"Pierre Vidal-Naquet, Historien du passé et du présent"
Mardi 15 mai 2007
À partir de 9h 45, salle B106 à l'Université Paris8 de Saint-Denis
Séance organisée par Brigitte Le Guen, professeur d'Histoire à l'Université Paris8
L’historien Pierre Vidal-Naquet a brusquement disparu au début de l’été dernier. Depuis, un certain nombre de cérémonies officielles ont été organisées pour saluer la mémoire de l’homme, perpétuellement indigné contre le travestissement de la vérité, et du savant, passionnément engagé dans sa quête. D’autres manifestations se tiendront encore dans les prochains mois. La présente journée, à laquelle il était originellement prévu qu’il participât, a pour objectif premier de lui rendre hommage, en revenant sur certains aspects de sa démarche et de sa pratique historiennes.
« Faire de l’histoire, c’était, disait-il, réfléchir sur la totalité ». Et de préciser que c’était pour lui « le meilleur moyen de s’intéresser à tout ce qui [le] passionnait, l’histoire elle-même (…), la philosophie et la littérature, c’est-à-dire la poésie, le roman et le théâtre ». On pourrait, il est vrai, citer pêle-mêle, pour illustrer ses propos : le mythe de l’Atlantide, les épopées homériques, les tragédies athéniennes du Ve s. avant notre ère, à l’origine d’analyses pénétrantes sur les formes de pensée et de société caractéristiques de la Grèce ancienne. Ce serait éminemment réducteur, car la singularité de Pierre Vidal-Naquet est d’avoir construit une œuvre qui s’efforçât de « tenir, par delà les siècles, les deux bouts de la chaîne », en étant profondément ancrée à la fois dans le présent et dans le passé. Si rien de ce qui concerne la démocratie grecque et ses exclus ne lui était étranger, rien non plus des horreurs du monde contemporain n’échappait au vaste champ de ses investigations. En témoignent à l’envi ses prises de position sur l’Affaire Audin et sa dénonciation de la torture, du colonialisme, puis du négationisme. Passé et présent n’étaient pas cependant pour lui deux entités distinctes : ils devaient être pensés ensemble, et s’éclairer mutuellement, par suite de multiples « détours », « croisements » et autres « dédoublements » – pour reprendre des termes qu’il affectionnait tant.
Les travaux de Pierre Vidal-Naquet sont d’une telle richesse et d’une telle variété (autre mot cher à son cœur) qu’on ne saurait en rendre compte – fût-ce brièvement – en une seule séance. Aussi ai-je demandé à plusieurs spécialistes d’histoire ancienne et contemporaine de traiter de thèmes spécifiques, susceptibles d’éclairer quelques-unes seulement des innombrables facettes de l’historien « souple et polymorphe » qu’il s’affirmait être avec humour. Seront ainsi tour à tour examinés la contribution de Pierre Vidal-Naquet à l’historiographie de la Grèce ancienne, ses réflexions sur le « despotisme oriental » (ou « asiatique », qualifié encore de « mode de production asiatique » par les théoriciens marxistes), son traitement de l’histoire des Juifs sur la longue durée, et ses engagements dans l’Affaire Dreyfus ainsi que dans la guerre d’Algérie.
9h45-10h
Accueil des participants
10h-10h15
Introduction par Brigitte Le Guen
10h15-10h45 :
« Pierre Vidal-Naquet et l’historiographie de la Grèce ancienne »
Claude Mossé (Professeur émérite à l’Université de Paris 8),
Auteur d’une thèse publiée sous le titre La fin de la démocratie athénienne. Aspects sociaux et politiques du déclin de la cité grecque au IVe siècle avant J.-C. (Paris, 1962), Claude Mossé est spécialiste de l’histoire politique, économique et sociale de la Grèce ancienne, principalement – mais non exclusivement–aux deux siècles qui forment l’époque dite classique (Ve et IVe s. av. J.-C.). Elle s’intéresse également à l’historiographie du monde grec, comme le montrent par exemple son livre sur L'Antiquité dans la Révolution française (Paris, Albin Michel, 1989) et plusieurs articles récents. Ses travaux s’adressent non seulement aux étudiants des premiers cycles universitaires, mais également aux spécialistes les plus chevronnés.
