Actualité
Appels à contributions
Nouvelles pratiques de la citation dans le monde hispanique et hispano-américain contemporain (Pandora n°14)

Nouvelles pratiques de la citation dans le monde hispanique et hispano-américain contemporain (Pandora n°14)

Publié le par Romain Bionda (Source : Myriam Ponge )

Pandora est une revue pluridisciplinaire du Département d’Études Hispaniques et Hispano-américaines de l’Université de Paris 8. Le n°14 visera à interroger les "nouvelles pratiques de la citation dans le monde hispanique et hispano-américain contemporains".

Argumentaire:

Si réutiliser les paroles d'autrui, en les signalant comme telles, apparaît aujourd'hui comme une opération extrêmement banale, il n'en a pas toujours été ainsi. En effet, les spécialistes de l'Antiquité soulignent la difficulté à délimiter très strictement ce que recouvre la citation pour leur période d'études, en l'absence d'un terme – ou d'un terme unique – pour la désigner. L'originalité, en tant que telle, n'est pas une valeur dans le domaine de la création et, jusqu'à la Renaissance incluse, la littérature, par exemple, se conçoit essentiellement comme une « reprise » de ce qui a été intronisé par la tradition, le passage des siècles. Tout acte de création littéraire s'inscrit obligatoirement dans l'allégeance aux grands maîtres antérieurs. La citation, dès lors, est marque d'érudition en même temps qu'elle dit clairement ce rapport aux textes précédents. L'évolution de la figure de l'auteur, au sens large, entraîne une forte modification, tant de la conception de la littérature que des critères d'évaluation de l'œuvre d'art. La mise en place d'une législation destinée à protéger les droits d'auteur et, plus largement, la propriété intellectuelle, sera la dernière pierre posée à l'édifice, rendant, dès lors, très différentes les conditions de la citation. Dans ce nouveau contexte, une dimension supplémentaire vient s'ajouter au texte de la citation : auparavant manifestation extérieure du savoir de l'orateur, de son insertion dans la culture commune (ou de son désir de s'y insérer), il inclut désormais, de façon péremptoire, la présence de son auteur dans le fragment cité. Puisque l'œuvre appartient nécessairement à quelqu'un, la citer c'est, plus que jamais, faire valoir son auteur, comme une façon de se légitimer soi, entre autres fonctions possibles. Et parce que l'individualité de l'auteur est devenue prééminente, l'hétérogénéité fait son entrée dans le discours, sous la forme de cet autre qui s'invite. Alors qu'auparavant la citation soulignait un lien évident de continuité, elle se présente dorénavant avant tout comme la parole d'autrui.
Il convient cependant d'insister sur le fait que la citation fait plus que convoquer la voix d'un tiers : en s'introduisant dans le discours qui la cite, elle modifie l'ensemble dans lequel elle s'insère, vient redoubler la voix de celui qui s'exprime, tout en étant elle-même modifiée par sa nouvelle contextualisation, et cela sans qu'il soit besoin que la citation soit détournée de son sens original par une fragmentation, par exemple, qui la dévoierait. On ne peut plus ignorer depuis Borges que le Quichotte de Pierre Menard n'a rien à voir avec celui de Cervantès. Si par l'histoire même de la littérature, la citation est un élément constitutif de tout texte, l'historien en est lui aussi un familier par le biais des sources. Son travail, pour avancer, se fonde sur la citation de documents qui étayent son analyse, authentifient les données sur lesquelles s'érige sa réflexion. A l'instar de ce que l'on a vu pour le domaine fictionnel, l'époque contemporaine dessine une autre façon de citer, qui apparaît avec la constitution progressive de l'histoire en discipline scientifique. La prise en compte de l'histoire orale est, de ce point de vue, la forme la plus nouvelle et la plus récente de cette évolution, ne serait-ce que parce qu'elle suppose de changer de média : de l'oralité du témoin, à l'écrit de l'historien, pour exacte que soit la citation, c'est toute une part de ce qu'était la parole originale qui disparaît, distinguant de fait ce type de citation de celles, plus traditionnelles.
Le changement de média peut, en réalité, être beaucoup plus grand que dans ce dernier cas et il conduit à s'interroger sur le processus de citation intersémiotique. Que se passe-t-il quand il s'agit de citer, par exemple, en peinture, une maxime célèbre ? Pour revendiquée que soit la citation, comment la rend-on lisible ? Si l'on considère que, quand elle est intrasémiotique, une citation se doit d'être formellement exacte, sous peine de devenir adaptation, allusion, pastiche, etc., comment maintenir cette appellation quand la forme est, par définition, modifiée ? La citation, outil linguistique, objet que l'on décrit généralement comme la confluence d'un énoncé et d'une nouvelle énonciation de cet énoncé, devient de façon plus large, un objet relationnel, une forme qui met en rapport deux discours, deux codes, deux créations.
Citer, c'est donc se rattacher à quelqu'un ou quelque chose qui pré-existe et que l'auteur de la citation choisit soudain de convoquer, d'activer. C'est donc s'insérer dans un ensemble plus vaste, d'une part, et inviter son "public", quel qu'il soit, à s'insérer aussi dans cet espace en reconnaissant la citation. Or, par les marques typographiques qui la distinguent, dans le cas d'un texte, par la convocation de cet autre créateur, locuteur, témoin, la citation est également rupture, discontinuité, hétérogénéité. Comment faire, dès lors, pour éviter la fragmentation ? À l'ère du post-modernisme, de la déconstruction de l'autorité et de l'auteur, les modalités de convocation de la citation ont-elles changé pour donner lieu à de nouveaux objets ? Au-delà de l'apparente continuité du processus citationnel à l'époque contemporaine, distingue-t-on une évolution de sa fonction et de sa forme ?
Parce que ce sont les modalités de convocation de la citation, sa fonction et sa forme qui nous intéressent, on écartera ici ce qui relève des autres dimensions de l'intertextualité, selon Genette : le plagiat, tout d'abord, où la citation est niée par celui qui la fait, l'allusion, ensuite, pour privilégier la citation qui, non seulement ne se cache pas, mais se revendique, par des marques typographiques spécifiques le plus souvent. Parce que l'émergence de l'auteur et de la propriété intellectuelle a considérablement changé le "droit de citer", seule l'époque contemporaine sera considérée ici, et tout particulièrement les XXe et XXIe siècles. Outre les questions soulevées dans ce texte, trois axes d'études seront privilégiés :

