Essai
Nouvelle parution
P. Manent, Les métamorphoses de la cité - Essai sur la dynamique de l'Occident

P. Manent, Les métamorphoses de la cité - Essai sur la dynamique de l'Occident

Publié le par Marc Escola

Référence bibliographique : P. Manent,, , 2011.

Les métamorphoses de la cité - Essai sur la dynamique de l'Occident
Pierre Manent

Paru le : 29/09/2010
Editeur : Flammarion
ISBN : 978-2-08-123750-6
EAN : 9782081237506
Nb. de pages : 424 pages

Prix éditeur : 23,00€


Le propos de ce livre est de présenter une interprétation de l'histoire de l'Occident, plus précisément une interprétation politique de cette révolution permanente qui a caractérisé l'Occident.
Ma thèse est la suivante : la cité est la source première du développement occidental. Avant cette invention, les hommes vivaient selon l'ordre relativement immobile des familles, encore prégnant dans bien des régions du monde. Avec la cité, l'humanité s'engage dans ce nouvel élément qu'est le politique entendu comme gouvernement de la chose commune, et l'histoire de l'Occident devient alors celle de ses quatre grandes formes politiques: la cité donc, puis l'empire, l'Eglise et la nation.
Cette succession n'est pas seulement chronologique, elle est aussi causale. Chaque nouvelle forme résulte de la précédente qui, parvenant au bout de ses possibilités, suscite la nouvelle. C'est ainsi que la cité, déployant ses énergies jusqu'à s'épuiser elle-même dans les luttes intestines et les guerres extérieures, donne naissance à l'empire occidental - celui d'Alexandre, puis celui de Rome. C'est ainsi que l'Eglise comme communauté universelle prend la suite de l'empire, incapable de préserver l'unité dont il portait la promesse.
Pendant une grande partie de son histoire, l'Occident restera incertain de sa forme politique, hésitant entre la cité, l'empire et l'Eglise, jusqu'à ce que soit élaborée la forme politique qui permettra aux Européens de se gouverner enfin de manière rationnelle : la nation. Mais cette forme à son tour s'est détruite elle-même dans les guerres " hyperboliques" du XXe siècle, et nous sommes aujourd'hui à la recherche d'une nouvelle forme politique.
Cette étude s'efforce de retracer l'histoire politique, mais aussi intellectuelle et religieuse, de l'Occident en la rattachant sans cesse au problème politique par excellence: comment nous gouverner nous-mêmes? Cette histoire raisonnée des formes politiques est donc aussi une recherche de philosophie politique.

Sommaire:

La dynamique occidentale

L'EXPERIENCE ORIGINELLE DE LA CITE

Quelle science pour la cité ?
La naissance poétique de la cité
L'opération civique

L'ENIGME DE ROME

Rome et les Grecs
Rome sous le regard des Modernes
L'enquête de Cicéron

L'EMPIRE, L'EGLISE, LA NATION

La critique du paganisme
Les deux cités
L'enjeu de la médiation

L'auteur:

Pierre Manent est directeur d'études à l'EHESS.
Membre fondateur de la revue Commentaire, il a publié une dizaine d'ouvrages parmi lesquels le Cours familier de philosophie politique (2001) et La Raison des nations (2006). Spécialiste en science politique, Bénédicte Delorme-Montini collabore régulièrement à la revue Le Débat.


* * *

On peut lire sur le site de Libération cet article en date du 30/12/2010:

La politique, une affaire de nombres

Critique

De la cité grecque à la nation moderne, l'analyse de Pierre Manent

Par ERIC AESCHIMANN

Pierre Manent est un anti-Moderne subtil. A l'amour du présent, il oppose, non sans ironie, les charmes du passé révolu. Universitaire discret, il était sorti du bois en 2006, après le référendum de la Constitution européenne, avec la Raison des nations, plaidoyer «de droite» contre la construction européenne, qui lui valut des critiques acerbes, y compris chez ses amis. Avec les Métamorphoses de la cité, il poursuit son investigation sur l'histoire des formes politiques. Fruit d'un séminaire tenu à l'EHESS et nourri d'exégèses d'Homère, Aristote, Cicéron, Machiavel ou Rousseau, l'ouvrage n'est pas toujours facile. Pour en saisir la force, il faut garder en mémoire l'avertissement initial : «Au lieu de voir l'histoire courir complaisamment vers nous, vers les grandeurs et les misères de notre démocratie, je l'ai vue de plus en plus nettement se déployer à partir de cette prodigieuse innovation», la cité grecque, cette « première production du commun». Regarder notre époque avec les yeux des Anciens, tel est l'enjeu.

