Essai
Nouvelle parution
O. Assouly, Le Capitalisme esthétique.

O. Assouly, Le Capitalisme esthétique.

Publié le par Marc Escola

Olivier Assouly

Le capitalisme esthétique. Essai sur l'industrialisation du goût

Paru le     : 22/05/2008
Editeur     : CERF
Isbn     : 978-2-204-08588-5 / Ean 13 : 9782204085885


Prix éditeur      : 23,00 €

Collection     : HUMANITES
Caractéristiques     : 188 pages


Dans les nations industrialisées, les goûts des individus sont désormais employés à doper la consommation.
L'industrialisation de la jouissance privilégie le superflu au nécessaire, la sensibilité à la raison, la séduction à la faculté de juger. Pourtant, avec l'exploitation du goût, le capitalisme est loin d'avoir découvert une terre inconnue. A l'âge classique, la noblesse de cour cultivait un style de vie commandé par les loisirs et le goût, tout en faisant du bon goût un critère de distinction et de promotion individuelle.
Ces relations de compétition entre courtisans ont-elles été les premières notes en prélude au libéralisme ? Si l'improductivité, au sens économique, a pu constituer une valeur fondatrice du goût, comment l'industrie a-t-elle pu transformer le goût en moteur économique de la consommation ? Le devenir esthétique du capitalisme repose sur la captation et la conversion de ce qu'il aurait de plus individuel en valeurs mesurables, échangeables et massifiables, susceptibles de coloniser les moindres recoins de l'existence et de al culture.
L'ouvrage montre que les enjeux du capitalisme esthétique excèdent le territoire angélique des agréments : les batailles esthétiques sont au coeur d'une guerre économique pour le contrôle des émotions et des affections.


SOMMAIRE de Le capitalisme esthétique

Le régime aristocratique du goût
 Un art de la séduction
 Le dépassement des normes
 Puissances économiques du bon goût
 La conversion économique
 La déconstruction des valeurs aristocratiques
 Le formalisme du traité de bon goût
 La sympathie esthétique
 Le rôle de la nouveauté
 L'industrialisation du plaisir esthétique
 La puissance sociale de l'art
 La conversion industrielle à l'esthétique
 Le paradoxe du public esthétique
 L'individuation esthétique
 La fabrique de la consommation esthétique
 La standardisation du consommateur
 La mesure du goût moyen
 L''invention de la demande
 La révolution sociale du marketing
 Consommation et éclectisme
 Les avatars de l''aliénation esthétique
 La profusion des goûts
 La vélocité des consommations
 La prolétarisation de la consommation
 L'intégration économique de la critique
 Consommation et distraction
 La diversité des consommations
 La dématérialisation de la consommation
 Les captures de la sensibilité
 La valeur incommensurable du goût
 Les apories de la posture critique
 L'économie des appréciations esthétiques
 Le remodelage des consommations
 Anomalies du capitalisme esthétique.


BIOGRAPHIE de Olivier Assouly


Professeur de philosophie, responsable de la recherche à l'institut français de la mode, Olivier Assouly a déjà publié Les nourritures divines, Essai sur les interdits alimentaires (Actes Sud, 2002), et Les Nourritures nostalgiques, Essai sur le mythe du terroir (Actes sud, 2004), et dirigé l'ouvrage collectif Goûts à vendre, Essais sur la captation esthétique (IFM-Regard, 2007).

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Dans Libération du 12/6/8, on pouvait lire cet article de R. Maggiori:

"Saveurs du coût

Longtemps, savoir et saveur sont restés amis. Le sage, le sophos - ancêtre du philosophe - était celui qui savait et avait bon nez, fin palais, sensible à la saveur pénétrante (sophès)d'un fruit ou d'une épice. Comment est née cette amitié, tôt disparue ?Comment le goût, la saveur, l'incommunicable sensation qu'on a sur lalangue, a-t-il pu devenir savoir - évaluation de ce qui est bon oumauvais, faculté d'apprécier (jouir de, aimer, mais aussi mesurer,juger, analyser…), aptitude à «discerner les beautés et les défauts»,puis code, disposition ou représentation culturelle commune (par quoiexiste une histoire du goût), enfin qualité esthétique et éthiqueattribuée à l'«homme de goût» ?

