Questions de société
« Nous n'avons pas besoin aujourd'hui de davantage de chercheurs »

« Nous n'avons pas besoin aujourd'hui de davantage de chercheurs »

Publié le par Bérenger Boulay

La Science au XXIe Siècle Blog international du Collectif « Indépendance des Chercheurs » (France, 08.11.2008):

Pour Valérie Pécresse, « nous n'avons pas besoin aujourd'hui de davantage de chercheurs »

Le Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) doitfaire face à une perte d'environ 380 postes entre chercheurs,ingénieurs, techniciens, administratifs et contrats de post-doctorantspour 2009. Les personnels du CNRS s'en plaignent, mais Valérie Pécressea déclaré à RTL : « Nous n'avons pas besoin aujourd'hui de davantage de chercheurs ».On ne peut pas être plus clair quant au contenu réel de la politiquegouvernementale, qui revient à cautionner la délocalisation de larecherche et la décadence de la France dans les domaines scientifiqueet technologique. C'est dans le cadre de cette politique périmée etcontraire aux intérêts du pays, que s'inscrit l'actuelle stratégie de démantèlement du CNRS.

Nousn'avons pas trouvé, sur le site du siège du CNRS, des renseignements «officiels » concernant le déroulement de la réunion de son Conseild'Administration du 30 octobre. La Délégation régionale Midi-Pyrénées amis en ligne cette brève information :

« Conseil d'administration du CNRS du 30 octobre 2008

Le conseil d'administration du CNRS s'est réuni le 30 octobre 2008.

Les administrateurs ont approuvé les points suivants :

- la décision budgétaire modificative n° 2 sur le budget 2008 qui procède principalement à des ajustements techniques,

- les orientations du schéma directeur des systèmes d'information du CNRS (2009-2013).

Lesautres points abordés au cours de cette séance, non soumis à vote, ontété la mise en place de la réforme du CNRS et la campagne derecrutement Chercheurs 2009 . »

(fin de citation)

Lesmembres du Conseil d'Administration du CNRS ne semblent se montrerguère explicites à propos de cette réunion dont l'importance des enjeuxdécoule clairement de l'ordre du jour rapporté par la Délégationrégionale et qui avait été accompagnée d'une manifestation des personnels contre la réforme en cours et les suppressions de postes. Le blog de Sylvestre Huet dans Libération précise en date du 4 novembre que  «le 30 octobre, le Conseil d'Administration du CNRS a donc entériné laproposition de la direction du CNRS - Catherine Bréchignac et ArnoldMigus - pour la campagne de recrutement 2009 ». Il s'agit notamment des suppressions de postes évoquées, découlant des décisions ministérielles.

Juste avant cette réunion, le 27 octobre dans un débat sur RTL avec le représentant du SNCS-FSUet membre du Conseil d'Administration du CNRS Jacques Fossey, ValériePécresse confirmait sa politique de suppression de postes dans larecherche publique, au motif que « l'essentiel de l'effort devrait venir des entreprises privées » et que le gouvernement entend agir par les « crédits impôt recherche ». Elle a annoncé en même temps des « primes » pour « les 20% meilleurs chercheurs », tout en déclarant ouvertement :

« Nous n'avons pas besoin aujourd'hui de davantage de chercheurs » (sic)

Laministre s'est bien gardée cette fois-ci de parler des Etats-Unis,alors que le « modèle américain » a été depuis des années la référenceconstante des discours gouvernementaux dans notre pays. Une semaineavant les élections présidentielles américaines, Valérie Pécresse apréféré de poser en exemple l'Allemagne, un pays où le développement dela précarité et du dumping social a battu des records au cours desannées récentes. L'inquiétante affaire des scientifiques sans emploiobligés par la « Bundesagentur für Arbeit » (agence allemande pour l'emploi) à travailler au tarif d'un euro n'est qu'une illustration de cette évolution récente.

Ilest vrai que les références incessantes au tant vanté « modèleaméricain », de la part des gouvernements français des années récentes,ont toujours été très unilatérales. En réalité, un article du 20 octobre de Pierre Gervais dans La vie des idées, intitulé « Université et entreprise : l'histoire d'un malentendu » avec le sous-titre : « A propos du « modèle américain » de financement de la recherche »,met en évidence le caractère marginal de la contribution desentreprises US au financement de la recherche universitaire et souligneque le patronat des Etats-Unis ne cesse de réclamer l'intervention del'Etat dans ce domaine. Tout le contraire du tableau que dresse devantle public français la propagande des milieux dirigeants.

