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Paul Valéry, l'histoire à reculons

Paul Valéry, l'histoire à reculons

Publié le par Marielle Macé (Source : Calenda, revues.org)

PAUL VALÉRY ET L'HISTOIRE
L'AVENIR À RECULONS


Valéry dans l'histoire des XIXe-XXe siècles
Situation de l'écriture face à l'expérience de l'histoire



Projet scientifique :

Au commencement d'un troisième millénaire, le vingtième siècle est à même dorénavant de mesurer et de juger, avec la distance qui s'impose, le tracé de son parcours, semé des avances scientifiques et technologiques les plus spectaculaires comme des régressions vers des formes immémoriales de barbarie. Les préfigurations, les leçons, les enjeux et les défis de cette mise en perspective historique sont particulièrement présents chez Paul Valéry, dont l'uvre a épousé les moments d'immense élan dans les sciences ou de promesse dans les avancées de la connaissance, comme aussi les époques les plus sombres du siècle, cernées principalement, mais non exclusivement, par les deux Guerres mondiales et leurs conséquences à la fois immédiates et lointaines.


En ce sens, l'uvre de Valéry représente, assez paradoxalement chez ce grand écrivain méfiant à l'extrême, selon les apparences, envers toute insertion « historique », une somme de réflexion qui offre des échappées privilégiées sur la situation de l'homme, des civilisations et des mentalités au vingtième siècle. Au travers d'un discours paradoxalement négatif Valéry ne cesse d'interroger la notion même de l'« histoire », d'y revenir comme à un creuset centralisateur et, par un retournement étrange des choses, de méditer ce que la conscience du passé pourrait fournir à un Moi sans cesse en quête de lui-même. Cette réflexion s'accompagne d'une mise en question de tout « discours historique » hérité du passé, pour que la prise de conscience des hommes et des sociétés puisse être pleinement et fidèlement élaborée. Une nouvelle conception de l'évolution historique, à l'écart de l'inscription des «faits» où percent le jeu arbitraire d'appréciations approximatives, sollicite une nouvelle écriture de l'histoire conçue au départ par opposition à celle traditionnellement acceptée comme fiable, mais qui, uvrant en filigrane dans les Cahiers comme dans divers textes publiés, exerce une action dynamique dont la portée et la valeur réclament d'être reconnues.


Il ne s'agit nullement par là d'actualiser les lumières issues d'une tradition d'approche méthodologique axée sur le binôme consacré de « l'homme et l'uvre ». Les modes d'écriture et les particularités conceptuelles d'une pensée sur l'histoire invitent à être placés dans l'histoire, esquissant un mouvement double qui définit à la fois l'originalité et la pertinence pour nous d'un point de vue d'une remarquable actualité, faisant du passé un tremplin vers l'avenir. Cette « manière de voir », comme Valéry la désigne, extension singulière d'un impératif qui informe toutes ses recherches, invite aussi à « entrer dans l'avenir à reculons », en repérant ce que ce mot peut contenir de positif et de potentiellement trouble, à fixer les sources des actions et des comportements passés pour mieux les orienter vers les possibles d'un avenir à la fois inquiétant et fort de ses promesses. Les richesses potentielles qui découlent de cette investigation brassent de multiples supports, tels le destin des hommes, le regard porté sur la littérature du passé, l'attitude envers les sociétés et le statut d'une liberté humaine mise à rude épreuve du vivant de l'écrivain. La place de toute cette réflexion dans l'histoire de ce qui fut notre siècle est à évaluer : malgré la transparence d'un leitmotiv fréquemment reconduit, le refus de l'histoire débouche sur une saisie des plus profondes dont il importe de mesurer la particularité conceptuelle et scripturale.


