Revue
Nouvelle parution
Po&sie 112-113

Po&sie 112-113

Publié le par Marc Escola

Ce numéro double s'ouvre par une correspondance inédite entre Maurice Blanchot et le poète Vadim Kozovoï : plus de deux cents lettres échangées pendant plus de vingt ans. C'est un Blanchot peu connu qu'on y découvre, attentif aux amis comme à l'actualité et aux profondeurs littéraires. Comme l'écrit Michel Deguy dans sa présentation : « Ici c'est l'homme de son temps, tout à son temps, notre contemporain. Ce temps nous arrive comme à des destinataires à la fois imprévisibles au messager, quelconques, et privilégiés. Nous lisons ces lettres dans le dos de Kozovoï, avec un immense intérêt, un immense plaisir. Le lecteur esquisse pour soi une sorte de portrait de Maurice Blanchot en personne'. » Face à lui, Kozovoï, le grand poète russe incandescent dont les lettres sont traversées d'éclats pensifs.
Michel Orcel présente la traduction de quelques sourates du Coran et s'explique sur les choix qui président à sa traduction.
Po&sie fait ensuite place à quatre poètes français : Philippe Chartron, Sophie Loizeau, Olivier Apert et Martin Rueff.
On pourra lire ensuite une importante étude de Claude Lefort consacrée à la question du droit international. Elle précède un dossier consacré aux Soixante ans d'Hiroshima. Le devoir de penser continue. La revue offre ici la première traduction du texte de John Rawls, Hiroshima, pourquoi nous n'aurions pas dû, ainsi qu'un extrait du livre de Ooka Shôhei, Prisonnier de guerre. À la question de savoir comment écrire des poèmes après Hiroshima, Claude Mouchard répond dans Temps Hiroshima.
Le numéro s'achève par un essai de Wilhelm Pötters consacré au Cercle du sonnet. L'auteur y propose une hypothèse mathématique singulière pour rendre compte de l'origine du sonnet.



Extraits Blanchot, lettre du 24 avril 1982 « J'ai parlé du « sens ». Quel est le sens d'un poème ? Il est presque toujours possible de le mettre en prose, ce que j'appelle « le mettre à plat ». Alors, il disparaît. Car, comme l'affirmait Breton (et Saint-Pol Roux), ce qu'un poème veut dire, il le dit. Choisissons Mallarmé. Rien de plus facile que de l'aplatir. Par exemple, le sonnet qu'il aimait bien « Sonnet nul si réfléchissant de toutes les façons » (mais ce n'est pas celui que je préfère : « Ses purs ongles très haut dédiant leur onyx/ L'Angoisse ce minuit, soutient lampadophore/ etc. » vous connaissez. Si je le mets à plat, nous avons facilement ce schéma (je l'emprunte presque à une lettre à Cazalis qui se rapportait à une première version). « Dans un salon vide (l'espace, le pur espace), à minuit, quand ne règne que l'Angoisse sans lumière. Ainsi qu'une torche en forme de mains qui ne porterait qu'une flamme éteinte, cette peur du vide ne peut s'atténuer par aucune trace ou vestige du soleil couchant, pas même des cendres qu'on aurait pu y recueillir dans une urne funéraire. Le poète (le Maître, maître des lieux) est parti vers le fleuve de la mort, en emportant avec lui un pur mot (le Styx) qui ne signifie nul objet existant. Toutefois (c'est le si ce n'est que du « Coup de dés »), près de la fenêtre ouverte au Nord, brille très faiblement (« agonise ») le cadre doré d'un miroir où sont sculptées des licornes pourchassant une nymphe (« nixe »). Tout cela va disparaître : c'est comme si la nymphe se noyait dans le reflet nu du miroir où cependant, se fixe la scintillation des sept étoiles de la Grande Ourse (septuor) ». Cf. le « Coup de dés » : sinon que se lève au ciel une constellation, « froide d'oubli et de désuétude », qui idéalise le pari sur le réel dont le courage est d'agencer le suspens- en ce sens « toute pensée émet un coup de dés ». Le sens n'est pas là mais fait sentir que le poème de Mallarmé syntaxiquement parfait est un tout que le manque fissure de toutes parts. Pourquoi tout cela ? Simplement pour vous parler. Si j'en parlais vraiment, je ne vous écrirais plus. Voilà l'angoisse pour moi et pour vous. Maintenant, pour finir, cette mauvaise traduction de Hölderlin. « Tous les vivants ne sont-ils pas de ta famille ? / et toi pour la servir par la Parque nourri/ Alors va ! Avance sans armes/ Le long de la vie, ne crains rien. » « Quelle peine, ton coeur ».

Kozovoï. Lettre de 1983 : « Sans être « grand lecteur » (d'ailleurs Gide ou Malraux viennent d'une autre époque) je vis toujours avec les mêmes compagnons. A Moscou, avec les 10-15 mille livres de ma bibliothèque, je revenais sans cesse aux mêmes sources, picorais quelques lignes, quelques passages et trouvais infailliblement pour lire et relire ce que me suggéraient mon travail, ma pensée, mon élan poétique. Un seul écho suffit parfois pour déclencher cette machine qui crée tout un livre. Et s'il y a une rencontre, une vraie les découvertes deviennent rarissimes cela est un grand moment de la vie. Venant comme dans une plénitude d'attente ; et une autre plénitude lui répond. C'est pourquoi peut-être le quotidien est si dur, trompeur, insoutenable et les « relations » si difficiles. Les jours, les périodes d'activité fébrile sont suivis d'un abattement total où se mêlent toujours l'épuisement physique et l'écoeurement : chaque « sortie dans le monde » oblige à porter un masque, éloigne un peu plus de la parole vraie. N'étant pas assez bouddhiste je ne puis qu'apprécier froidement cette vision d'une sociabilité inévitablement « masquée », qui consciente (le grand art !) permet justement à la société de tourner et à chacun de garder, derrière mille masques, son « soi-même ». Moi, je ne porte que mille bosses et blessures ; l'expérience ne m'a rien appris et je tombe sans cesse dans les pièges fonçant comme un bélier pour atteindre la seule vérité de communion. Mais qui parle à ma place ? Même dans la langue qui est mienne ? Ici, avec quelques-uns, les supplices de Babel me torturent jusqu'à l'indécence ».