Publications
Claude Mossé est l’auteur d’une vingtaine d’ouvrages traitant des institutions : Les institutions grecques (Paris, Armand Colin, 1968) ; des régimes et doctrines politiques : Histoire des doctrines politiques en Grèce (Paris, PUF, Que sais-je?, 1975), Histoire d'une démocratie, Athènes (Paris, Le Seuil, 1971), Politique et société en Grèce ancienne. Le "modèle" athénien (Paris, Aubier, 1995), La tyrannie dans la Grèce antique (Paris, PUF, 1969), Les Grecs inventent la politique (Complexe, 2005). Elle a écrit également sur d’autres sujets, tels la colonisation, le travail ou encore la femme : La colonisation dans l'Antiquité (Paris, Nathan, 1970), Le travail en Grèce et à Rome (Paris, PUF, Que sais-je?, 1966), La femme dans la Grèce antique (Paris, Albin Michel, 1983). Elle a en outre étudié quelques grandes figures qui ont marqué la scène politique athénienne : Socrate (Le procès Socrate, Bruxelles, Complexe, 1987) et Démosthène (Démosthène ou les ambiguïtés de la politique, Paris, Armand Colin, 1994). Parmi ses dernières publications figurent Alexandre. La destinée d’un mythe (2001), Périclès. L’Inventeur de la démocratie (2005), D’Homère à Plutarque. Itinéraires historiques (Recueil d’articles réunis par Patrice Brun, 2007).
10h45-11h : Discussion
11h-11h30
« Pierre Vidal-Naquet, Wittfogel et le "despotisme oriental " »
Pierre BRIANT (Professeur au Collège de France),
Après avoir enseigné l’histoire ancienne à Tours, puis à Toulouse, P. Briant occupe, depuis 1999, au Collège de France, la chaire d’histoire et de civilisation du monde achéménide et de l’empire d’Alexandre. Ce sont ses premières recherches sur Alexandre et l’un de ses successeurs, Antigone le Borgne, qui l’ont conduit à s’intéresser à l’empire perse, dont il est aujourd’hui l’un des plus grands spécialistes au monde. On lui doit également l’organisation de nombreux colloques et la publication de leurs Actes. Dernièrement il a travaillé sur l’historiographie d’Alexandre au siècle des Lumières et la formation de l’identité européenne. Loin toutefois de ne s’intéresser qu’au passé, P. Briant sait aussi utiliser les ressources des technologies les plus modernes. Il a ainsi créé sur « la toile » deux sites pionniers, dédiés au monde achéménide : Achemenet (publication de documents et outils documentaires relatifs à l'histoire du Moyen-Orient et de l'Asie centrale à l'époque de la domination perse achéménide, entre Cyrus le Grand et Alexandre et MAVI (Musée Achéménide Virtuel et Interactif), magnifique site-musée permettant d'accéder à une base de données qui rassemble et documente les objets d'époque achéménide (550 à 330 avant J.-C.), entre Indus et Méditerranée, conservés dans des dizaines de musées dans le monde.
Publications
Pierre Briant est l’auteur de plus d’une centaine d’articles et de nombreux livres : Alexandre le Grand (Que sais-je , n° 622, 1974, 5e éd. rev., paris, PUF, 2002), Rois, tributs et paysans (Paris, Les Belles Lettres, 1982), Etat et pasteurs au Moyen Orient ancien (Paris, Maison des Sc. De l’Homme – Cambridge UP, 1982), L’Asie centrale et les royaumes proche-orientaux au premier millénaire av. n.è. (Paris, éd. ERC, 1984), De la Grèce à l’Orient : Alexandre le Grand (Paris, Gallimard, 1987, coll. Découvertes), Darius, les Perses et l’Empire (Paris, Gallimard, 1992, coll. Découvertes, 2e éd., 2002), Histoire de l’Empire perse. De Cyrus à Alexandre (Paris, Fayard, 1996, 1247 p.), Bulletin d’histoire achéménide II (collection Persika 1, Paris, éd. Thotm, 2001), Darius dans l’ombre d’Alexandre (Paris, Fayard, 2003).