Maturation. Si le goût a lié la langue à l'esprit, le proverbe latin, De gustibus et coloribus non est disputandum,perd sa pertinence : on ne fait que cela, disputer des goûts et descouleurs ! Et de telles discussions n'alimentent pas seulement laconversation courante, la physiologie du goût ou l'histoire de l'art,mais l'histoire tout court, la politique, l'économie… On s'en convaincà la lecture de l'«Essai sur l'industrialisation du goût» d'OlivierAssouly : le Capitalisme esthétique, qui repère l'incidence dugoût dans la gestation et la maturation du capitalisme, sinon ledevenir même de la civilisation technique.

«Si l'improductivité au sens économique est la valeur fondatrice du goût» - dans la mesure où la consommation, confrontée à la saturation des marchés, s'est rendue illimitée en investissant «le territoire des affects et du plaisir», en privilégiant «la jouissance plus que l'utilité», «les émotions plus que la rationalité» - comment la production industrielle a-t-elle pu «faire du goût la matrice de l'appareil économique» ? Pour reconstituer la genèse de ce capitalisme esthétique - à savoir «la mobilisation industrielle du goût des consommateurs» - Olivier Assouly, philosophe, responsable de la recherche à l'Institut français de la mode, remonte à la Renaissance.

C'est à la Renaissance, en effet, que le goût prend le sensd'appréciation (savoir apprécier, pouvoir être apprécié) et vire en«bon goût». La production littéraire - du Livre du courtisan de Baldassare Castiglione à l'Art de la prudence de Balthasar Gracián - atteste alors de la volonté de «légiférer en matière de goût», de lui assigner «un territoire, des propriétés et des normes, des usages et des limites». L'intérêt de la noblesse pour sa propre représentation en fait une «boussole pour naviguer vers l'excellence» : afin d'être prisé, de briller, d'obtenir reconnaissance et pouvoir, il faut apprendre «ce qu'il convient de dire ou de répondre, comment chanter et peindre, marcher et se tenir» , maîtriser l'art oratoire, cacher ses désirs, se retenir de tout excès. Ainsi se trouve déjà balisé «leterrain de la bourgeoisie industrielle qui fera du contrôle desaffections et des passions, de la patience, d'un style de vie plusascétique et moins dispendieux, rien de moins que les ressorts de laréussite économique et sociale». D'un autre côté, avec le bon goût,et l'idée d'une excellence personnelle, s'affirme aussi la liberté dejuger et la liberté tout court : celle d'un sujet individuel émancipédu poids de la tradition théologique ou scolastique.

L'essentiel du Capitalisme esthétique - parcouru par desréférences à Adam Smith, Marx, Paul Valéry, Gabriel Tarde, Adorno,Walter Benjamin, Foucault… - est bien sûr consacré au temps présent, oùl'artifice esthétique comme principal dopant de la consommation ainvesti la possibilité de «consommer des émotions» et, plus encore, de se consommer soi-même, «depuis les jeux vidéo jusqu'à la simple déambulation commerciale». Mais le plus intéressant est la façon dont Assouly décrit les passerelles qui, bâties aux XVIIe et XVIIIe siècles, conduisent à la modernité, c'est-à-dire la «conversion économique»du goût, le passage de la construction élégante de soi à la position desujet désireux de s'enrichir et de jouir de biens matériels, par quois'active le flux des échanges et se prépare la «révolution sociale du marketing». A partir des années 50, les techniques de marketing intègrent «tout ce qui est hors des limites de l'économie classique», c'est-à-dire «lavie privée, l'existence personnelle, le rapport au corps, à l'intimité,au sacré, au symbolique, à la jouissance esthétique, aux valeursmorales, à l'éthique, au lien communautaire, à la libération sociale etindividuelle».

Oppression. Sommet de l'aliénation ? Ou le pire est-il encore àvenir ? La réponse d'Olivier Assouly est nuancée. Mais une chose estcertaine: l'insertion du goût dans l'économie des satisfactions a donnéà l'oppression des formes inédites, plus douces, liquides et quasimentinvisibles, dissoutes «dans la masse des acteurs, y compris dans la force d'assujettissement que le public exerce sur lui-même»."