Questions de société

"Pécresse, incendiaire des universités", par J. Lindgaard, Médiapart (06/05/09)

Publié le par Bérenger Boulay (Source : SLU)

Article reproduit sur le site de SLU:

http://www.sauvonsluniversite.com/spip.php?article2543

Pécresse, incendiaire des universités - Jade Lindgaard, Médiapart, 6 mai 2009


Et si l'incendiaire des universités n'était pas « l'extrême gauche »mais Valérie Pécresse elle-même ? Au troisième mois de grève, laministre peine à éteindre le conflit qui perturbe toujours unevingtaine de facs à des degrés divers, soit presque un quart des 85établissements. Si « la mobilisation ne croît pas »de l'aveu d'un leader de la contestation – hors Paris, lesmanifestations d'enseignants-chercheurs du 28 avril furent clairsemées– et si dans la majorité des établissements la plupart des cours ontrepris, des signes de radicalisation se confirment.

A Toulouse 2, le blocage a été reconduit pour unesemaine, ainsi qu'à Dijon. A Reims, des universitaires ont exprimémardi leur refus de présider les jurys du baccalauréat 2009. A Paris 4et Paris 1, la grève est reconduite avec, fait nouveau, le soutien despersonnels administratifs. A Besançon, les étudiants ont voté lundicontre la tenue des examens. Au Havre, des enseignants promettent dereprendre la grève dès la rentrée de septembre. L'assemblée généraledes personnels et étudiants de Lyon 1, dirigée par Lionel Collet, leprésident de la conférence des présidents d'université (CPU), areconduit la grève et déclare dans un communiqué les inscriptions de laprochaine rentrée « impossibles ».

Pire : le ministère de l'enseignement supérieur et dela recherche semble jeter de l'huile sur le feu et provoquer desuniversitaires déjà échaudés par la promulgation du décret sur leurstatut en pleines vacances de Pâques. C'est au sujet de la formationdes enseignants du primaire et du secondaire (la masterisation), l'undes points durs de la crise, que l'ambiance s'est brutalement tenduehier mardi. Le syndicat Autonomesup (plutôt à droite du monde syndical,rallié à la dernière version du décret sur le statut) s'est fendu d'uncommuniqué déclarant « irrecevable » la dernièreproposition gouvernementale d'aménagement du cursus de formation desétudiants désireux de préparer le concours des professeurs en septembre2009.

« Le gouvernement met le feu à la maison »

Depuis quelques jours, des groupes de travailréunissant syndicats, organisations étudiantes et Etat planchent surles modalités de transition entre le système actuel et le nouveaudispositif que souhaite mettre en place le gouvernement à partir de larentrée 2010. Or selon Autonomesup, les ministères de l'éducationnationale et de l'enseignement supérieur ont expliqué lundi en réunionvouloir, à titre transitoire, attribuer la totalité d'un Master 1 auxétudiants qui prépareront le concours. Mais pour Jean-Louis Charlet,président d'Autonomesup, « donner la totalité d'uneannée universitaire à quelqu'un qui n'a pas suivi de cours, c'est lanégation de notre métier ! Les universitaires en lettres et scienceshumaines se battent depuis des mois contre la destruction de leursmasters de recherche. Mais si la première année du diplôme est offerte,qui va suivre les cours ? Ça va mettre la boutique par terre ».

La grande majorité des étudiants de master en lettreset sciences humaines se destinent à l'enseignement et ont donc pourpriorité de passer le concours de l'éducation nationale. Ce sont surces disciplines que, depuis le début de la crise, la création denouveaux masters professionnalisants voulus par Xavier Darcos suscitele plus d'inquiétudes. Avec cette proposition « le gouvernement met le feu à la maison si tant est qu'il reste encore quelque chose à brûler », se désole Jean-Louis Charlet, « C'est un casus belli, le seuil de l'intolérable. »Prof de latin médiéval à Aix-Marseille I, sa dernière manifestationremontait à 1984. Cette année, il a manifesté cinq fois. De son côté,le ministère de l'enseignement supérieur semble prêt à modifier saproposition. Une nouvelle réunion doit se tenir la semaine prochaine,et les conclusions seront rendues autour du 20 mai.

« On est dans un phénomène derationalisation disciplinaire et économique de l'université dont vontfaire les frais à la fois lettres et sciences humaines, et les petitesuniversités, analyse Jean-Louis Fournel, président de Sauvonsl'université, pour qui « une disposition transitoire peut être un piègemagnifique ».

Car derrière la mesure ponctuelle se profile laquestion du devenir à terme des masters de recherche en lettres etsciences humaines. L'année de transition 2009-2010 doit aussi permettrela révision des habilitations de ces enseignements. Si les amphis sontvides, le maintien de certains cursus va devenir difficile à obtenir.Or selon Jean-Louis Charlet « dans certains cercles dupouvoir, il y a des gens qui sont contents de la situation et enprofiteront pour réduire de façon drastique les masters littéraires ».Sans masters de recherche, plus de thésard et plus de recherche sur lesdomaines concernés. La plus longue grève de l'université françaisedepuis 1976 servira-t-elle d'argument à un grand nettoyage anti-lettreset sciences humaines ?

