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Nouveaux paradigmes linguistiques dans la littérature belge francophone (de 1989 à aujourd’hui)

Nouveaux paradigmes linguistiques dans la littérature belge francophone (de 1989 à aujourd’hui)

Publié le par Université de Lausanne (Source : Christophe Meurée)

Nouveaux paradigmes linguistiques dans la littérature belge francophone

(de 1989 à aujourd’hui)

 

Les spécificités de la littérature belge de langue française, depuis Camille Lemonnier jusqu’à la génération de la « belgitude » (1976 et 1980) ont fait l’objet de nombreux travaux scientifiques, non seulement sur le plan des études culturelles, de la sociologie et de l’histoire littéraires, mais aussi sur le plan de la linguistique. Littérature qui s’est construite à l’ombre du grand frère français, la littérature francophone de Belgique ne pouvait pas se targuer du même « génie de la langue » que celle issue de l’hexagone, dans la mesure où elle s’écrit dans un idiome qui est perçu comme non propre, dans lequel peut se percevoir la rencontre des mondes latin et germanique. Ce fut là sa première caractéristique assumée, et ce dès Charles De Coster. L’insécurité linguistique, les belgicismes, l’hypercorrectisme et les audaces verbales (Lemonnier, Verhaeren, les surréalistes, etc.) ont donc fait partie des principaux traits, distribués conjointement ou non, permettant d’identifier la spécificité belge francophone.

À partir du moment où la Belgique – Bruxelles en particulier – se met à occuper une place de premier ordre à l’échelle internationale (en plus d’être le siège de l’otan, Bruxelles devient de facto la capitale de l’Union européenne), le devenir de la Belgique tend vers un cosmopolitisme bien plus grand encore que le pays ne l’avait connu au tournant des xixe et xxe siècles, lorsque la petite et jeune nation septentrionale était parvenue à se hisser au rang des cinq plus grandes puissances économiques mondiales. Ce regain d’attention portée au Plat Pays finit par faire de celui-ci et de certains de ses habitants des sujets « à la mode » (de Jean-Claude Van Damme jusqu’à Stromae et Angèle, en passant par Amélie Nothomb ou Jean-Philippe Toussaint). Les ambassadeurs culturels du Royaume rencontrent un succès aussi inédit qu’improbable, parfois, des États-Unis jusqu’au Japon, sans oublier l’immense aire culturelle francophone, répartie sur les deux hémisphères.

Parallèlement et peut-être paradoxalement, l’État belge se fédéralise à vitesse constante depuis les années 1970 mais adopte sa forme actuelle dans la dernière décennie du xxe siècle (1989 étant la date à laquelle sont définitivement fixées les entités fédérées, régions et communautés, telles qu’elles existent encore aujourd’hui), ce qui n’est pas sans incidence sur la façon dont l’imaginaire linguistique se configure – et ce aussi bien dans la littérature de langue néerlandaise que de langue française. Le concept même de « frontière linguistique », issu de l’imaginaire, se charge d’un poids politique de plus en plus pesant à mesure que les nationalismes et les populismes gagnent du terrain au sein d’une Europe des régions qui peine à identifier, pour les habitants de l’Union, un projet commun. Moins marqué dans la partie francophone du pays, le repli identitaire demeure néanmoins une donnée qui caractérise le paysage culturel belge.

Ce double mouvement (tensions linguistiques internes au pays et ouverture à la diversité linguistique mondiale – qui fait de Bruxelles la deuxième ville où est parlé le plus grand nombre de langues différentes après Dubaï) vient forcément informer l’imaginaire littéraire et exiger des écrivains d’apporter de nouvelles réponses linguistiques pour se conformer à cette mutation de l’imaginaire. N'assiste-t-on pas à une quatrième phase du « modèle gravitationnel » qui balise l’histoire de la littérature belge de langue française, et ce bien que Jean-Marie Klinkenberg et Benoît Denis fassent reposer leur troisième phase (après 1970), qualifiée de dialectique, sur la tension « vers un monde global, vers un État fédéral » ?

Le changement de paradigme historique affecte d’abord la génération des écrivains qui commencent leur carrière autour de 1990 (François Emmanuel, Caroline Lamarche, Nicole Malinconi, Amélie Nothomb, Jean-Marie Piemme, Jean-Philippe Toussaint, etc.) et permettrait peut-être d’expliquer, pour une part, le tournant que prend l’œuvre de quelques auteurs pourtant déjà bien installés, dont la renommée augmente sensiblement à la même époque (Henry Bauchau, Guy Goffette, Jacqueline Harpman, Pierre Mertens ou Eugène Savitzkaya, par exemple). Assurément, la génération qui commence à publier après l’an 2000 (Véronique Bergen, Laurent Demoulin, Thomas Gunzig, Bernard Quiriny, Grégoire Polet, etc.) a parfaitement intégré la nouvelle donne et bénéficie largement de la nouvelle aura qui nimbe la Belgique, désormais mieux connue à l’international, que ce soit pour de mauvaises raisons (affaires de pédophilie, crises politiques à répétition, terrorisme) ou de bonnes raisons (société cosmopolite dans un monde globalisé, humour et autodérision spécifiques, succès cinématographiques et littéraires croissants, etc.). Des études pourront ainsi être consacrées à des auteurs au parcours encore récent, qui ont attiré l’attention de la critique (Axel Cornil, Céline Delbecq, Adeline Dieudonné, Kenan Görgün, Charline Lambert, Lisette Lombé, Aïko Solovkine, Guillaume Sørensen, Antoine Wauters, etc.).

