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Où en sommes-nous avec la Théorie Esthétique d'Adorno ? (Rennes)

Où en sommes-nous avec la Théorie Esthétique d'Adorno ? (Rennes)

Publié le par Marc Escola (Source : Christophe David)

COLLOQUE INTERNATIONAL

OÙ EN SOMMES-NOUS AVEC LA THÉORIE ESTHÉTIQUE D’ADORNO ?

 

APPEL À COMMUNICATIONS

« La norme de toute théorie contemporaine de l’esthétique est l’esthétique d’Adorno », pouvait écrire Peter Bürger dans sa Théorie de l’avant-garde, en 1974. Que reste-t-il, plus de quarante ans après sa publication, de Théorie esthétique ?  

Ce colloque international durera deux jours et aura lieu à l’Université Rennes 2 en octobre 2017 à l’initiative de Christophe David (Histoire et critique des arts) et Florent Perrier (Arts Pratiques et Poétiques). Les langues du colloque seront le français et l’anglais.

Argumentaire :

Ästhetische Theorie a été écrit entre 1961 et 1969 et publié en 1970 de façon posthume dans l’état d’inachèvement où la mort d’Adorno a figé ce travail. Le début des années 1960, ce sont les années où ce qu’on appelle l’art contemporain succède aux avant-gardes et cohabite avec l’art moderne. Fréquentant les Ferienkurse de Darmstadt et y intervenant (Adorno, Kranichsteiner Vorlesungen [1955-1966], Suhrkamp, 2014) — sans être dupe du décalage entre lui et les jeunes musiciens à qui il s’adresse —, donnant une conférence lors de la documenta2 en septembre 1959 (« Die Idee der neuen Musik ») — tout en se montrant critique du concept des documenta —, Adorno est assez emblématique de cette situation qu’Ästhetische Theorie reflète et enregistre.

Si, dans les années 1930, l’artiste épicentrique de la philosophie de l’art d’Adorno était Schönberg, au début des années 1960, c’est Beckett, à qui devait être dédié Ästhetische Theorie.

On est dans l’après-Auschwitz et dans le sillage de la question ouverte en 1949 (avec « Kulturkritik und Gesellschaft ») et reprise en 1966 (dans Negative Dialektik) de la possibilité de l’art — de la poésie — après Auschwitz.

Ästhetische Theorie s’inscrit aussi dans le sillage de la réflexion sur l’industrie de la culture initiée dans Dialektik der Aufklärung. On peut même dire que c’est Ästhetische Theorie qui fournit la théorie de l’œuvre d’art autonome qu’appelait la critique de l’industrie de la culture initiée aux États-Unis.

Mais l’autonomie de l’art selon Adorno se définit dialectiquement comme autonomie de l’art en tant que culture, en tant qu’art dans la société. Ainsi Ästhetische Theorie contient une « ontologie » de l’œuvre d’art insistant sur son « double caractère ». L’œuvre d’art est « autonomie et fait social ». Si l’art devient social, c’est « par la position antagoniste qu’il adopte vis-à-vis de la société, et il n’occupe cette position qu’en tant qu’art autonome ». Ce n’est pas pour des raisons contingentes que l’esthétique se fera et sociologie (politique) et critique (politique) de la culture. Dans le « monde administré », cette autonomie des œuvres est l’autonomie de référence, celle à partir de laquelle on peut penser l’autonomie morale et politique. Toute œuvre, même « la plus sublimée […] cache quelque chose comme “il faut changer le monde” ».

Comment passe-t-on de l’autonomie des œuvres d’art à l’autonomie des individus ? « Les œuvres d’art correspondent au besoin objectif d’une transformation de la conscience pouvant se faire transformation de la réalité ». Dans le monde empirique, elles offrent leur liberté et participent ainsi du mouvement utopique. « En se séparant en toute rigueur du monde empirique, de leur autre, les œuvres témoignent que ce monde doit lui-même devenir autrement : c’est ainsi qu’elles sont les schèmes non conscients de sa transformation ». Les schèmes non conscients ? Adorno fait partie de cette tradition de la philosophie de l’art pour qui l’art est d’abord expression (c’est de ce point de vue [cassirérien] qu’Ästhetische Theorie entreprend de repenser la mimèsis), ce qui le rend difficile à penser, car « ce qui est qualitativement contraire au concept est difficile à conceptualiser ». On n’est pas loin de l’esprit des origines de l’esthétique, à savoir de Baumgarten et de la question de la connaissance sensible… « L’art dans sa totalité est la sécularisation de la transcendance » — c’est ainsi qu’il prend part à la « Dialektik der Aufklärung » — il est une connaissance non conceptuelle. Du coup, la tâche de l’esthétique en tant qu’« interprétation philosophique des œuvres d’art ne peut pas être de produire leur identité au moyen du concept, de les absorber en lui » : « l’œuvre cependant se déploie à travers l’interprétation dans sa vérité ». On ne peut s’empêcher d’entendre ici, et dans les développements d’Ästhetische Theorie sur l’œuvre d’art comme énigme, des échos de la conception de la critique exhumée par Benjamin dans sa thèse…

