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Nouvelle parution
Ph. Dufour, B. Gendrel, G. Larroux (dir.), Le Roman de mœurs. Un genre roturier à l’âge démocratique

Ph. Dufour, B. Gendrel, G. Larroux (dir.), Le Roman de mœurs. Un genre roturier à l’âge démocratique

Publié le par Marc Escola (Source : Bernard Gendrel)

Le Roman de mœurs. Un genre roturier à l’âge démocratique

 

Sous la direction de Philippe Dufour, Bernard Gendrel et Guy Larroux

Paris, Classiques Garnier, "Rencontres", 2019, 372 pages.

EAN13 : 9782406086888

 

L’expression « roman de mœurs » apparaît en France dans les années 1820 comme sous-titre de romans proches de la « littérature panoramique ». Populaire ou pré-populaire à ses débuts, le roman de mœurs fait vraiment figure de « genre roturier » où le Paris postrévolutionnaire aime à se contempler. Nous sommes loin alors des grandes œuvres du XIXe siècle. Pourtant, de ce roman Balzac fait, d’après Baudelaire, « une chose admirable », et c’est cette expression même de « roman de mœurs » qui est revendiquée par les auteurs de la période réaliste et naturaliste. Le genre roturier serait-il ainsi devenu fréquentable sous l’influence de certains écrivains, jusqu’à se confondre avec ce que nous appelons aujourd’hui le « roman traditionnel » ?

 

Sommaire

INTRODUCTION
« Le roman de mœurs, un genre démocratique ? »

Gendrel (Bernard)

PREMIÈRE PARTIE

DIALOGUE DES GENRES

« De l’étude de mœurs au roman de mœurs, et vice versa »

Stiénon (Valérie)

« Mœurs médicales. Du vaudeville de Scribe au roman balzacien »

Lefebvre (Anne-Marie)

« Scènes et types. Poétique du roman de mœurs et grammaire de l’illustration »

Thérenty (Marie-Ève)

DEUXIÈME PARTIE

UNE HISTOIRE DES MŒURS

« Alexandre Dumas, romancier de son temps. Scènes de la vie parisienne (1835-1846) »

Lascar (Alex)

« Scènes de la vie de café »

Glinoer (Anthony)

« Les mœurs canadiennes et nord-américaines au prisme du médiatique chez Jules Verne »

Pinson (Guillaume)

« Les Goncourt et la question des générations »

Dufief (Pierre-Jean)

TROISIÈME PARTIE

LES MŒURS ET LA MORALE

« Préfets, roman de mœurs et satire chez Stendhal »

Sangsue (Daniel)

« Laisse donc les mœurs aux épiciers… Lois, mœurs et morale familiale dans La Comédie humaine »

Labouret (Mireille)

« Plus de héros, des hommes. Le roman de mœurs de Léon Gozlan »

Craighead-Teising (Emily)

« Mœurs sexuelles dans l'œuvre de Zola. Trouble dans le genre »

Caudebec (Marion)

QUATRIÈME PARTIE

AVATARS FIN DE SIÈCLE

« Parodies du roman de mœurs chez les “petits” naturalistes. L’épuisement d’un genre ? (Henry Céard, Robert Caze, Paul Alexis) »

Charlier (Marie-Astrid)

« Roman de mœurs fin de siècle. La littérature panoramique selon Mirbeau »

Vareille (Arnaud)

CINQUIÈME PARTIE

UN GENRE EUROPÉEN

« La généalogie complexe, l’hybridité et la spécificité du novel of manners anglais (XVIIIe-XIXe siècles) et sa postérité au XXe siècle »

Dupeyron-Lafay (Françoise)

« El costumbrismo. Le roman de mœurs espagnol entre romantisme et réalisme »

Prioux (Virginie)

« Réalisme et peinture de mœurs chez Jacinto Octavio Picón (1852-1923) »

Fillière (Carole)

POSTFACE
« Éléments pour une poétique historique du roman de mœurs »

Dufour (Philippe), Larroux (Guy)

Bibliographie indicative

Index

*

Résumés

Bernard Gendrel, « Introduction. Le roman de mœurs, un genre démocratique ? »

En partant des analyses de Paul Bourget sur le roman de mœurs et de Maine de Biran sur la politique de la Restauration, cette introduction tente d’expliquer le tournant démocratique opéré par le roman au début du xixe siècle, sans pour autant minimiser la persistance, chez certains auteurs, d’une écriture aristocratique.

Valérie Stiénon, « De l’étude de mœurs au roman de mœurs, et vice versa »

Le roman de mœurs oppose une résistance à l’étude de sa généricité en raison de la difficulté à penser ensemble les critères historiques et formels qui peuvent le définir. Sa lecture croisée avec l’étude de mœurs développée par la littérature panoramique des années 1830-1840 rappelle la nécessité d’une approche contextuelle faisant la part belle aux supports, aux dispositifs éditoriaux et aux visées cognitives des textes, qui procèdent bien souvent d’un même projet d’écriture mêlant sociographie et fiction.

