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Nouvelles technologies culturelles et misère symbolique

Nouvelles technologies culturelles et misère symbolique

Publié le par Alexandre Gefen (Source : Julien Orselli)

Colloque : Nouvelles technologies culturelles et misère symbolique

Le CELAT (Centre interuniversitaire d'Études sur les Lettres, les Arts et les Traditions) organise le 25 et 26 novembre 2005, à l'Université du Québec à Montréal, un colloque consacré aux interrelations entre la culture et les technologies contemporaines.

Dans ses récents essais, le philosophe Bernard Stiegler s'inquiète d'une souffrance qui ronge les citoyens des démocraties industrielles. Il définit ce mal-être individuel et collectif par le recours à l'expression de « misère symbolique ».
Celle-ci se traduit par une ruine du désir chez les sujets. Dans l'économie industrielle, l'énergie libidinale est canalisée vers les seuls objets de consommation. Les industries ont conquis l'espace culturel pour façonner et multiplier la figure d'un consommateur capable d'engloutir les surplus de production. Selon Bernard Stiegler, cette mise sous tutelle provoque deux catastrophes majeures. D'abord elle réduit le jeu de l'échange symbolique, car elle remplace la circulation du don et du contre-don (au principe de la pratique symbolique) par le rapport univoque producteur versus consommateur. Cette régulation se solde par un recul de la participation esthétique et politique des sujets. D'autre part, ce processus de contrôle de l'esthétique s'est appuyé sur une standardisation massive qui signifie l'écrasement des singularités. Ce modèle est dangereux pour les sociétés humaines car il est autodestructeur à force de normaliser et d'épuiser le désir.
Les technologies contemporaines de communication et d'information permettent d'amplifier cette misère symbolique. À l'ère des réseaux et des supports numériques, les capacités de manipulation et de contrôle se trouvent étendues. L'analyse de Stiegler peut paraître rédhibitoire, mais sa réflexion ne se contente pas d'un diagnostic alarmiste. Cet état misérable n'est pas une fatalité : « il faut bien sûr l'espérer et l'affirmer, une force nouvelle doit se cacher, aussi bien dans l'immense ouverture de possibles que portent la science et la technologie que dans l'affect de la souffrance elle-même » (Le Monde, juin 2004).
Sans se prêter à un lyrisme naïf qui ignore les violences propres à notre époque, nous voudrions dans ce colloque interroger cette espérance, ce possible « après » de la misère symbolique. Il s'agirait non seulement d'envisager l'existence de ces nouveaux horizons, mais aussi de mesurer les réussites et les échecs des chemins déjà parcourus. Stiegler ne place pas sa philosophie sous le signe de la déploration ; il invite au combat nécessaire pour réaffirmer la dimension singulière de toute existence humaine.
Les technologies culturelles récentes, ces nouvelles prothèses de la mémoire et des organes sensoriels, pourraient être les outils de cette lutte. Elles n'auraient pas pour seule fin d'étreindre nos espaces de sens personnels, car le philosophe précise que « les singularités ne sont pas du tout ce qui échappe à la technique ou au calcul, mais ce qui se constitue au contraire par la pratique des techniques, technologies et calculs, en vue d'intensifier ce qui n'est pas réductible au calculable » (extrait du Manifeste d'Ars industrialis).
De là, nous sommes en droit de nous interroger : que nous offrent de nouveau ces technologies culturelles ? Quelles sont les oeuvres qui nous proposent des pratiques singulières capables de détourner les modes d'emploi publicitaires ? Songeons à ces « anciens » qui n'hésitent pas à s'approprier ces technologies : Merce Cunningham invente ses chorégraphies à l'aide du programme informatique Lifeforms ; Chris Marker explore la mémoire avec son CD-ROM multimédia Immemory ; Ingmar Bergman emploie la caméra numérique pour réaliser son dernier film Saraband.
Mais l'artiste est-il le seul héros de cette réappropriation technologique du désir de créer et de participer ? Qu'en est-il des pratiques quotidiennes ? À la fin des années soixante-dix, Michel de Certeau faisait le même constat que Stiegler : le statut de l'individu est menacé dans les systèmes techniques « puisque l'investissement du sujet diminue à la mesure de leur expansion technocratique. De plus en plus contraint, et de moins en moins concerné par ces vastes encadrements, l'individu s'en détache sans pouvoir en sortir, et il lui reste à ruser avec eux, à « faire des coups », à trouver dans la mégapole électrotechnicisée et informatisée « l'art » des chasseurs ou des ruraux de naguère » (L'invention du quotidien, tome 1, Arts de faire). Stiegler insiste sur le rôle crucial de l'artiste, mais aussi des pouvoirs publics, pour libérer cette subjectivité inscrite dans l'acte de créer. Michel De Certeau indique, lui, qu'on ne peut ignorer la ruse des anonymes, cette myriade de petites résistances qui troublent les calculs de l'industrie culturelle. Il prône la ruse du héros sans qualités. Pour lui, la subversion n'est pas une révolte locale mais « une subversion commune et silencieuse, quasi moutonnière la nôtre. » Quelle tactique ces pratiquants anonymes bricolent-ils ? Quel art du quotidien apparaît grâce aux nouvelles technologies culturelles ?
Dans le cadre d'un échange pluridisciplinaire, ce colloque souhaite donner la voix à des réflexions qui s'intéressent aux manières contemporaines d'habiter le monde. Les communications chercheront à interroger les pratiques artistiques, sociales et même politiques de ces nouvelles technologies culturelles. Voici quelques thèmes qui pourraient faire l'objet de propositions : arts et supports numériques, journalisme et blogues, nouvelles technologies et reformulations de l'espace public, socialités, politiques et cybernétique, création et pratiques des jeux vidéos, littératures hypertextuelles, etc.

Les propositions de communication (une trentaine de lignes) devront parvenir à Cindy Baril (cindy_baril@yahoo.fr) et Julien Orselli (orselli.julien@courrier.uqam.ca) avant le 30 septembre 2005. Nous donnerons la priorité aux travaux de jeunes chercheurs (étudiants de maîtrise, doctorants, post-doctorants). Veuillez ajouter une brève bio-bibliographie.