Adorno connaît la tradition de l’esthétique. Tous les grands noms de l’esthétique allemande (mais pas seulement…) sont présents dans Ästhetische Theorie. C’est parce qu’il connaît les « ressources » de la tradition qu’il peut « bien [la] haïr », pour reprendre une expression de Minima moralia, et repenser les questions du beau, du sublime, de la mimèsis, etc., à nouveau frais.

La parution posthume d’Ästhetische Theorie avait été précédée en 1967 par celle du recueil Ohne Leitbild, sous-titré « Parva esthetica », qui rassemblant des textes comme, par exemple, « Résumé über Kulturindustrie » ou « Die Kunst und die Künste », juxtaposait des essais sur l’art comme fait social et d’autres sur l’art comme art autonome.

Autant dire que la philosophie de l’art que contient Ästhetische Theorie n’est pas une réflexion myope sur l’art. Prolongeant non seulement la critique de l’industrie de la culture mais la critique de la culture elle-même, elle inscrit l’esthétique dans un horizon politique sans renoncer à la développer sur un plan philosophique des plus exigeants.

« La norme de toute théorie contemporaine de l’esthétique est l’esthétique d’Adorno », pouvait écrire Peter Bürger dans sa Théorie de l’avant-garde, en 1974. « Si les modes de pensée adorniens et même ses façons de réagir intellectuellement, se sont pour ainsi dire sédimentés dans l’esprit des artistes, des écrivains et des intellectuels, Ästhetische Theorie a eu dans l’esthétique universitaire ou dans la théorie littéraire, un destin moins favorable », écrivait Albrecht Wellmer dans « Vérité-apparence-réconciliation. Adorno et le sauvetage esthétique de la modernité », en 1983. Il y a eu un « après Adorno » (cet « après Adorno » dont le nom se détache en rouge sur la couverture de l’anthologie publiée par Rainer Rochlitz en 1990) dans lequel on a célébré sa grandeur puis noté sa décadence. Disons que nous nous trouvons aujourd’hui, près d’une cinquantaine d’années après le moment où Adorno travaillait à Ästhetische Theorie, dans un « bien après Adorno ». Où en sommes-nous aujourd’hui avec Ästhetische Theorie ?

Bibliographie indicative

- James Hellings, Adorno and Art : Aesthetic Theory contra Critical Theory de James Hellings, Palgrave Macmillan, Hampshire, 2014

- Marcus Quent und Eckardt Lindner (éditeurs), Das Versprechen der Kunst. Aktuelle Zugänge zu Adornos Ästhetischer Theorie, Turia + Kant, Vienne, 2014.

- Albrecht Wellmer, « Autonomie et négativité de l’art. L’actualité de l’esthétique d’Adorno et les points aveugles de sa philosophie de la musique » [2003], in Réseaux, n°166/2011, pp. 36-68.

- Ruth Sonderegger, « Ästhetische Theorie », in Richard Klein, Johann Kreuzer et Stefan Müller-Doohm (éditeurs), Adorno-Handbuch. Leben – Werk – Wirkung, J. B. Metzler Verlag, Stuttgart, 2011, pp. 414–427.

- Rolf Wiggershaus, « Ästhetische Theorie », in Axel Honneth (éditeur), Schlüsseltexte der Kritischen Theorie, VS Verlag für Sozialwissenschaften, Wiesbaden, 2006, pp. 81–84.

Comités organisateur et comité scientifique :

Le comité organisateur est constitué et le comité de scientifique en cours de constitution.  Nous communiquerons la liste de leurs membres dès que possible.