Axes de réflexion proposés :


1) Problématiques du Temps
dynamique des conceptions temporelles chez Valéry
l'individu face au Temps
temps chronologique, temps scriptural : du vécu à l'écriture manuscrite


2) Problématiques de l'Histoire
« L'écume des choses » : le refus apparent du présent (politique, social) face à la critique du passé
Valéry devant les sollicitations de l'Histoire impasses et aperçus découlant d'une prise de conscience de l'arbitraire. La place de l'arbitraire dans la reconstitution historique
Valéry et les écrivains de l'histoire ou de la remémoration. Attitudes de Valéry devant les uvres et les romans historiques. Le rapport avec des uvres à résonance historique de son époque, comme celles de Proust, Jules Romains, Anatole France, Bernanos, Malraux, etc.
« Le temps du monde fini commence » : problématiques d'un espace du futur et de l'évolution spatiale. La mortalité des civilisations : genèse et saisie d'une certaine conception de l'Europe finissante ; validité d'une vue de la grandeur et du déclin à la lumière du devenir de l'Europe. Valéry et l'Europe ; de la Société des Nations à la notion d'une communauté européenne ; grandeur et déclin de l'Europe ; attitudes de Valéry envers l'histoire de l'Europe, et la situation géopolitique de cette dernière
Valéry face à l'engagement politique dans les tournants historiques de l'entre-deux-guerres et de la seconde Guerre mondiale
situation de Valéry dans l'histoire des XIXe-XXe siècles (la valeur de sa pensée et de son écriture)


3) Genèses de la pensée sur l'Histoire chez Valéry
les fondements de la conceptualisation portant sur l'Histoire chez Valéry. Les premiers écrits des années 1890 (le « Souper de Singapour », La Conquête allemande), la « Crise de l'esprit » de 1919, la pensée géopolitique, le réflexe anti-fiduciaire
formes d'interaction de l'Histoire avec des contextes spécifiques de genèse littéraire (situation du « Yalou » ; l'émergence de l'Allemagne comme puissance européenne et mondiale, et Une conquête méthodique ; la guerre russo-japonaise et la rêverie stratégique ou militaire ; la première Guerre mondiale et la genèse de La Jeune Parque ; la seconde Guerre mondiale et la rédaction de « Mon Faust »)
genèse d'une nouvelle écriture de l'Histoire : l'interface génétique qui se profile entre la réflexion historique et d'autres grandes thématiques des Cahiers (le Pouvoir, la liberté de l'individu, « l'an-archie », la Nation)


4) Vers une nouvelle écriture de l'Histoire
Valéry écrivain de l'histoire : reflets, transpositions, intuitions témoignages de son époque. Interrogations et transgressions du discours historique. Vers une nouvelle écriture du temps et de la mémoire du passé
« le non-excitant [] le plus important » : préfigurations d'une nouvelle conceptualisation de la marche historique forces souterraines, non décelables dans les « faits »
Le Moi valéryen et la tentation d'en fixer le statut historique. La place des genres littéraires dans cette prise de conscience, leur potentiel et leurs limites : l'écriture « mémoriale » et autobiographique de Valéry des « Mémoires d'un Moi » et des « Mémoires du poète » à l'« autobiographie dans la forme »


5) Le poids du passé et de l'« éternel retour » ; modèles historiques à respecter ou à dépasser
le statut de la pensée du passé chez Valéry face aux impératifs d'une recherche du Moi ancrée dans les aperçus et découvertes du présent et dans les avances épistémologiques, bio-scientifiques, technologiques et littéraires du XXe siècle ; les enjeux du neuf et de l'ancien (, II, 561, « ce qui est le meilleur dans le nouveau est ce qui répond à un désir ancien »)
Valéry face à ses maîtres à penser et à écrire du passé : la nature de la réécriture effectuée par Valéry au départ des ancrages épistémologiques, littéraires ou sociaux qui l'ont sollicité ; les mutations résultant de ces traductions vers le temps présent ; les échos intertextuels et leur statut dans l'uvre
particularités et innovations de l'écriture et de la pensée de Valéry face au dialogue né de l'apport du passé et de l'émergence de nouvelles manières de voir la relation de l'homme au monde (le relatif ; le statut de l'observateur ; les découvertes neurologiques, biologiques et de la matière)


6) Projections et préfigurations de l'avenir chez Valéry projections valéryennes du XXIe siècle
les acquis de l'analyse du présent comme tremplin vers l'avenir
valeur de l'hypothèse, de l'interrogation valéryennes : la dynamique de l'indéterminé; ouverture et inachèvement conceptuels
« connaître et [...] ne pas comprendre » : risques, dérives et potentiel positif de l'avenir, d'après Valéry ; la place des sciences et des avances technologiques dans la marche du XXe siècle


Informations pratiques :


· le colloque est organisé par le Centre de Recherches sur les Littératures Modernes et Contemporaines, Université Blaise Pascal Clermont II