Enrealité, ni le secteur privé, ni les universités proches du mondefinancier et des multinationales, ne s'accquitteront jamais des tâchesd'intérêt public dévolues à la recherche publique. Ils ne mèneront pas,non plus, des recherches de pointe sur des thématiques vraimentstratégiques. Sauf à trouver un intérêt direct dans un sujet ponctuel,dans lequel cas ils exploiteront les résultats en leur propre bénéfice.Du point de vue de l'intérêt général, la privatisation de la rechercheconstitue un véritable nivellement par le bas.

De surcroît, lenombre de chercheurs français mis en avant par Valérie Pécresse, dontla ministre reconnaît qu'il aurait été pire sans les mobilisations desannées récentes, réprésente par rapport à la population totale unpourcentage (0.36%) analogue à celui recensé par l'OCDE pour lesEtats-Unis dans un rapport de 2008. Mais précisément, leprogramme de Barack Obama en matière scientifique et technologique nes'en satisfait pas et prévoit notamment de doubler le budget de larecherche fédérale US. 

Le soutien d'une largepartie des milieux d'affaires US à Barack Obama témoigne, précisément,de l'échec d'une politique que les gouvernements français des deuxdernières décennies ont cherché de plus en plus ouvertement à imiter,tout en dénaturant le « modèle » et en allant plus loin dans un certainnombre d'aspects négatifs. A présent, il est reconnu Outre-Atlantique que cette politique, dont s'inspire Valérie Pécresse et que Nicolas Sarkozy défend directement dans ses discours, a plongé les Etats-Unis dans la voie du déclin et de la faillite. Le programme économique, social et techonologique de Barack Obama n'est en réalité rien d'autre qu'une tentative de préserver in extremisle rôle et l'influence de la superpuissance US. Mais, quels que soientses mobiles réels, ce programme comporte des constats accablants.

Au lieu de viser « les 20% meilleurs chercheurs », notion qui se prête aux pires arbitraires, et de faire de la recherche l'affaire d'une « élite » autoproclamée cumulant de plus en plus de privilèges et de pouvoirs discrétionnaires, Obamadéclare miser sur une large mobilisation de la population et sur uneamélioration substantielle du niveau d'instruction général dans lesdomaines scientifique et technologique. Indépendamment du jugementpolitique que l'on puisse porter sur le nouveau Président desEtats-Unis, il y a là un clair constat d'échec de la politique US desannées précédentes en la matière. Y compris en ce qui concerne lesatteintes systématiques de l'administration Bush à l'indépendance deschercheurs, des pratiques auxquelles la stratégie de privatisation dela recherche française ouvre également la voie.

Quant à lacrise financière, est-ce autre chose qu'une conséquence de la politiquede délocalisations et de dumping social des deux dernières décennies ?Le travail intellectuel a été la cible de choix de cette course auxplus bas salaires, aux statuts les plus précaires et aux plus faiblesstandards sociaux. Une politique dont la recherche scientifique et technologique à très directement souffert, comme nous l'avions rappelé notamment dans nos articles du 11 mars, du 13 mars et du 11 mai.Les Etats-Unis feront peut-être machine arrière, mais le gouvernementfrançais persiste... A bien d'égards, la « grande Europe » du Traité deLisbonne risque d'être encore pire que le « modèle » d'Outre-Atlantique.

Voir également deux articles du 5 novembre :

Barack Obama, la recherche scientifique et l'éducation (I) et (II)

http://science21.blogs.courrierinternational.com/archive/...

http://science21.blogs.courrierinternational.com/archive/...

ainsi que ceux du 31 octobre :

Statut des enseignants-chercheurs et privatisation de l'enseignement supérieur

http://science21.blogs.courrierinternational.com/archive/...

et du 7 mars :

L'indépendance des chercheurs, un grand enjeu citoyen au niveau planétaire

http://science21.blogs.courrierinternational.com/archive/...

Indépendance des Chercheurs

http://www.geocities.com/indep_chercheurs

http://fr.blog.360.yahoo.com/indep_chercheurs

http://science21.blogs.courrierinternational.com