Questions de société

"On voulait en finir avec les mandarins, on leur offre un boulevard" (Le Monde.fr 23.01.09)

Publié le par Bérenger Boulay

"On voulait en finir avec les mandarins, on leur offre un boulevard" lemonde.fr| 23.01.09 | 14h18

Paroles d'enseignants- chercheurs entre intérêt et inquiétudes.

Jean-Pascal Gayant, 41 ans, professeur d'économie, Université du Maine.

"Jesuis séduit par la reconnaissance des différentes tâches d'unenseignant-chercheur. Actuellement, celui qui se consacre au maximumsur la recherche, en laissant en quelque sorte à ses collègues lesaspects pédagogiques ou administratifs du métier, aura un avancement decarrière beaucoup plus favorable. Si le décret arrive à intégrer sur unpied d'égalité l'ensemble des missions d'un universitaire, ce sera uneréelle avancée. Mais je ne peux m'empêcher d'avoir quelques doutes. Ilfaudra du temps pour que les choses changent : les thésards sont encoreélevés dans l'idée que la recherche est la partie noble du métier etl'enseignement une corvée".

Henri Isaac, 42 ans, maître de conférences en sciences de gestion, Université Paris-Dauphine

"Dauphineest une faculté peu connue pour son gauchisme. Et pourtant bon nombred'enseignants-chercheurs ont signé la pétition dénonçant le nouveaudécret. Tout le monde est assez furieux ici ! Et pour cause. S'il y ades aspects positifs, il existe des choses complètement inacceptables.Le système des promotions est par exemple une véritable usine à gaz.Après un simple avis consultatif du Conseil national des universités,le président de l'université pourra décider tout seul... C'est de laféodalité institutionnalisée que l'on met en place. Celui quis'opposera au président aura peu de chance d'obtenir une promotion.Dans une entreprise, c'est la DRH qui gère les promotions, pas le PDG !Donner ainsi les pleins pouvoirs au président est pour moi inacceptable! Il s'agit d'une vision complètement mandarinale de nos fonctions.Ironie, alors que l'on voulait en finir avec les mandarins, on leuroffre un boulevard".

Martin Andler, 57 ans, professeur de mathématiques, Université de Versailles - Saint-Quentin-en-Yvelines.

"Monavis est nuancé. Par principe, je suis favorable à la modulation duservice. Aux Etats-Unis, il y a une variété très importante desituation selon la réputation ou l'habileté de chaque enseignant ànégocier un contrat favorable, selon les disciplines et le typed'universités. Cette variété est naturelle, et cela plaide en faveur dela modulation. Mais, le problème est que selon le projet de décretcette modulation doit être gérée par l'université, sous laresponsabilité du président. Sur ce point, les collègues sont méfiants,et ils ont raison. Car, la loi sur l'autonomie n'a pas prévu d'instancede contre-pouvoir permettant aux enseignants-chercheurs de se faireentendre. Dans les universités américaines, pour reprendre cet exemple,il existe une sorte de "sénat des professeurs" qui peut s'opposerefficacement aux décisions d'un président qui outrepasserait son rôle".

Frédéric Zalewski, 38 ans, maître de conférence de science politique, Université Paris X-Nanterre.

"Lesuniversitaires risquent fort de voir leur charge d'enseignementalourdie puisque le président peut moduler les services. Or, cettedisposition est introduite dans un contexte où des postes sontsupprimés, où les volumes d'heures complémentaires baissent. Même sielles sont opposées à ces nouvelles dispositions, les équipes dedirection des universités pourraient dont être amenées à avoir recoursà cette solution indépendamment de la qualité des travaux scientifiquesqui devait servir de référence pour la modulation de service. Plusglobalement, ce décret s'inscrit dans le droit fil de la modernisationlibérale de l'université française portée par la loi sur l'autonomie etc'est donc toute la critique de ce projet politique qui est engagée àtravers ce décret".

Sébastien Faure, 31 ans, maître de conférence en pharmacologie, Université d'Angers.

"L'évaluationde l'enseignement tous les quatre ans est une petite révolution selonmoi. Après, il faut voir quels critères et quels indices de qualitévont être retenus. Que l'on veuille encadrer notre profession pouréviter d'éventuels abus, c'est sûrement légitime. Nous sommes rémunéréspar de l'argent public qui se doit d'être utilisée de manièrecohérente. Mais il faut aussi faire confiance auxenseignants-chercheurs qui, dans leur très grande majorité, ont à coeurd'exercer leurs missions du mieux possible".

Agnès Florin, 59 ans, professeur de psychologie de l'enfant et de l'éducation, Université de Nantes.

"Jesuis plutôt favorable au projet de décret, car le texte de 1984 n'estplus adapté à la réalité de ce que nous vivons. Notre métier a beaucoupévolué. Nos missions se sont nettement diversifiées. Et il estdifficile d'être efficace sur l'ensemble de ces missions. Il peut doncêtre utile d'avoir une modulation de service. Quant aux jeunes maîtresde conférence débutants cela peut les aider à se préparer, concevoirtout leur enseignement, sans perdre le lien avec la recherche. Mais, ilest vrai que cette évolution implique une définition contractuelle,pluriannuelle, des missions de chaque enseignant-chercheur. Et il fautdéfinir un cahier des charges national pour éviter les dérives".

le Monde, Benoit Floc'h, Philippe Jacqué, Catherine RollotArticle paru dans l'édition du 24.01.09.