500 caractères maximum)

  • Titre(s), fonction(s), et institution de rattachement

  • Coordonnées (adresse postale, numéro de téléphone, adresse email)

  • Titre de communication

  • Un résumé (3000 caractères maximum), précisant les principaux arguments (questions théoriques, étude de cas traitée, méthodologie, bibliographie de référence)

Langues du colloque : français et anglais.

Les notifications d’acceptation des propositions seront envoyées avant le 15/12/2020.

Le programme des deux journées sera composé en fonction des propositions reçues : lorsque vous recevrez la notification d’acceptation, il vous sera alors précisé si votre intervention est programmée pour le 2 avril 2021 (université d’Oxford) ou le 22 novembre 2021 (université Paris Nanterre). Vous pouvez nous envoyer votre préférence ou vos contraintes éventuelles (indisponibilité sur une des deux journées prévues) : nous ferons notre possible pour les prendre en compte.

Le colloque prendra en charge les frais de transport et logement des participants pour la journée où ils interviennent.

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La manifestation est soutenue par le laboratoire HAR (Histoire des Arts et des Représentations, Université Paris Nanterre), l’APGRD (Archive of Performances of Greek and Roman Drama, Université d’Oxford), le labex Les passés dans le présent, ainsi que par la commission européenne par l’intermédiaire du financement dont bénéficie Estelle Baudou (MSCA individual fellowship, this project has received funding from the European Union’s Horizon 2020 research and innovation programme under the Marie Sklodowska-Curie grant agreement No 839770).