Questions de société
Occupation de l'Aeres (19/3).

Occupation de l'Aeres (19/3).

Publié le par Marc Escola (Source : SLU)

MERCREDI 18 MARS 2009 : OCCUPATION DE L'AERES


Depuis 9h ce matin, l'AERES est occupée ce jour par une cinquantaine d'enseignants-chercheurs, de chercheurs et d'étudiants, qui y sont depuis l'ouverture.

Ils invitent leurs collègues à les rejoindre pour tenir une AG sur place, 20 rue Vivienne, 75002 PARIS (Métro Bourse).

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POURQUOI NOUS OCCUPONS L'AERES


« Les établissements doivent s'engager à mettre en place des procédures pour améliorer la qualité de leurs formations, de leurs diplômes et de leur recherche. C'est une culture du management de la qualité qu'il convient d'instaurer. La stratégie, la politique et les procédures visant à l'amélioration continue de la qualité doivent avoir un statut officiel au sein des établissements et des organismes. Plus autonome, chaque université doit prendre en main sa politique et les moyens de sa mise en oeuvre, et, d'une logique de moyens, elle doit passer à une logique de résultats. Chacune doit pouvoir mesurer sa performance, assurer et manager la qualité de sa recherche et de son offre de formation et les situer au plan international ».
Edito de Jean-François Dhainaut, Président de l'AERES

Article mis en ligne le 29 septembre 2008 (http://www.aeres-evaluation.fr/Edito)


La concurrence fait partie du quotidien de tous les acteurs du monde universitaire depuis des décennies, mais la normalisation de cette concurrence entre institutions universitaires et scientifiques, entre cursus de formation, entre chercheurs et enseignants-chercheurs, voilà l'objectif des réformes qui se succèdent depuis le début de ce siècle un peu partout en Europe. En France, ce processus a été scandé par les réformes universitaires du LMD à la LRU, par la création de l'Agence Nationale de la Recherche et la refonte du CNRS. La concurrence généralisée devient alors un modèle et doit se doter d'outils bureaucratiques imposant les canons d'une évaluation systématique et centralisée de la qualité des concurrents… Voilà le sens de la création de l'Agence d'Evaluation de la Recherche et de l'Enseignement Supérieur (AERES) en 2006… Une institution dirigée par des scientifiques nommés par les institutions politiques et scientifiques (le président et les 24 membres du conseil de l'AERES), c'est-à-dire par des gens de pouvoir. Une institution animée par des experts convoqués, issus du monde scientifique et universitaire qu'ils vont eux-mêmes contrôler ... et gare à leur propre évaluation et à celle de leur labo s'ils refusent d'évaluer les autres. Pourquoi nous en inquiéter ? L'AERES n'est finalement qu'un organe de contrôle en remplaçant d'autres, un organe particulièrement vertueux d'ailleurs, puisqu'il annonce se soumettre lui-même aux procédures d'évaluation de la qualité : « La démarche qualité inscrit l'agence dans un processus d'amélioration continue. […] Elle est conforme aux exigences des références et lignes directrices pour le management de la qualité dans l'espace européen de l'enseignement supérieur » ( http://www.aeres-evaluation.fr/-Qualite-).


Nous dénonçons d'abord cette inflation sans fin des procédures d'évaluation de la recherche et de l'enseignement. S'il nous semble logique de demander des comptes à ceux qui bénéficient de fonds publics, il est par contre absurde de leur faire perdre leur temps dans l'élaboration de stratégies de valorisation d'eux-mêmes sans rapport avec leur mission première qui est d'analyser, d'écrire et de transmettre. Dans ce XXe siècle déjà si lointain, chercheurs et universitaires passaient déjà un temps important à jauger de la qualité des travaux des uns et des autres. Aujourd'hui, la conception ouvertement managériale de l'activité universitaire et scientifique aboutit à une perte de temps et d'énergie considérable pour se plier aux normes du contrôle. Le coût du management dépasse alors largement le bénéfice escompté en terme « d'efficacité » ou de « productivité ». Combien d'articles de circonstances, combien de co-signatures de complaisance faudra-t-il avant de constater que l'inflation bibliométrique n'a rien à voir avec la production des idées ? Cette bureaucratie de la qualité est par ailleurs un simulacre absurde. Organe centralisé, l'AERES ne peut que passer à la moulinette la diversité des recherches pour leur faire franchir les mailles de son tamis. L'évaluation est de fait purement quantitative et repose essentiellement sur le nombre de publications des individus, des labos et des universités dans des revues elles-mêmes notées A+, A, B, C. C'est ce règne de la métrologie qui manifeste la fascination des dirigeants pour le simplisme d'une modélisation numérique des hommes et des choses. La bibliométrie est une impasse qui ne tient pas compte des réalités de la vie de laboratoire. La référence continue à l'absurde classement dit « de Shanghai » en est la manifestation la plus claire.