Tripartition. En bon disciple de Léo Strauss, Manent commence par récuser les réflexes sociologiques. Pour lui, les individus préexistent aux structures et Hésiode et Homère furent, au sens propre, les «éducateurs de la cité». Non seulement leurs descriptions des Dieux sont de véritables inventions, datables et attribuables, mais l'Illiade, lorsqu'il y est question de la cité en formation, propose d'emblée une tripartition sur laquelle la science politique continue de vivre : le «grand nombre» (le peuple, la démocratie), le «petit nombre» (l'oligarchie) et l'«un» (la monarchie). De même, la guerre y apparaît clairement comme l'opérateur de la cité, parce qu'elle oblige ces trois catégories à produire du commun. C'est tout l'art d'Ulysse, quand les troupes d'Agamemnon désertent, de s'adresser au «petit nombre» avec certains arguments et au «grand nombre» avec d'autres. N'appartenant ni aux uns ni aux autres, Ulysse est le «prototype du sage et pour ainsi dire [la] première version de Socrate». C'est le premier penseur politique.

L'articulation du «grand nombre» et du «petit nombre» est le fil rouge de l'ouvrage, sous le nom de «régime mixte». S'appuyant sur une lecture paradoxale et assez fascinante de Rousseau, Manent montre que l'existence du «groupe des riches» (ou, comme on dira plus tard, les «deux cents familles», on reste bien dans la logique du petit nombre) est une condition nécessaire à la fabrication du commun. Le riche veut s'enrichir ; ce faisant, il se rend vulnérable à l'envie du pauvre ; pour se protéger, il invente des règles communes qui limitent, mais aussi légitiment, la demande d'égalité du pauvre. D'où l'idée que «l'institution politique est essentiellement liée à la domination sociale, elle ne saurait s'en détacher complètement». Au passage, on retiendra une délicieuse définition du bourgeois par Alan Bloom : «Le bourgeois, c'est celui qui, dans ses rapports avec les autres, ne pense qu'à lui-même et, dans ses rapports avec lui-même, ne pense qu'aux autres.»

Concurrence. Le modèle initial de la cité se développe. Chez les Romains, elle devient l'empire ; avec les Lumières, elle prend la forme de la nation. Les phases d'épanouissement alternent avec les impasses, voire les temps de flottement - le Moyen Age fut avant tout une période sans forme politique. C'est en décrivant cette longue histoire que, paradoxalement, Manent dessine l'image du monde contemporain. Ainsi, concluant la partie sur la cité grecque, il remarque que, dans les sociétés de concurrence économique, nous subissons une double injonction. Chacun est tenu pour égal, mais se doit d'être toujours plus performant et donc plus inégal.«Compatissant et compétitif, tel est le héros de notre temps.»

Nature. Plus loin, il observe que l'empire romain fut une formidable machine à garantir la part du pauvre et à permettre au riche de devenir aussi riche qu'il le voulait, et que ce déséquilibre était compensé par les ressources tirées de son extension territoriale. Or, la structure n'a guère changé depuis, à ceci près que, «si notre régime mixte ne tombe pas en dépit de son déséquilibre permanent, c'est qu'il ne cesse de courir après la "croissance" qui permet de satisfaire les revendications du grand nombre sans tuer ni voler les riches, et même en permettant à ces derniers de devenir plus riches encore.» Dans la production du commun, la destruction de la nature a remplacé la guerre.

Dans un livre d'entretiens qui paraît au même moment, Pierre Manent raconte son enfance dans une famille communiste, sa découverte du christianisme, sa conversion au libéralisme, sa proximité avec Raymond Aron, dont il fut l'assistant au Collège de France. De ce parcours tout entier consacré à la spéculation intellectuelle et théologique, on entend les échos dans la conclusion des Métamorphoses de la cité. Le philosophe n'y cache pas la perplexité que lui inspire l'avènement d'une Europe cimentée par la «religion de l'humanité». Elevée à la place laissée vacante par les Dieux, cette religion de l'humanité «est dépourvue de portée politique», écrit-il. Et l'on comprend alors que Manent est, plus que tout, un passionné de politique. C'est le trait commun des anti-Modernes, et ce n'est pas là le moindre de leurs charmes."