Essai
Nouvelle parution
Philippe Jaccottet, l'évidence du simple et l'éclat de l'obscur

Philippe Jaccottet, l'évidence du simple et l'éclat de l'obscur

Publié le par René Audet (Source : Corti)

Jean-Claude Mathieu, Philippe Jaccottet, l'évidence du simple et l'éclat de l'obscur, éditions Corti, 2003.

       Tout n’est pas dit, c’est le seul constat (heureux) que fait le lecteur devant les traces de son parcours. Il en va moins d’interprétations approximatives, d’étroitesse de vues que de la perte d’une ardeur, d’une douleur, d’une pudeur, qui parlent dans ces textes et que les mots de la critique ne cessent de perdre au fur et à mesure que, rassemblant, rapprochant, abstrayant, ils font croître le désert. Une œuvre donne, et combat ; celle de Jaccottet, un des grands poètes vivants, dont la voix juste ne nous offre pas seulement depuis un demi-siècle des eaux et des montagnes, de l’herbe et de la lumière pour nous réconcilier avec la terre, mais se tient entre les vivants et les ombres, relevant les morts qui tombent dans l’oubli, souffre avec les troupeaux de fuyards dans la neige, le froid qui monte dans l’histoire, dans la mauvaise conscience de celui qui vit abrité au pied de ses montagnes. De rêves en paysages, de lectures pénétrantes en abandon à la dérive des images, Jaccottet n’a cessé, de surcroît, de dessiner à travers ces univers sensibles le portrait du peintre.
L’évidence du simple et l’éclat de l’obscur, peut-être est-ce, du moins on peut en faire l’hypothèse, ce qui transparaît à travers les transformations de l’œuvre, et que l’on voudrait sauver par ces mots entre ombre et lumière, entre abstrait et concret. Ce qui la relie aussi, dans l’attention à l’élémentaire, lorsqu’il est donné dans la lumière mouvante des passages, aux poètes de sa génération. Le simple n’est pas l’immédiat, il revient dans les voix d’en bas, du fond de la terre des morts, de l’horizon des paysages, ou lorsque l’enfant paraît pour mêler à la sensation de l’adulte l’éclat de l’évidence, faire brûler dans la présence le feu de l’absence. Et, car il y a « deux nuits », à côté de la tache opaque de la mort, du mur où l’on tâtonne, une autre nuit fait voir ce que le jour cache, éclat de l’obscur illuminé par la lampe de la femme, ou substance diaphane qui demeure, quand les couleurs se sont retirées. Les dire tels qu’ils sont, entre proche et lointain, entre ce qui s’offre et ce qui se dérobe, fait de l’écriture et de la lecture une restitution de distances heureuses, détachant chaque chose dans la netteté de l’air et de la lumière, rémunérant la déchirure de la séparation, l’éloignement de soi dans son ombre. C’est le fil qui serpente entre les chapitres de cette étude.

Les hasards du calendrier font que ce « Jaccottet » auquel Mathieu travaille depuis près de cinq ans paraîtra alors que Jaccottet est enfin au programme de l’Agrégation.
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Un petit roseau m’a suffi


I. L’ÉCRITURE ET LA DISTANCE

1 La séparation et les commencements de l’écriture
2 Un double d’ombre sur les chemins de Dante
3 Le liseur ou l’art de prendre des distances
4 La mort sans mesure et la diction du deuil

II. MESURE DU VISIBLE :
LES DESCRIPTIONS PENSIVES

5 Des mots dans le paysage, des paysages dans le mot
6 L’enclos
7 Approches d’un éblouissement : les pêchers
8 « La grâce dérobée des fleurs »
9 La note des carnets
10 La reverdie, un cahier des saisons

III. JALONS DANS L’OUVERT :
LA RÉSONANCE DU CHANT

11 Parler, chanter : prosaïsme et lyrisme dans
L’Effraie et L’Ignorant
12 Mallarmé et la trop pure lumière
13 Les paroles dans l’air ou le berceau du poème
14 Passage du mot
15 « Le poète tardif » : le lyrique et l’éthique