Anne-Marie Lefebvre, « Mœurs médicales. Du vaudeville de Scribe au roman balzacien »

Le médecin, personnage favori du théâtre depuis Molière, devient savant au xixe siècle et témoigne ainsi des mœurs contemporaines de façon privilégiée, tout en restant lui-même objet du regard « physiologiste » satirisant du public. Balzac s’inspire du médecin du vaudeville de Scribe pour mettre en scène les médecins de sa Comédie humaine conformément aux mœurs du temps, en dénonçant leurs travers non sans une bienveillance amusée.

Marie-Ève Thérenty, « Scènes et types. Poétique du roman de mœurs et grammaire de l’illustration »

Cet article fait l’hypothèse d’interférences entre la grammaire de l’illustration et la poétique du roman de mœurs. Il montre d’abord que le dispositif éditorial, fondé sur l’articulation entre vue, scène et type, propose une poétique du roman de mœurs de la première moitié du xixe siècle. Mais cette grammaire illustrative constitue aussi un imaginaire du support avec laquelle les écrivains ont pu jouer selon des effets-supports littérarisés dont il reste à faire l’histoire et la taxinomie.

Alex Lascar, « Alexandre Dumas, romancier de son temps. Scènes de la vie parisienne (1835-1846) »

Homme de théâtre aux succès brillants, Alexandre Dumas aborde à partir de 1836 le roman historique où il va s’illustrer. Cependant dans plusieurs ouvrages des années 1838-1846, notamment dans Le Comte de Monte-Cristo, il nous offre des scènes de la vie parisienne, sans imiter Balzac : le matériau est le même. Partiel, et quelle que soit sa valeur documentaire, sociale et politique, ce tableau est subjectif. Dumas ne nous dit pas la vérité sur les mœurs mais sa vérité sur les mœurs qu’il tente de cerner.

Anthony Glinoer, « Scènes de la vie de café »

Dans le vaste corpus des romans de mœurs littéraires du dernier tiers du xixe siècle, les cafés occupent une place importante. Le présent article part d’un corpus de romans de mœurs littéraires pour étudier le rôle fonctionnel du café dans le récit cent fois répété de la désillusion du jeune écrivain (dans la continuation d’Illusions perdues de Balzac) et dans la mise en regard de mondes sociaux différenciés, en particulier celui de la bohème journalistique.

Guillaume Pinson, « Les mœurs canadiennes et nord-américaines au prisme du médiatique chez Jules Verne »

Dans ses trois romans « canadiens », Le Pays des Fourrures (1872), Famille-sans-nom (1889) et Le volcan dor (posthume, remanié par Michel Verne, 1906), Jules Verne s’est appuyé sur une documentation essentiellement médiatique (périodiques de voyage, bulletins de géographie, reportages) qui faisait circuler en France une certaine représentation des mœurs canadiennes. L’article reconstitue cet imaginaire afin de voir en retour quel usage spécifique en a fait le romancier.

Pierre-Jean Dufief, « Les Goncourt et la question des générations »

Les Goncourt veulent raconter dans leurs romans l’histoire morale de leur temps. Ils s’intéressent à des personnages représentatifs non seulement de leur milieu mais aussi de leur époque. Les deux frères s’intéressent tout particulièrement au phénomène des générations qui permet au romancier de mœurs de porter un jugement sur son temps en opposant les représentants d’un passé héroïque aux médiocrités du présent. Le roman de mœurs connaît, chez eux, le double tropisme du roman familial et de l’épopée.

Daniel Sangsue, « Préfets, roman de mœurs et satire chez Stendhal »

Stendhal a présenté plusieurs romans et comédies de mœurs aux lecteurs anglais de ses chroniques. Particulièrement intéressé par Monsieur le Préfet de Lamothe-Langon, il a stigmatisé les défauts de ce roman, qu’il considérait comme raté en ce que la figure du préfet y relève de l’odieux et de la haine impuissante. On examinera comment Stendhal reprend cette figure, qui lui tient à cœur et qu’il juge cruciale pour l’étude des mœurs de province et comment il y opère sa propre satire des préfets.

Mireille Labouret, « “Laisse donc les mœurs aux épiciers…” Lois, mœurs et morale familiale dans La Comédie humaine »

Historien des mœurs de son temps, Balzac eut à se défendre contre les nombreux reproches d’immoralité qui furent adressés à ses romans et à ses personnages. Or, s’il affirme sa volonté de « moraliser son époque », il entend aussi distinguer ses « études de mœurs » des petits « romans de mœurs ». Tenté par le modèle physiologiste et panoramique qu’il pratique avec bonheur, il s’en détourne pour créer une fiction originale qui fera du roman de la famille une moderne tragédie bourgeoise.

