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(Non)Futurité(s) queer(s). De la thèse de l’antisocialité aux perspectives utopistes dans la théorie queer (Montréal)

(Non)Futurité(s) queer(s). De la thèse de l’antisocialité aux perspectives utopistes dans la théorie queer (Montréal)

Publié le par Marc Escola (Source : Jorge Calderón)

(Non)Futurité(s) queer(s)

De la thèse de l’antisocialité aux perspectives utopistes dans la théorie queer

Colloque international

84e Congrès de l’Association francophone pour le savoir

Université du Québec à Montréal

11, 12, 13 mai 2016

 

En 1988, en pleine crise du sida, Douglas Crimp édite un collectif intitulé AIDS : Cultural Analysis/Cultural Activism. Dans ce collectif est republié l’article « Is the Rectum a Grave ? » écrit par Leo Bersani, et qui avait été publié pour la première fois dans la revue October en 1987. Cet article s’inscrit, d’une part, dans la tradition des études gays et lesbiennes telles qu’elles ont été développées au cours des années 70 – dans son étude Bersani s’appuie sur un cadre théorique freudien. D’autre part, « Is the Rectum a Grave ? » a eu une très grande influence sur le développement de la théorie queer qui a eu lieu dans les années 90. Dans son texte, Bersani propose de penser la sexualité comme étant « anticommunal, antiegalitarian, antinurturing, antiloving. » (215) Il situe ainsi l’expérience et les pratiques sexuelles dans un contexte antisocial et antirelationnel.

 

Les théories de Bersani seront reprises, entre autres, par Lee Edelman qui, dans son livre No Future : Queer Theory and the Death Drive (2004), poussera la logique de la thèse de l’antisocialité vers ses extrêmes limites en l’inscrivant cette fois-ci dans le cadre de la psychanalyse lacanienne. Edelman dirige ses attaques contre une idéologie basée sur un futurisme reproductible ou du reproductible, donc une idée du futur centrée sur une valorisation exagérée et une obsession de la reproduction. Ce futurisme du reproductible est symbolisé par la figure de l’enfant. Cette figure contribue à produire, à rendre intelligible et à légitimer, par exemple, des politiques conservatrices qui défendent le patriarcat, la famille, l’hétéronormativité et donc l’immobilisme social. L’attaque contre l’enfant est ainsi une attaque contre un système conservateur de reproduction humaine, sociale, politique, culturelle et historique.

La généalogie de la thèse de l’antisocialité remonte aux années 70. En France, elle est défendue par Guy Hocquenghem, qui a été un penseur important dans un premier temps pour les études gays et lesbiennes et dans un deuxième temps pour la théorie queer. Dans son livre Le désir homosexuel (1972), Hocquenghem écrit : « Le désir homosexuel est l’inengendrant-inengendré, la terreur des familles en ce qu’il se produit sans se reproduire. Aussi faut-il que chaque homosexuel se ressente comme une fin de race, l’achèvement d’un processus dont il n’est pas responsable et qui s’arrête à lui. » (113) Plus loin, il ajoute : « La grande peur de l’homosexualité s’exprime par la peur que s’arrête la succession des générations qui fondent la civilisation. Le désir homosexuel n’est pas plus du côté de la mort que du côté de la vie, il est bien l’assassin des moi civilisés. » (182)

Une dizaine d’années plus tard, une reformulation de la thèse de l’antisocialité est proposée par Michel Foucault dans un entretien publié en 1981 dans Gai Pied et intitulé « De l’amitié comme mode de vie ». Foucault déplace la négation de la reproduction vers l’affirmation de la création : « Le problème n’est pas de découvrir en soi la vérité de son sexe, mais c’est plutôt d’user désormais de sa sexualité pour arriver à des multiplicités de relations. » (982) Pour lui, l’amitié est l’un des modes de vie qui peut être (ré)inventé : « Un mode de vie peut se partager entre des individus d’âge, de statut, d’activité sociale différents. Il  peut donner lieu à des relations intenses qui ne ressemblent à aucune de celles qui sont institutionnalisées et il me semble qu’un mode de vie peut donner lieu à une culture et à une éthique. » (984) L’antisocialité des gays et des lesbiennes dans la logique d’une société hétéronormative n’est pas inévitablement une antirelationalité absolue pour Foucault. Au contraire, l’antisocialité détruit les limites de la relationalité hétéronormative, reproductive et conservatrice pour ouvrir les infinies possibilités des relationalités queers. Et l’exemple que Foucault donne est celui de nouvelles formes d’amitié qui peuvent lier entre elles des personnes queers.

Plus récemment des critiques comme Judith Halberstam, Tim Dean et José Esteban Muñoz ont remis en question les théories de Bersani et d’Eldeman. Dans Cruising Utopia : The Then and There of Queer Futurity (2009), Muñoz retisse les liens entre le passé, le présent et le futur en analysant une série d’œuvres queers. Il met en relief les manières dont les œuvres queers anticipent le futur, lui donnent forme et le rendent donc possible. Il y a pour Muñoz une force de transformation qui émerge des œuvres queers. Leurs modes de socialité et de relationalité créent des pratiques queers d’influence, de reprise, de déplacement, de passage entre les individus, de formation de groupes et de communautés tout à fait autres. Ce n’est donc pas qu’il n’y a pas de futur, c’est plutôt que le futur surgit par des voies inattendues qui échappent à la logique de la reproduction. Le futur n’est pas par conséquent la répétition du passé dans le présent et du présent dans le futur, c’est à dire la simple reproduction. Le futur est pour Muñoz utopique.

Dans le cadre de ce colloque, nous invitons des chercheurs en littérature, en cinéma, en art, en études culturelles et en théorie à réfléchir d’un côté sur l’antisocialité, l’antirelationalité, la non-futurité queers et d’un autre côté à la socialité, à la relationalité, à la futurité, à la communauté, à l’utopie queers. Nous les invitons à réfléchir à toutes les possibilités de non-futurités et de futurités qui sont mises en œuvre dans les créations artistiques et culturelles, dans les discours ainsi que dans la pensée et les théories queers.

Pour ce colloque, nous acceptons des propositions de communication en français. Ces propositions, d’une longueur maximale de 300 mots, doivent indiquer le nom du/de la chercheur(e), son affiliation universitaire et son courriel.

Les propositions de communication sont à envoyer avant le  1er février 2016 par courriel aux professeurs Domenico Beneventi (Domenico.Beneventi@USherbrooke.ca) et Jorge Calderón (calderon@sfu.ca).