11h30-11h45 : Discussion
11h45-12h15
« Pierre Vidal-Naquet et l’histoire des Juifs »
Maurice SARTRE, Professeur d’Histoire ancienne à l’Université François-Rabelais (Tours) et Membre Senior de l’Institut Universitaire de France
Maurice Sartre est un éminent spécialiste de l’histoire de la Méditerranée orientale aux époques hellénistique et impériale (IIIe-Ier s. av. J.-C.), notamment de l’Asie Mineure et du Proche-Orient sémitique. Épigraphiste, rompu à l’archéologie, il est chargé de publier les inscriptions grecques et latines de la Syrie (deux volumes consacrés à Bostra et à Pétra et la Nabatène sont déjà parus, quatre autres sont en cours de préparation). Il est l’auteur de plusieurs synthèses historiques, qui ont fait date, et sont consacrées à tout ou partie de cette vaste région. L’un des soucis principaux de M. Sartre est d’oeuvrer à la diffusion de la culture historique universitaire auprès du grand public. Il a activement participé à la création des Rendez-vous de l’Histoire de Blois, en tant que premier président du conseil scientifique de cette manifestation à vocation internationale. Il est également membre du comité de rédaction du magazine L’Histoire et c'est un collaborateur régulier du suppément livres du journal Le Monde chaque jeudi. Il exerce aussi la fonction de président de L’Institut européen d’histoire et des cultures de l’alimentation (IEHCA) dont le siège est à Tours.
Publications:
Maurice Sartrel est l’auteur de plusieurs synthèses historiques, qui ont fait date, et sont consacrées à tout ou partie de cette vaste région : L’Orient romain. Provinces et sociétés provinciales dans les provinces de langue grecque d’Auguste aux Sévères (Paris, Le Seuil, 1991 ; version abrégée : Le Haut Empire romain. Les provinces orientales d’Auguste aux Sévères, Paris, Point-Seuil, 1998), L’Asie Mineure et l’Anatolie d’Alexandre à Dioclétien (Paris, Armand-Colin, 1995), La Syrie antique (Paris, Gallimard Découvertes, 2002), D’Alexandre à Zénobie. Histoire du Levant antique, IVe s. av.-IIIe s. ap. J.-C. (Paris, Fayard, 2e éd., 2003), L’Anatolie hellénistique (Paris, Armand-Colin, 2e éd., 2004)
12h15-12h30 : Discussion
14h-14h30
« Pierre Vidal-Naquet, un historien dreyfusard »
Vincent DUCLERT (Professeur agrégé à l’École des hautes études en sciences sociales, Paris),
Spécialiste d’histoire politique, notamment celle de l’État, et d’histoire intellectuelle, notamment celle des engagements publics et des formes de mobilisation, Vincent Duclert enseigne également à l’École nationale d’administration (maître de conférences) et à l’université de Columbia (professeur associé pour les programmes de Paris).