Emily Craighead Teising, « “Plus de héros, des hommes”. Le roman de mœurs de Léon Gozlan »

Léon Gozlan, développant un genre du roman de mœurs qui possède des éléments de roman à thèse, s’est engagé à examiner les forces sociales et culturelles qui bousculaient les piliers traditionnels de la société pendant la monarchie de Juillet. Deux romans fortement influencés par La Comédie humaine de Balzac, Le Notaire de Chantilly (1836) et Le Médecin du Pecq (1839) présentent des personnages et des lieux vraisemblablement représentatifs de personnages et lieux connus des lecteurs.

Marion Caudebec, « Mœurs sexuelles dans l’œuvre de Zola. Trouble dans le genre »

Chez Zola, les mœurs sexuelles se déclinent en un nuancier de dévoiements. L’univers zolien est peuplé d’hommes et de femmes « ratés », dont les déviances frôlent dangereusement la monstruosité. La porosité des frontières crée une incertitude sur les genres mais aussi sur la sexualité de ces personnages aux mœurs hors-normes.

Marie-Astrid Charlier, « Parodies du roman de mœurs chez les “petits” naturalistes. L’épuisement d’un genre ? (Henry Céard, Robert Caze, Paul Alexis) »

Au tournant des années 1880-1890, les « petits » naturalistes œuvrent à une conversion du roman de mœurs qui interroge les limites de l’esthétique naturaliste. Les romans de Céard, Caze et Alexis témoignent de cette période de redéfinition du roman de mœurs, où le « réalisme sérieux » (Auerbach) se mêle à des pastiches satiriques, voire à des formes qui parodient un texte naturaliste projeté, fantasmé, construit par ces formes mêmes.

Arnaud Vareille, « Roman de mœurs fin de siècle. La littérature panoramique selon Mirbeau »

En travaillant sur un triptyque d’œuvres publiées à quelques années d’intervalle au tournant du siècle, nous voudrions montrer comment la modernité mirbellienne a partie liée avec la protohistoire du roman de mœurs et la littérature panoramique. La déconstruction du récit à laquelle se livre Octave 367Mirbeau hérite d’une liberté formelle que le roman de mœurs a ensuite codifiée et dont l’actualisation est propice à un renouvellement de la littérature de critique sociale en 1900.

Françoise Dupeyron-Lafay, « La généalogie complexe, l’hybridité et la spécificité du novel of mannersanglais (xviiie-xixe siècles) et sa postérité au xxe siècle »

Cet article étudiera la généalogie hybride du novel of manners anglais, puis se penchera sur ses différences par rapport au roman de mœurs français, sur son approche domestique et féminine du réalisme, son ironie, et son esthétique « microcosmique » qui possède pourtant une profondeur de champ et une portée éthique inattendues. Le macrocosme social et politique masculin et ses valeurs y sont omniprésents mais sur le mode de la synecdoque, comme en miniature, et par le biais d’un éclairage indirect.

Virginie Prioux, « El costumbrismo. Le roman de mœurs espagnol entre romantisme et réalisme »

Né dans les années 1830, en plein élan romantique, le costumbrismo se définit tout d’abord par sa forme courte d’article de presse croquant les mœurs régionales ; il lui faudra attendre le milieu du siècle pour acquérir véritablement le statut de roman en tant que tel. C’est cette forme littéraire qui lui conférera ses lettres de noblesse dans les dernières décennies avec les grands romans réalistes et naturalistes des auteurs de « la génération 68 ».

Carole Fillière, « Réalisme et peinture de mœurs chez Jacinto Octavio Picón (1852-1923) »

L’œuvre du francophile et médiateur culturel Jacinto Octavio Picón (1852-1923) explore les filiations entre le costumbrismo et le realismo espagnol, qui intègrent le discours nationaliste créé à partir du questionnement littéraire soulevé par la représentation du réel social. Picón s’est toujours revendiqué romancier des mœurs et a porté des projets esthétiques et sociaux modernes : il défendait un roman de mœurs pleinement artistique et revendiquait une plus grande justice sociale et légale pour la femme espagnole.

Philippe Dufour et Guy Larroux, « Postface. Éléments pour une poétique historique du roman de mœurs »

Dans la nouvelle société démocratique issue de la Révolution, le roman de mœurs se veut histoire immédiate du quotidien inscrivant ses personnages dans « le présent qui marche ». Il dépeint l’homme médiocre, multiplie les personnages secondaires. Il a aussi besoin de « cadres » (Balzac), en particulier de scènes constituées en dispositifs sociologiques. Le roman étant à la fois sous le signe de la science et de la morale, il lui a fallu trouver un ton, soit badin, soit plus sérieux.