La citation au service du texte... ou le texte au service de la citation
La citation reste un objet éminemment relationnel, elle permet de mettre en exergue des références communes, de relier des objets auparavant séparés. On pourra, dans ce domaine, s'interroger, notamment, sur l'éventuelle différence du lien établi quand on donne les références de sa citation et quand on ne les donne pas. Qu'est-ce que cela implique pour le texte, pour son récepteur ? Dans quelle mesure la multiplication des sources accessibles et la facilité à y accéder, grâce au numérique, ont-elles changé notre façon de citer ? Assiste-t-on à une prolifération exponentielle des citations ? Le trop de citations tue-t-il la citation ? Comment la question de la traduction interroge-t-elle le processus citationnel ? Que se joue-t-il lorsqu'on choisit de traduire la citation, de la laisser en langue source, etc. ?
Au-delà du dictionnaire de citations et des centons, ces romans constitués exclusivement de citations, la citation peut acquérir une telle place, être à ce point mise en valeur, soulignée, qu'elle freine la lecture, oblige à un arrêt sur elle-même. Introduisant une ou des voix externes, elle fait le jeu de la polyphonie, de la multiplicité des points de vue, au risque de faire éclater l'unité de l'œuvre dans les cas les plus extrêmes.

Intermédialité et citation
La citation est autant contenu que forme et, pourtant, on peut imaginer de citer en changeant de média. Quels sont alors les moyens mis en œuvre pour donner à voir le processus citationnel ? Y a-t-il une mise en exergue, une mise en valeur particulière pour signaler que tel ou tel fragment est une citation, qu'il correspond à l'insertion d'une autre voix ? Citer, c'est nécessairement modifier ce qui est cité puisqu'on l'extrait de son contexte, on le transporte, on le transpose. Mais, par-delà cette modification inéluctable, en quoi changer de média peut-il également modifier le contenu de la citation ? Existe-t-il une corrélation, une familiarité plus grande d'un type de média avec un autre qui ferait de la citation intermédiale un phénomène plus répandu, plus aisé, entre certains médias ? Peut-on dessiner une chronologie de ce mode de citation ? Devient-il plus fréquent, plus pertinent, avec le développement des multimédias et la multiplicité des supports sous-entendue dans le nom même qu'on donne à ces nouvelles technologies ?