Modalités de soumission :

L’appel s’adresse à des chercheuses et chercheurs travaillant en esthétique, en philosophie de l’art, philosophie politique, sociologie, histoire de l’art, musicologie, histoire littéraire, théorie littéraire, etc.

Les questions que l’on aimerait approfondir au cours de ces deux jours sont les suivantes :

- La pré-histoire d’Ästhetische Theorie. Il s’agirait d’explorer comment des questions thématisées dans les années 30 et 40 (le caractère fétiche de l’art, la dissonance, etc.) se retrouvent changées ou inchangées dans Ästhetische Theorie, dans les années 60, quel rôle jouent encore les influences (Georg Lukács) ou les échanges (Walter Benjamin, Ernst Bloch, Alfred Sohn-Rethel). Comment Schönberg est-il traité dans Ästhetische Theorie dont il n’est plus l’artiste épicentrique ? Quelle différence avec le Schönberg de la première partie de Philosophie der neuen Musik (écrite en 1940-41) et celui des conférences de Darmstadt ?

- Le rapport entre Ästhetische Theorie et les cours sur l’esthétique de la fin des années 50 (Vorlesungen. Ästhetik [1958-59], Suhrkamp, 2012).

- Les références à la tradition esthétique (Baumgarten, Schiller, Rosenkranz, Croce, Dewey, Dilthey, etc.) et les moments métacritiques (critique de Kant, Hegel, Nietzsche, Freud, etc.) dans Ästhetische Theorie. Les questions esthétiques reprises et/ou réinventées : l’apparence, la mimèsis, le beau naturel, le beau artificiel, le sublime, etc. Le rapport entre Ästhetische Theorie et Ohne Leitbild. Parva aesthetica.

- Les éléments d’analyse de l’industrie de la culture. Comment se rejoue dans Ästhetische Theorie l’opposition dialectique entre l’art autonome et l’art administré de l’industrie de la culture ? Quelle place occupe la critique de la culture dans Ästhetische Theorie ? Que peut apporter Ästhetische Theorie à une critique de la culture ?

- L’articulation entre Dialektik der Aufklärung et Ästhetische Theorie se joue aussi dans l’identification de l’art comme forme symbolique participant (en tant que « sécularisation de la transcendance ») au mouvement d’émancipation du mythe. L’art comme forme symbolique dans l’après-Auschwitz et à l’époque des industries de la culture.       

- Le traitement des arts (musique, littérature, cinéma, etc.), des œuvres (le livre contient de nombreuses analyses d’œuvres plutôt suggestives et qui ne demandent qu’à être prolongées) et des artistes anciens (Bach, Baudelaire, Beethoven, Goethe, Wagner) et modernes (Beckett, Brecht, Celan, Kafka, Picasso, Valéry) dans Ästhetische Theorie. La question du traitement des avant-gardes (les « -ismes »). Le traitement de l’art contemporain (à travers, par exemple, les jeunes musiciens de Darmstadt). La question du rapport de la philosophie aux arts. Philosophie, interprétation et critique. 

- La question de la politique dans Ästhetische Theorie. Les œuvres d’art jouent un rôle dans la transformation politique du monde administré. Monde administré et art administré. Autonomie esthétique et liberté politique. La question de l’utopie : « Toute œuvre est utopie dans la mesure où, au travers de sa forme, elle anticipe une réalité qui serait enfin elle-même […]. Mais parce que l’utopie — ce qui n’est pas encore — est voilée de noir, elle conserve au travers de toutes médiations le caractère d’un souvenir, souvenir du possible contre le réel, quelque chose comme la compensation imaginaire de la catastrophe qu’est l’histoire universelle ». Ästhetische Theorie est-elle bien une esthétique « matérialiste et dialectique » ? Quel rapport à Marx se noue dans ce livre ?

Les propositions de communication en français, allemand, anglais ou espagnol (titre de la contribution et résumé de 15 à 20 lignes) devront être envoyées avant le 20 octobre 2016 à Christophe David (christophe.t.david@wanadoo.fr) et Florent Perrier (florentperrier@hotmail.fr). Elles seront accompagnées d’une notice de 5 à 6 lignes (nom prénom, rattachement universitaire s’il y a, articles ou livres marquants). Les communications n’excèderont pas 25 minutes et pourront être prononcées en langue française ou anglaise.