Revue
Nouvelle parution
Otago French Notes 1/2008

Otago French Notes 1/2008

Publié le par Sophie Rabau (Source : La rédaction de la revue Otago French Notes)

Otago French Notes / Cahiers d'Études Littéraires de l'Université d'Otago, 1/2008:

Centenaire lyrique

René Char ; Eugène Guillevic

Textes réunis sous la direction de Constantin Grigorut et Elena-Brandusa Steiciuc


Éditée au sein de la plus ancienne des universités néo-zélandaises, la revue Otago French Notes paraît grâce à une bourse de recherche offerte avec générosité par le Département de langues et cultures de l'Université d'Otago, grâce à l'appui de l'Ambassade de France en Nouvelle-Zélande, et grâce au soutien professionnel des nombreuses personnalités critiques et littéraires qui ont eu l'amabilité d'accepter de faire partie de nos comités scientifique et d'honneur. À travers des numéros thématiques publiés une fois par an (en français ou en anglais), la revue ouvre ses pages aux chercheurs de tous les coins du monde dont le domaine d'étude vise les littératures française et francophone, et se propose de contribuer à la promotion et à l'étude des auteurs et des oeuvres littéraires d'expression française.

Nous aurions aimé voir ces pages publiées avant la fin de 2007. Hélas,telle ne fut pas la chance de notre jeune publication. Que les lecteursnous le pardonnent : mieux vaut tard que jamais.

Le premier volume de la revue n'a aucunement eu la prétention de tirer un bilan de toutes les années de création poétique de René Char et Eugène Guillevic, des années qui s'amassent derrière un 2007 de commémoration lyrique. « On ne possède rien, jamais, qu'un peu de temps » nous rappelle un très beau vers de Guillevic. Comme grand nombre d'autres revues universitaires d'études littéraires qui essaient de rendre hommage aux grands écrivains de tous les temps, la nôtre a essayé de s'inscrire sur une pareille orbite culturelle. Le présent volume ne fait donc que rassembler une douzaine de textes dédiés à ces deux grands poètes nés en 1907 : des études critiques et un petit bouquet de traductions de quelques poèmes  de Char.