De l'autorité assumée à l'autorité contestée, détournée, neutralisée...
Convoquer un auteur par une citation, c'est vouloir se réclamer de son autorité. Mais que se passe-t-il quand ce n'est plus un auteur que l'on cite, mais la vox populi ou une coupure de journal anonyme, par exemple : le lien n'est plus à une autorité mais à la « vérité ». Qu'est-ce que cela change ?
Que faire des fausses citations, celles qui sont attribuées de façon erronée à un auteur ou celles qui sont forgées de toute pièce, leur soi-disant auteur n'ayant jamais existé ? Quelles sont les implications de cette fausse antériorité ? De cette fausse « objectivité » que suppose d'attribuer, à un autre, tout ou partie du raisonnement dont on se sert ? Comment comprendre l'usage qui est fait aujourd'hui de la citation littéraire ou historique dans le discours politique ? Que dit, de la stratégie discursive de l'orateur, l'abondance qu'on trouve parfois d'extraits nécessairement très brefs d'une œuvre littéraire ou d'une pensée historique autrement plus complexe, qui ne prend son sens que dans son contexte et sa globalité ? À l'exercice de « découpage » que suppose toute citation, s'ajoute ici une dimension supplémentaire : le mélange des discours, l'utilisation de la littérature ou de l'histoire par des non spécialistes (et leur diffusion médiatique accélérée – parfois sans référencement correct). Quelle vision ont, de cette pratique, les historiens et les littéraires, à la lumière des connaissances qu'ils ont des œuvres convoquées ?
Comment la citation d'autorité peut-elle être sapée par la prééminence des nouveaux médias, des réseaux sociaux, avec des outils comme Wikipedia, par exemple, dont on sait que les informations ne sont pas toujours suffisamment vérifiées ? Les nouvelles technologies encourageant les formes brèves (Twitter, de façon emblématique), l'intérêt pour le partage de citations, de formulations percutantes, ne cesse de croître, sans qu'il y ait toujours l'espace pour qu'elles soient dûment contextualisées. Cette tendance favorise-t-elle un attrait pour les formules toutes faites, pour le prêt-à-penser ? De façon plus générale, cette nouvelle circulation des idées, sa rapidité (voire son immédiateté), la gratuité, remettent-elles en cause la reconnaissance de la propriété intellectuelle? Ou, tout au moins, ne nous conduisent-elles pas à explorer d'autres pratiques de la citation, bien loin du modèle reconnu par la tradition universitaire ?

Bibliographie succincte:
Chambat-Houllon, Marie-France et Wall, Anthony, Droit de citer, Rosny sous Bois, Bréal, 2004. Langages and Co.
Compagnon, Antoine, La seconde main ou le travail de la citation, Paris, Editions du Seuil, 1979.
Darbo-Peschanski, Catherine (dir.), La citation dans l'Antiquité, Actes du colloque du PARSA Lyon, ENS LSH, 6-8 nov. 2002, Grenoble, J. Aillon, 2004.
Fix, Florence et Toudoire-Surlapierre, Frédérique (éds.), La citation dans le théâtre contemporain (1970-2000), Dijon, Editions Universitaires de Dijon, 2010. Collection Écritures.
Jaubert, Anna, López Múñoz, Juan Manuel, Marnette, Sophie, Rosier, Laurence (dirs.), Citations I : intersémiotique de la citation : citer à travers les formes, Louvain-la-Neuve, l’Harmattan-Academia, 2011.
Jaubert, Anna, López Múñoz, Juan Manuel, Marnette, Sophie, Rosier, Laurence, Stolz, Claire (dirs.), Citations II : Pragmatique de la citation : citer pour quoi faire, Louvain-la-Neuve, l’Harmattan-Academia, 2011.
Reyes, Graciela, Polifonía textual. La citación en el relato literario, Madrid, Editorial Gredos, 1984.
Samoyault, Tiphaine, L'intertextualité. Mémoire de la littérature, Paris, Armand Colin, 2014 [2010]. Collection 128.
Toubert, Pierre et Moret, Pierre (éds.), Remploi, citation, plagiat. Conduites et pratiques médiévales (Xe-XIIe siècles), Madrid, Casa de Velázquez, 2009. Collection Casa de Velázquez, n° 112.

Calendrier :

Pandora est une revue pluridisciplinaire du Département d’Études Hispaniques et Hispano-américaines de l’Université de Paris 8. Le n° 14, consacré à la citation, sera publié en 2018.
L'acceptation d'une proposition ne suppose pas la publication automatique de l'article, celui-ci étant soumis à une double évaluation à l'aveugle par des experts avant sa validation définitive par la revue.

Langues de rédaction acceptées : français, espagnol, catalan.

Les propositions doivent être envoyées avant le 6 novembre 2016.
Ces propositions se composeront d’un résumé de l'article (½ page environ), accompagné d'une bibliographie succincte, d'un court paragraphe indiquant votre appartenance institutionnelle et vos domaines de recherche.
Sélection des propositions par le Comité scientifique : 5 décembre 2016.
Envoi des articles (accompagnés de trois résumés et mots clefs -en anglais, en français, en espagnol) : le 15 mai 2017.

Contacts:
Myriam Ponge: mponge[at]univ-paris8.fr
Marie Salgues: marie.salgues[at]univ-paris8.fr