Essai
Nouvelle parution
Ph. Le Guillou, À Argol, il n'y a pas de château

Ph. Le Guillou, À Argol, il n'y a pas de château

Publié le par Marc Escola

A Argol il n'y a pas de château

Philippe Le Guillou

 

DATE DE PARUTION : 09/10/14 EDITEUR : Pierre-Guillaume de Roux ISBN : 978-2-36371-100-7 EAN : 9782363711007 PRÉSENTATION : Broché NB. DE PAGES : 105 p.
 

RETROUVER GRACQ, EN LISANT EN MARCHANT…

« Il se souvenait de tout avec une précision rare. Il s’étonnait et s’agaçait que les mots lui manquassent, les noms propres surtout, mais il parlait encore, jusqu’à la fin – je l’ai vu pour la dernière fois deux mois avant sa mort – avec lucidité et une intelligence intacte, le corps tassé, presque diaphane, comme en retrait, sans démonstration, sans effet de voix ou de cape. Il aimait les magnifiques, les porteurs d’aigrette, ceux qui s’avancent nimbés, mais il n’était pas de leur galaxie. Il était de la constellation des veilleurs discrets et fidèles. Fidèle à Breton, à la Loire et à la littérature. À sa manière, il portait aussi l’aigrette, mais invisible et reconnaissable par la seule société secrète de ceux qui l’aimaient »

Quand on aime Gracq comme Philippe Le Guillou, on ressent très vite le besoin magnétique de marcher, d’arpenter la géographie d’un pays-fiction ainsi qu’il le fit longtemps : fidèle à la Loire originelle puis enclin à cette patiente sédimentation des souvenirs qui absorbe lentement les lieux afin de les faire ressurgir ailleurs... Quand le mystère autour de cette écriture en marche s’épaissit, il est temps de revenir à Argol, ce lieu imaginaire d’où sortit toute la création de celui qui allait marquer à jamais l’inspiration française. En témoigne, « le « brevet de qualification » reçu un jour de 1939 à Quimper, sur les quais de l’Odet, c’est-à-dire cette lettre splendide, absolue – que l’homme vieilli de Saint-Florent maniait avec une infinie précaution, comme s’il se fût agi d’un talisman – dans laquelle Breton dit son engouement à la lecture d’Au château d’Argol et sa reconnaissance. » Derrière ce « diplôme », se dissimule l’amitié entre le Ligérien, Gracq, et le Finistérien, Quéffellec. C’est en lisant, en écrivant et en marchant, auprès du compagnon de Normal Sup’, dès 1931, que l’auteur du futur Château d’Argol (1939) voit s’ouvrir le monde à lui : outre le voyage commun à Budapest, la découverte de la Bretagne de Quéffellec, des paysages à la fois grandioses et secrets de la presqu’île de Crozon, agit comme le révélateur de son versant intérieur. C’est déjà la forme d’une ville, la scrutation propre à l’exil, au recul nécessaire au visionnaire qui se dessine. Et Gracq d’envier presque à Quéffellec la qualité de solitude qui l’a bercé, si poétique. Philippe Le Guillou, qui a connu les deux hommes, prolonge son pèlerinage jusqu’à Angers, là où il a déjeuné pour la dernière fois avec Gracq puis jusqu’à Saint Florent, dans la maison, où il s’est éteint. A Argol, constate-il, « il n’y a pas de château. » Il n’y a qu’un royaume intérieur, un héritage que ce récit tout en reflets et splendides méditations fait magnifiquement émerger des brumes de l’oubli et du rêve. Ainsi les fidèles à Julien Gracq continuent-ils à lire, à écrire, en marchant.