Pour nous, les activités intellectuelles et pédagogiques sont incompatibles avec cette conception soviétique de la police de la pensée que porte l'AERES au nom du management et de la concurrence. Alors quel serait le visage d'une véritable politique des sciences et de l'enseignement ? Comment pourrions-nous nous réapproprier la vie de la recherche pour en faire une critique constructive ? Nous vous invitons à en débattre à l'AERES, 20 rue Vivienne à Paris, métro Bourse, aujourd'hui.


ENFIN UNE INITIATIVE CITOYENNE : LES DEBATS DE L'AERES


20 rue Vivienne, métro Bourse, Paris


L'AERES, OU LE GOUVERNEMENT DES COPAINS ?


Qui dans les labos et dans les universités n'a pas encore eu l'occasion de constater l'absurdité des classements proposés... 20% de « A+ » dans les labos de droit, 0% dans les labos d'anthropologie et d'ethnologie... Qu'est ce que cela signifie sinon une priorité donnée à un domaine sur l'autre ? Priorité d'ailleurs non assumée dans la mesure où l'AERES propose de ne surtout pas effectuer ce genre de comparaison entre domaines. La visite d'un labo n'a donc rien d'une démarche d'aide, mais plutôt de sanction. Le climat dans lequel s'effectue le contrôle peut être illustré par la réaction d'une directrice d'unité de recherche en biologie notée, pourtant “A”, dans son “droit de réponse” à l'évaluation : “La préparation de l'évaluation a représenté un lourd investissement de l'Unité et a généré une forte pression et des inquiétudes qui ne peuvent qu'être qu'amplifiées par cette période d'attente considérable (de la remise du rapport) et nuisent à l'atmosphère de travail. De manière contrastée, une semaine seulement nous a été accordée pour la rédaction d'un droit de réponse, une période beaucoup trop courte pour permettre une analyse sereine menée en concertation avec les membres de l'Unité ». Pourquoi un tel stress ? N'est-ce pas parce que, dans les petits mondes spécialisés de la recherche, l'évaluateur est aussi un concurrent ? Juge et partie, l'AERES est-elle un gouvernement des copains ?


FAUT-IL DISSOUDRE L'AERES AU NOM DE L'AUTONOMIE DES SCIENTIFIQUES ?


Pendant que la Ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche vend ses réformes au nom de l'autonomie des institutions universitaires, nous sommes nombreux à manifester contre ces réformes en revendiquant l'autonomie de nos modes d'évaluation antérieurs (l'évaluation par les pairs). Ce faisant, nous défendons un statut d'autonomie des champs disciplinaires en dressant de nous même un portrait sans doute trop flatteur : le portrait du chercheur comme un individu responsable, engagé dans une démarche d'intérêt public et désintéressé des enjeux politiques, managériaux ou industriels immédiats. Nous savons pourtant qu'il n'y a rien de plus faux. En sciences « dures » comme en sciences sociales, nous sommes depuis longtemps dépendant des financements publics et privés désormais inextricablement liés. Nos objets de recherche sont déterminés par la commande : la production de nouveaux objets techniques et les conditions sociales de leur acceptabilité. Ce que recouvre l'expression de « recherche publique » n'est le plus souvent qu'une recherche d'Etat. A quoi reviendrait une dissolution de l'AERES qui se réduirait à un retour au statut quo antérieur ?


UNE RECHERCHE INUTILE N'EST-ELLE PAS PRÉFERABLE A UNE RECHERCHE NUISIBLE ?


Quelle note ont bien pu recevoir les équipes où travaille Daniel Cohen, fondateur du Généthon, spécialiste des « maladies orphelines », et auteur de la promesse eugéniste suivante : « Je crois en la possibilité d'une nouvelle évolution biologique humaine consciente et provoquée, car je vois mal homo sapiens (...) attendre patiemment et modestement l'émergence d'une nouvelle espèce humaine par les voies anachroniques de la sélection naturelle » (Les gênes de l'espoir. R. Laffont, 1993). Des gourous transhumanistes sont aujourd'hui à la tête de laboratoires publics, privés et surtout mixtes. Leurs réalisations scientifiques sont sans doute excellentes si le bricolage du gêne est bien une science. Il n'empêche que le destin qu'ils nous tracent n'est pas la voie choisies par tous. En quels lieux, avec quels moyens les gens ordinaires ont-ils prise sur les décisions qui engageront leur vie et celle de leurs enfants ? Le débat n'est-il pas totalement biaisé par les sommes colossales engagées dans ces programmes de recherche ? La fascination des scientifiques pour le contrôle absolue du vivant n'est-il pas en cause aussi bien en agronomie qu'en psychologie ? N'est-ce pas en se défaisant de l'emprise de ce fantasme de gestion globale que l'on pourrait poser l'exigence citoyenne d'un arrêt de certaines  recherches ?


UN CONTROLE CITOYEN EST-IL (ENCORE) POSSIBLE ?


Si l'autonomie des scientifiques est bien un leurre, il faut en tirer les conséquences. Contre l'évaluation de l'AERES, nous voulons rétablir le seul débat qui compte : celui de l'utilité sociale des différentes recherches en cours et plus généralement celui du rapport entre sciences et société. Est-il encore temps pour l'imposer ?


Des chercheurs, des enseignants-chercheurs, des étudiants, des gens.