Essai
Nouvelle parution
É. Pessan, Ôter les masques

É. Pessan, Ôter les masques

Publié le par Alexandre Gefen (Source : isabelle Grell)

Référence bibliographique : PESSAN, Eric. Ôter les masques, Nouvelles Editions Cécile Defaut, collection "Le Livre / La Vie, dirigée par Isabelle Grell", 2012.

Le sixième volume de la collection Le Livre / La Vie ne pouvait tourner qu'autour de quelque chose de diabolique. Eric Pessan a vécu un an avec les protagonistes de Shining. Le fruit de cette cohabitation sortira fin août 2012.

 

Préface à ÔTER LES MASQUES, ERIC PESSAN, d'après SHINING de Stephen King, Editions Nouvelles Cécile Defaut, coll. Le Livre La Vie dirigée par Isabelle Grell

 

                                     « Je ne crois pas que tes visions puissent te faire de mal..., pas plus que les images dans un livre... Si tu fermes les yeux, elles disparaîtront. »

 

Pas sûr que Dick Hallorann ait raison.

 

Comme Sartre, Pessan trouve dans les livres qu’il ouvrait, gamin, l’odeur de la décomposition d’un monde. Il ne lisait que de la science fiction, Arthur C. Clarke, Clifford D. Simak, Isaak Asimov, car lire, c’était pour s’évader. Comme Maupassant, un Horla lui volait déjà enfant son image du monde, invisible, à quelques pas de lui, l'envahissant de sa présence pesante. Comme Stephen King, des fantômes assiègent sa mémoire, font naître les spectres, ravivent les peurs instinctives, viscérales et pas seulement les peurs enfantines.

Après avoir surmonté quelques hésitations sur l’auteur qui l’avait le plus influencé, craignant que Stephen King ne serait pas à la hauteur d’un « vrai classique » classe tels Camus, Jules Vernes et alii, Eric a choisi de passer outre la convenance intellectuelle et de vivre un an avec Jack Torrance, Wendy, Danny, l’Overlook, la chaudière explosive et les autres « acteurs » de Shining, Dès le début, il s’est assigné une contrainte : transformer ce qui se passe dans la chambre 217 en deux-cent-dix-sept évocations de la terreur de (sur)vivre. Car, il le sait depuis qu’il a lui-même été observé par un fantôme une nuit, passage Bardos, nous ne sommes que des survivants, tous, et nos fantômes, même si certains d’entre nous arrivent mieux que d’autres à les maîtriser, ne demandent qu’à être lâchés de leur boite de Pandore. Eric Pessan, il avait, jusqu’aujourd’hui (2011-12), réussi à (se) le cacher, est précisément devenu écrivain en redoutant l’approche de ses fantômes. Ils sont multiples. Ils le bouffent de partout. Ils grouillent en lui comme les mots surabondent dans sa tête. Ils n’existent pas, il le sait. Mais ils reviennent. La peur revient. L’inquiétude. Pesante. Ecrasante.

 

Eric Pessan voulait devenir écrivain, à 15 ans, pour devenir Stephen King. A quarante ans, après avoir essayé infructueusement à emprisonner sur papier ses fantômes en 2005 dans son Overlook à lui, un magnifique château du XVIII° siècle où il est en résidence pour écrire, il les observe à son tour. Il découvre la nudité de leurs organes intérieurs, le dépouillement extrême de leur vie, comme Danny voit la vielle suicidée décomposée dans sa baignoire qui se lève, le poursuit, l’oblige à la regarder dans ses yeux vitreux explosés, jamais là où on l’attend. Danny avait ouvert la porte 217, c’est simple d’ouvrir une porte. Et vous pénétrerez dans ce livre comme Danny pénétra dans la chambre. Vous avez fait craquer la couverture. Les pages blêmes et neuves, légèrement boursouflées, sont couvertes de veinules noires qui boivent l’encre et sentent le formaldéhyde d’un passé jamais passé qui survit dans une temporalité parallèle. Dans Ôter les masques, Pessan nous attire dans sa chambre, dans son monde parallèle, approximatif, insaisissable.

Son écriture est de celles dites du dehors, de l’exclu, du hors-là. Ce Horla qui vous fait sentir être l’objet de quelque chose de dangereux tapi en vous. Qui est le début de l’imagination. Ecrire est surnaturel puisqu’écrire vous rend immortel. Ecrire, c’est le presque vrai. Le double. L’autre. Envahissant.

Vivre un an avec cette oeuvre particulière de Stephen King, où le père ne dépassera jamais son incipit et en perd la tête, où les fantômes se frottent indécemment à vous pour vous faire bander ou posent leurs mains osseuses autour de votre cou pour le décoller du buste, passer un an avec la version originale de Shining dans sa serviette, cela laisse des traces. Eric Pessan savait déjà que les livres ont une mémoire. Il sait désormais que les fantômes n’en ont pas.

 

Eric Pessan n’attendra pas que les masques tombent. Il vous les arrachera.

 

Isabelle Grell