D'une diversité surprenante, les analyses qui articulent ce volume sont signées par des plumes critiques de plusieurs coins du monde : de France, d'Espagne, d'Italie, de Tunisie. Qu'il s'agisse de chercheurs de marques ou de jeunes qui viennent de terminer des études doctorales, les auteurs de ces analyses examinent autant de visages divers de l'oeuvre de Char ou de celle de Guillevic.
Après l'essai d'ouverture de Jean Bessière, essai qui porte dans son titre les principaux jalons sémantiques d'une enquête sur l'imaginaire poétique de Char, Olivier Belin vise une redécouverte du premier recueil de Char, Les Cloches sur le coeur, recueil hanté par la finitude, et qui s'organise dans une véritable « cosmogonie de la douleur ». C'est un recueil, conclut Belin, qui s'enferme dans une « violence autodestructrice », ou dans une « dérision qui ruine son identité poétique ». Situation d'échec pour le sujet poétique, mais les recueils ultérieurs essaieront de rétablir l'équilibre.
Vicenta Hernández Álvarez prend la relève et nous propose une analyse du recueil Le Marteau sans maître, « réflexion fragmentée sur la poésie de l'être, étroitement liée à l'existence ». La signification pragmatique – est d'opinion Vicenta Hernández Álvarez – prime dans ce recueil où le ton moraliste domine, où le poète est « un écumeur de mémoire ». La rhétorique sert bien une certaine pédagogie, « les aphorismes deviennent son atout, les infinitifs qui chantent le désir et l'ordre, les futurs prophétiques, les parallélismes, les anaphores, les sons et les rythmes, autant de procédés mnémotechniques qui aideront l'élève à reproduire la leçon ».
Avec un titre très simple (« À propos du corps entre art et poésie »), Barbara Bottari compare les poèmes de René Char (Arsenal, Moulin Premier et Fureur et mystère) et les installations de l'artiste allemand Franz Erhard Walther (1-Werksatz) pour y trouver un bien intéressant dialogue à distance en ce qui concerne la poésie du corps. Ainsi, prouve Barbara Bottari, la fragmentation du corps en tête, bras, dos, poignet dans les deux productions de l'après-guerre, la destruction du corps physique et du vers dans le corps du poème (Le poème pulvérisé et La Parole en archipel) « révèlent autant d'attitudes artistiques face aux moments historiques, surtout tout de suite après la deuxième guerre mondiale, mais, encore plus, expriment le besoin de reconquérir une véritable condition humaine perdue ».
Un peu plus loin,  Mireille Raynal Zougari offre une autre comparaison intéressante entre le « théâtre de verdure » de René Char et le registre esthétique de la pantomime, « lieu de passage entre le réel et le poème » ; le corps du mime – nous fait signaler Mireille Raynal Zougari – « entre corps-symptôme et corps-signe, annonce quelque chose qui n'est pas encore visible mais reste infiguré », le corps du mime « se dérobe au regard saisissant et fait glisser l'attention du spectateur depuis l'acte vers ce qui a lieu entre les actes, l'infigurable ».
Le jeune poète tunisien Aymen Hacen se lance dans une analyse comparative de Char et du poète Mahmoud Darwich.  Avec subtilité d'analyse, Aymen Hacen explore un certain nombre de « points de partage entre les deux poètes, dont la résistance, un rapport charnel voire tellurique à la langue, ainsi qu'une conception partagée de l'amour, de la vie, de l'histoire, de la poésie, et de la philosophie ».  Tout de suite après, Ibtissen Bouslama regarde René Char en « conversation souveraine » avec Alberto Giacometti. Comme nous dit Ibtissen Bouslama, le maître mot dans cette interaction du poétique et du plastique est bien cette notion du « partage entre deux univers, deux sensibilités, une sorte d'hybridation et de dialogue entre l'ombre et la lumière, qui crée un lieu d'origine et d'élection, souvent accordé à une forme de délectation du sensible ».
Jean-Philippe Bayeul se penche sur le théâtre et propose une exploration en détail de ce coin de l'oeuvre dramatique de Char, espace que l'exégèse a trop souvent – et d'une manière sans doute injuste – délaissée. On explore ainsi, dans un premier temps les particularités de ce théâtre à part, pour montrer dans la deuxième partie de l'analyse que ce coin de l'oeuvre de Char « investit parfois de façon systématique l'essence même de ce qui constitue l'écriture dramaturgique ». Bayeul considère que le poète « s'approprie un certain nombre de règles en les adaptant à sa propre personnalité et aux attributs de son écriture ».
Muriel Tenne propose une étude comparative des deux poètes avec un titre de résonance phénoménologique : « Poésie et silence chez René Char et Eugène Guillevic ». Il s'agit d'une approche philosophique qui invite à une « réflexion sur la tension entre la poésie et le silence […], entre une réalité sensible, acceptée dans son opacité – sans parole fondatrice – et un rêve formel d'objectiver, de formaliser, de saisir l'origine et la nature de la présence de l'être mais aussi du langage ». Pour Tenne, la parole poétique de Char et de Guillevic se présente comme une « volonté de s'engager dans un chemin qui mène au langage et ainsi de s'ouvrir à ce qui, en lui, ne se montre qu'en s'effaçant ».
Un peu plus loin, Delphine Garnaud examine le statut de l'image poétique dans l'oeuvre de Guillevic (« Guillevic et l'image poétique : du soupçon à la redéfinition ») qui, bien qu'il demeure problématique dans son héritage surréaliste, pourrait être « le générateur ou le catalyseur de sa réhabilitation et de sa redéfinition ». Car, trouve Delphine Garnaud, l'image poétique, dans la progression de l'oeuvre de Guillevic, s'éloigne de toute influence surréaliste et « va même jusqu'à renoncer à ses capacités de transfiguration du réel pour mieux se construire […] comme une figure dialectique permettant au langage d'accueillir le monde et d'établir la possibilité d'un lien ou d'une communication entre le sujet poétique, le langage et le monde ».
La dernière étude critique du volume propose une relecture du recueil Euclidiennes publié par Eugène Guillevic en 1967, et appartient à  Evelio Miñano. Oeuvre surprenante et singulière dans l'itinéraire poétique d'Eugène Guillevic, le recueil Euclidiennes est structuré en une série de poèmes consacrés à des figures géométriques. C'est exactement ce qu'Evelio Miñano propose, une relecture sous l'angle « des possibilités qu'a le poème d'aborder le réel et de l'objectivisme en poésie. L'évidement de son sujet lyrique en une polyphonie décentrée annonce la crise du sujet poétique contemporaine en lui donnant un traitement particulier. Les liens unissant figures et textes consacrés à elles sont divers, allant de la référence objective à la figure à la rêverie purement subjective, passant par des degrés différents d'analogie: une diversité de techniques qui montre comment la poésie peut et se contraindre et se libérer de ses référents, entre objectivisme et pure subjectivité. Finalement, une certaine désillusion pèse sur l'ouvrage, révélatrice d'un pessimisme très contemporain, résultat certainement de circonstances particulières à l'origine, sur ce que peut offrir la poésie.
Last but not least, Pritwindra Muykherjee ajoute quelques pages qui sortent un peu du cadre scientifique d'un pareil volume et l'adoucissent avec une subtile nuance personnelle.

Une fine observation  de Lautréamont nous enseigne  que les jugements sur la poésie sont « la philosophie de la poésie ». Il ne nous reste plus qu'à adresser nos remerciements sincères à tous ceux qui ont contribué à la publication de notre hommage à René Char et Eugène Guillevic, et, certes, nos remerciements à la direction du Département de Langues et Cultures de l'Université d'Otago pour son soutien à la publication de la revue Otago French Notes. Soutien d'autant plus généreux dans un temps bien épineux pour la vie des revues universitaires de ce genre. Mais, comme le dit ce vers de « Retour amont » de Char, « prend-on la vie autrement  que par les épines » ?

Constantin Grigorut et Elena-Brandusa Steiciuc, Otago French Notes