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Pier Paolo Pasolini entre régression et échec

Pier Paolo Pasolini entre régression et échec

Publié le par Perrine Coudurier (Source : Davide Luglio)

Appel à communication

 

Colloque « Pier Paolo Pasolini entre régression et échec »

Paris 9-10 mai 2014

 

Organisateurs : Équipe Littérature et Culture Italienne (ELCI, EA 1496) Université Paris-Sorbonne et ICI Berlin Institute for Cultural Inquiry

Responsables scientifiques : Sara Fortuna (Rome), Manuele Gragnolati (Oxford/Berlin), Christoph Holzhey (Berlin), Davide Luglio (Paris)

 

L’attaque que Pasolini lance contre la course au développement, le néocapitalisme et les sociétés libérales hypertechnologisées est liée à une critique du rationalisme et de ses manifestations non seulement politico-sociales mais aussi linguistiques et esthétiques. L’hypothèse que ce colloque se propose d’explorer est que cette critique s’appuie sur deux notions qui paraissent centrales dans la pensée de l’auteur, celle de régression et celle d’échec. Assumées par Pasolini dans une acception qui renverse leur signification ordinaire, la régression et l’échec perdent leur connotation négative et se transforment en modalités indispensables pour (re)penser la contemporanéité et pour rester engagé de manière critique dans les domaines artistique, intellectuel et politique.

Si la notion de régression traverse l’ensemble de l’oeuvre de Pasolini, elle recouvre différentes formes qui vont de la recherche d’une langue maternelle originaire, dans ses premiers poèmes frioulans, à la formulation du discours indirecte libre comme moyen d’accéder aux classes subalternes ; du choix du cinéma comme langage immédiat de la réalité à celui du mythe comme condition symbolique antérieure au logos ; de la critique de l’homologation produite par le néocapitalisme contemporain à la nostalgie d’un passé fasciste qui laissait, malgré tout, subsister des espaces non contaminés par le pouvoir et le progrès. A travers cette volonté régressive Pasolini poursuit avant tout le rêve d’une langue plus “réelle”, c’est-à-dire autre, non cultivée, en deçà ou en dehors de l’histoire où se perd “la force originaire de l’homme”.

Le poète est, selon Pasolini, précisément celui qui sait se faire l’interprète de cette altérité, celui qui est dans l’histoire pour témoigner d’une vérité poétique qui se tient en dehors de l’histoire – du cours de l’histoire linéaire et progressive que suit la civilisation occidentale – et qui s’oppose à elle. Cela conduit le poète, dans les dernières années de sa vie, vers des positions politiques qui rompent avec son ancienne inspiration marxiste et qui paraissent plutôt liées à une forme d’anti-modernité qui constitue l’une des composantes les plus fortes et les plus provocatrices de son œuvre. Mais le refus du paradigme de la modernité – développement, consommation, homologation linguistique et socio-culturelle etc. – constitue aussi, paradoxalement, l’un des aspects les plus modernes et vivants de l’œuvre de Pasolini, notamment lorsque ce refus est mis en relation avec sa volonté délibérée de se placer dans des situations d’échec.

A la différence du concept de régression, la notion d’échec apparaît dans l’œuvre de Pasolini surtout à partir de la deuxième moitié des années 1960 comme choix programmatique de se placer en dehors de tout canon esthétique et idéologique, en valorisant, par exemple, l’inachevé plutôt que l’accompli, ce qui répugne plutôt que ce qui attire ou rassure, ce qui apparaît inacceptable plutôt que ce qui recueille le consentement. Ainsi, de Pilade à Petrolio, de Trasumanar e organizzar à Porno-Teo-Kolossal en passant par La Divina mimesis Pasolini met en scène le lien entre une interprétation de l’échec comme choix existentiel permettant de ne pas se compromettre avec le pouvoir et la dimension régressive de son écriture ou encore l’absence de cohésion de ses textes. Dans ce choix semble s’affirmer une forme nouvelle et paradoxale d’engagement qui pourrait anticiper certains aspects fondamentaux de la mouvance queer, notamment dans quelques-unes de ses expressions les plus récentes. Tout d’abord une conception de l’homosexualité et du masochisme comme positionnement excentrique à partir duquel pouvoir conduire une critique de l’ordre hétéronormé du sexe, du genre et de la (re)production. Ensuite, l’adhésion à une temporalité “autre” qui n’est ni téléologique ni tournée vers le futur, mais plutôt circulaire, répétitive, inversée, à laquelle il est possible d’attribuer une valeur profondément anti-sociale, du moins eu égard aux catégories du social qui sont aujourd’hui les plus répandues et valorisées.

S’il est possible de faire dialoguer la notion d’échec pasolinienne et la réflexion sur le masochisme de Leo Bersani, la réélaboration du concept de pulsion de mort et la critique du “futurisme reproductif” de Lee Edelman ainsi que la queer art of failure proposée par Jack Halberstam, est-il possible de lire dans une perspective queer les différentes formulations pasoliniennes de la régression ? Et peut-on considérer que la conjonction de régression et d’échec répond à une stratégie qui rejoint certaines expressions des pensées féministe, post-coloniale et dé-coloniale ? Dans quel sens les aspects anti-dialectiques de la pensée de Pasolini peuvent-ils être mis dans un rapport critique avec la tradition de pensée anti-moderne qui va de Friederich Nietzsche à Roland Barthes en passant par Walter Benjamin Jean Genet et Georges Bataille ? Peut-on dire, comme le propose Georges Didi Hubermann que le Pasolini apocalyptique est un artiste désespéré chez qui la régression est synonyme de fermeture nihiliste et l’échec synonyme de la disparition de toute forme d’imagination politique ? Ou au contraire, ne devrait-on pas plutôt interpréter l’anti-modernité du dernier Pasolini à la lumière de la notion nietzschéenne d’amor fati qu’Antoine Compagnon indique comme le dénouement ou la requalification de la protestation des antimodernes de Julien Gracq à Roland Barthes ? Ce sont là quelques-unes des questions que ce colloque voudrait aborder tout en essayant d’explorer les modalités à travers lesquelles la régression et l’échec se croisent et s’entremêlent chez Pasolini, contribuant à définir les contours politiques et esthétiques de son œuvre et tous les aspects qui, dans celle-ci, relèvent de la dimension du désir.

Modalités

Le colloque est organisé par l’Équipe Littérature et Culture Italienne (ELCI, EA 1496) de l’Université Paris-Sorbonne et l’ICI Berlin Institute for Cultural Inquiry et se tiendra à l’Université Paris-Sorbonne. Les langues du colloque sont l’italien, le français et l’anglais et les communications auront une durée de 30 minutes. Les propositions, de 300 mots environs, assorties d’une brève notice bio-bibliographique, sont à adresser au plus tard le 30 novembre 2013 à s.fortuna@unimarconi.it, manuele.gragnolati@some.ox.ac.uk, christoph.holzhey@ici-berlin.org et davide.luglio@paris-sorbonne.fr . La confirmation de l’acceptation sera communiquée avant le 15 décembre 2013.