« Le gouvernement nous ment encore et toujours »

Cet épisode intervient après une autre récentecontroverse sur l'évaluation des maquettes de ces mêmes masters. Ensigne d'opposition à la réforme en cours, la majorité des universitésont refusé de transmettre au ministère leur projet de cursus deformation pour les étudiants souhaitant devenir enseignants. Au vu dufaible nombre de dossiers (17, dont environ la moitié venue del'enseignement catholique), l'agence d'évaluation de la recherche et del'enseignement supérieur (Aeres) a refusé de les examiner. Mais selonle Snesup (syndicat majoritaire dans l'enseignement supérieur), le 20avril dernier, Patrick Hetzel, directeur général de l'enseignementsupérieur et de l'insertion professionnelle a annoncé au CNESER(conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche,instance consultative) que les maquettes seraient évaluées par sesservices et « soumises à une prochaine réunion du CNESER pour mise en oeuvre à la rentrée 2009 ».

Une déclaration aussitôt interprétée par les opposantsaux réformes en cours dans l'université comme un passage en force. Touten prétendant concerter, le ministère donne tout l'air de poursuivre lamise en place de la masterisation, comme si le report d'un an de laréforme n'avait pas été annoncé.

Quant au décret sur le statut desenseignants-chercheurs, étincelle de la révolte des facs à l'automnedernier, il ne cesse de raviver la polémique. Le texte paru au Journalofficiel du 25 avril, en pleines vacances de Pâques, n'est pas le mêmeque celui avalisé par le comité technique paritaire universitaire.Parmi les principales différences pointées pour Sauvons la recherchepar Marie-Pierre Gaviano : « Il n'y aura pas d'heures complémentaires payées pour un service d'enseignement modulé à la hausse. » Au point que pour le juriste Benoît Kloeckner, dans un message envoyé à la coordination nationale des universités, « legouvernement nous ment encore et toujours. Des universitaires sontpersuadés que le décret est devenu acceptable. Peut-être est-ilpossible de les remobiliser ».

On est loin du décret « parfaitement conforme aux attentes de la communauté universitaire »comme François Fillon pensait pouvoir s'en prévaloir le 22 avril surFrance Inter. Et la circulaire qui l'accompagne, supposée en guiderl'application, sème au contraire la confusion en faisant apparaître desnotions jusque-là absentes, comme le fait que « pour un enseignant-chercheur, le service ne doit pas s'écarter en moyenne sur une certaine période du service de référence »... un « paragraphe dont seules sauront sonder les profondeurs les médailles Fields de l'an 3000 », ironise Marie-Pierre Gaviano pour SLR. « Le texte promulgué est écrit en pire et en plus confus », proteste Isabelle This, présidente de Sauvons la recherche, « la circulaire est incompréhensible. La confusion continue sur la modulation des services et ses modalités d'application ».

Le même épisode qu'avec Claude Allègre

Ultimes provocations gouvernementales ? Volonté de « nous mettre à genoux », comme le dénonce Isabelle This ? Plus compliqué, tempère Dominique Barjot d'Autonomesup-Lettres-Sciences humaines. « Enréalité, il n'y a pas de contradiction entre le décret validé en CTPUet le texte promulgué. Je suis sûr qu'il n'y a pas d'entourloupe ».

Mais le problème, regrette Dominique Barjot, c'est que « la communication a été désastreuse : un dossier aussi technique doit s'accompagner d'une déclaration de la ministre ».Or, estimant le problème du décret réglé, Valérie Pécresse ne s'adresseplus à ses opposants que pour les accuser de prendre en otages lesétudiants en poursuivant la grève. « On n'avance pas aubulldozer dans une forêt de bambous ! regrette le juriste. Il y a unproblème de méthode : c'est le problème de la gestion sarkozyste. On nefait pas une réforme fondamentale en six mois. On l'étale dans le temps. »

Inquiétude sur la méthode gouvernementale que partageMichel Lussault, aujourd'hui à la tête du pôle de recherche etd'enseignement supérieur (Pres) de Lyon, ancien vice-président de laconférence des présidents d'université, et alors fervent défenseur dela LRU : « On avait eu le même épisode avec Allègre. Ily a une responsabilité politique évidente de mes collèguesuniversitaires dans l'incapacité à sortir de la crise mais aussi duministère qui a fait beaucoup d'erreurs : le pilotage de l'allocationdes moyens, le flou sur les compétences élargies, la question despostes. Le ministère donne beaucoup d'arguments à tous ceux qui neveulent pas retourner au travail. »

Dans ce contexte de défiance généralisée qui sembleencore s'aggraver depuis ces dernières semaines, la communication deValérie Pécresse, désormais entièrement centrée sur la tenue desexamens et la dénonciation de la prise en otages des étudiants par lespersonnels grévistes, prend le risque d'attiser la colère despersonnels les plus mobilisés. Depuis une semaine, pas un jour oupresque sans que ne sorte une information embarrassante pour lesuniversitaires opposés à leur ministre : voeux d'inscription des futursétudiants en première année de Paris 4 et Paris 8 en baisserespectivement de 25% et 50% selon le JDD, sondage révélant des étudiants majoritairement favorables au maintien des examens dans Le Parisien lundi, stigmatisation dans Le Figaro de l'extrême gauche « imposant » le blocage dans les universités.

« La mobilisation n'a pas faibli, on nepeut pas imposer une réforme à une communauté sans son assentiment,considère Pascal Binczak, président de Paris 8 et figure de proue de lacontestation universitaire, le prix politique sera très lourd. » A la tête du Pres de Lyon, Michel Lussault se fait plus sombre encore : « Lerégime de l'AG permanente peut être la mort de l'université française.Certaines universités ne se remettront pas de ce conflit. »