Toutes les approches disciplinaires seront prises en considération : linguistique, sémiotique, esthétique, stylistique, génétique, sociologique, histoire littéraire, ainsi que les études comparatistes (une attention particulière sera accordée aux ponts jetés entre les littératures belges francophone et néerlandophone).

Parmi les pistes à explorer :

La conception polymorphe de la parole théâtrale (Axel Cornil, Geneviève Damas, Céline Delbecq, Paul Émond, Jean-Marie Piemme, etc.) ;

La plasticité des formes poétiques (Maxime Coton, Guy Goffette, Charline Lambert, Philippe Lekeuche, Lisette Lombé, etc.) ;

La tension entre polyphonie romanesque et resserrement subjectif du point de vue (Véronique Bergen, Philippe Blasband, Caroline Lamarche, Yun Sun Limet, Grégoire Polet, etc.) ;

La forme brève ou le morcellement de la forme longue (Caroline Lamarche, Nicole Malinconi, Bernard Quiriny, etc.) ;

Les expérimentations linguistiques comme condition de la fiction (Paul Émond, Nicole Malinconi, Eugène Savitzkaya, Antoine Wauters, etc.) ;

L’évolution du fantastique réel, du réalisme magique et du récit d’anticipation (Thomas Gunzig, Xavier Hanotte, Amélie Nothomb, Bernard Quiriny, etc.)

La saisie singulière de fables connues (Henry Bauchau, Laurent de Graeve, Jacqueline Harpman, etc.) ou de figures célèbres (Véronique Bergen, Axel Cornil, Nicole Malinconi, etc.) ;

Les marqueurs linguistiques de l’humour et de l’autodérision (Nicolas Ancion, Philippe Blasband, Laurent Demoulin, Thomas Gunzig, Jean-Philippe Toussaint, etc.) ;

L’épreuve des limites du dire (Corinne Hoex, Charline Lambert, Nicole Malinconi, etc.) et/ou pour les personnages marqués par l’impuissance de la langue (Véronique Bergen, Geneviève Damas, François Emmanuel, etc.) ;

Le thème de l’insécurité linguistique (Veronika Mabardi, Nicole Malinconi, etc.) ;

L’oscillation entre langue géographiquement marquée (les belgicismes, entre autres) et apparente neutralité géolinguistique ;

L’influence du bilinguisme (Jan Baetens, Caroline De Mulder, Paul Pourveur, etc.) et de la pratique de la traduction (Xavier Hanotte, Diane Meur, etc.) ;

L’usage des langues étrangères et la tentation du lointain (François Emmanuel, Grégoire Polet, Guillaume Sørensen, Jean-Philippe Toussaint, etc.) ;

La mise en scène de la complexité de la société belge et, plus généralement, les modes de représentation fictionnelle de la Belgique (Xavier Hanotte, Pierre Mertens, Jean-Luc Outers, Jean-Philippe Toussaint, etc.) ;

Les marqueurs linguistiques du positionnement identitaire ;

L’investissement ou la réinvention du concept de belgitude.

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Les propositions (moins de 400 mots) sont attendues pour le vendredi 26 février au plus tard et doivent être adressées à annaliromanza@unior.it.

Une réponse sera fournie aux auteurs avant le vendredi 26 mars 2021. Les articles finalisés (40 000 caractères maximum, espaces comprises) seront à livrer pour le vendredi 3 septembre 2021 au plus tard.

Les contributions retenues après évaluation en double aveugle seront publiées dans la revue Annali – sezione romanza de l’Université « L’Orientale » en décembre 2021.

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Responsables scientifiques :

Jana Altmanova (jaltmanova@unior.it)

Maria Giovanna Petrillo (magi.petrillo@uniparthenope.it)

Christophe Meurée (christophe.meuree@aml-cfwb.be)

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Bibliographie indicative

Christian Berg et Pierre Halen, dir., Littératures belges de langue française. Histoire et perspectives (1830-2000), Bruxelles, Le Cri, 2000.

Benoît Blampain, Jean-Marie Klinkenberg et Marc Wilmet, Le Français en Belgique. Une langue, une communauté, Louvain-La-Neuve, Duculot, 1997.

Dirk De Geest, Reine Meylaerts et al., dir., Littératures en Belgique : diversités culturelles et dynamiques littéraires, Bruxelles-Berne, PIE-Peter Lang, 2004.

Benoît Denis et Jean-Marie Klinkenberg, La Littérature belge. Précis d’histoire sociale, Bruxelles, Labor, « Espace Nord », 2005.

José Domingues de Almeida, De la belgitude à la belgité. Un débat qui fit date, Bruxelles-Berne, PIE-Peter Lang, 2013.

Reine Meylaerts, « La construction d’une identité littéraire dans la Belgique de l’entre-deux-guerres », in Textyles, « L’institution littéraire », dir. Jean-Marie Klinkenberg, n°15, 1999, pp. 17-32.

Isabelle Moreels, « Hommage à la belgitude : “mutations” après “honte” et “malaise” », in Çédille, n°12, 2016, pp. 257-276.

Marc Quaghebeur, Balises pour l’histoire des lettres belges, Bruxelles, Labor, « Espace Nord », 1998.

Marc Quaghebeur, Histoire, forme et sens en littérature. La Belgique francophone, Bruxelles-Berne, PIE-Peter Lang, 2015-2017, 2 tomes.

« La Belgique malgré tout », dir. par Jacques Sojcher, in Revue de l’Université de Bruxelles, 1980.

« Quarante ans de belgitude. Nommer l’indéfinissable ? », dir. par Nathalie Gillain et Cristal Huerdo Moreno, in La Revue nouvelle, n°7, 2016, pp. 20-51.