Publications
Vincent Duclert a publié en 2006 une biographie politique et intellectuelle du capitaine Dreyfus (Alfred Dreyfus. L’honneur d’un patriote, Paris, Fayard, 1259 p.), une édition critique des lettres de l'île du Diable échangées entre le Capitaine Dreyfus et sa femme Lucie (« Ecris-moi souvent, écris-moi longuement…. ». Correspondance de l’île du Diable, préface de Michelle Perrot, Paris, Mille et une nuits, 350 p.), et un livre également inédit sur l’affaire Dreyfus (Dreyfus est innocent ! Histoire d’une affaire d’Etat, Paris, Larousse, 240 p.). Ces ouvrages font suite à une importante série de travaux menés depuis 1993 sous forme d’articles scientifiques, de communications à des colloques, de contributions à des ouvrages collectifs, d’éditions critiques de documents. En novembre 2006, il a publié pour le compte de l’Ecole normale supérieure une anthologie, Savoir et engagement. Ecrits normaliens sur l’affaire Dreyfus (Editions de la Rue d’Ulm, 2006, 184 p.). En janvier 2007, il a publié une histoire de la postérité de l’affaire Dreyfus au XXe siècle, sous le titre : Dreyfus au Panthéon. Voyage au cœur de la République 1994-2006 (éditions Galaade, 602 p.) et une édition critique des discours de Jean Jaurès sur les massacres arméniens de 1894-1896 (Il faut sauver les Arméniens, éditions Mille et une nuits, 80 p.).
14h30-14h45 : Discussion
14h45-15h15
« Pierre Vidal-Naquet, citoyenneté et histoire »
Gilbert MEYNIER (Professeur émérite de l’Université de Nancy 2),
Au départ latiniste, orienté vers la diplomatique et l’histoire médiévale, et titulaire d’une agrégation d’histoire, préparée sous la direction partielle de Pierre Vidal-Naquet à Lyon, Gilbert Meynier a choisi de se consacrer à l’histoire de l’Algérie contemporaine après avoir été nommé coopérant en Algérie de 1967-68 à 1969-70.
Publications
Gilbert Meynier est l’auteur de nombreux articles sur le monde arabe, et principalement, l’Algérie, parus dans des revues d’histoire. On lui doit aussi, outre l’organisation et la préparation de divers colloques, la publication, seul ou en collaboration, d’un nombre considérable de livres : L’Algérie révélée, la première guerre mondiale et le premier quart du XXe siècle, Droz, Genève, 1981, 793 p. Co-auteur (avec Claude Liauzu, Maria Scroï-Dufresne, Pierre Signoles) de Enjeux urbains au Maghreb, Crises, pouvoirs et mouvements sociaux, L’Harmattan, Paris,1985, 218 p. Co-auteur (avec Ahmed Koulakssis) de L’Émir Khaled, premier za‘îm , L’Harmattan, Paris, 1987, 379 p. Dir. (en collaboration avec Jean-Louis Planche) de Intelligentsias francisées au Maghreb colonial, Cahiers du GREMAMO N° 7, Laboratoire Tiers-Monde, Afrique, Université de Paris VII, Paris, 1990, 223 p. Co-auteur (avec Charles-Robert Ageron, Jacques Thobie, Catherine Coquery-Vidrovitch), de Histoire de la France coloniale, 2ème vol., Armand Colin, Paris, 1990, 654 p. (réédit. Press Pocket, 3 vol., t. 2: l’Apogée, 1871-1930, 1991 et 1996). Dir. (avec la collaboration de Maurizio Russo) de L’Europe et la Méditerranée, L’Harmattan/Confluences Méditerranée, Paris, 1999, 340 p. (actes du colloque de Nancy, septembre 1997). Dir. de L’Algérie contemporaine. Bilans et solutions pour sortir de la crise, L’Harmattan/Le Forum IRTS de Lorraine, Paris, 2000, 298 p. (actes du colloque de Nancy, mars 1999). Histoire intérieure du FLN 1954-1962, Fayard, Paris, 2002 (réimpr. 2004), 812 p., et Casbah Éditions, Alger, 2003. Co-auteur (avec Mohammed Harbi) de Le FLN, documents et histoire 1954-1962, Fayard, Paris, 2004, 898 p. L’Algérie des origines. De la Préhistoire à l’avènement de l’islam, 236 p., éditions La Découverte, 2007.