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Neuf questions posées à la poésie ivre d'oralité

Neuf questions posées à la poésie ivre d'oralité

Publié le par Sophie Rabau (Source : Sarah Meneghello)

Neuf questions posées à la poésie ivre d’oralité

colloque actif- atelier d’oralité


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octobre 2006

maison de la poésie paris • passage molière • 157, rue saint-martin • 75003 paris

• mardi 17 octobre

La question de l'épique : marcher, dire, éructer, exalter

• jeudi 19 octobre

La question de l'engagement utopique : mission, responsabilité, représentation du monde

• vendredi 20 octobre

La question de la pensée : philosophie, sublimation, transcendance

• samedi 21 octobre

La question de la transe : connaissance, énergie, jubilation

• mardi 24 octobre

La question de l'amour : au cœur d'un humanisme nouveau le geste généreux poétique et la geste amoureuse érotique sans cesse recommencée

• mercredi 25 octobre

La question prophétique : dévoilement, apocalypse, prophétie

• jeudi 26 octobre

La question de la musique : du hörspiele au rap, poésie sonore,

dire-chanter

• vendredi 27 octobre

La question des langues : la poésie dans la tour de Babel cosmopolite, dire,traduire,écouter

• samedi 28 octobre

La question de la scène : l'oralité finalement met en jeu dans le passage à l'acte toutes les questions qui continuent à se méfier des réponses


Dans nos pays, la poésie s’écrit dans les livres. On la récite à l’école. Chacun porte dans sa mémoire secrète ses trésors qui parfois paraissent au grand jour. Alors, la poésie se dévoile, elle fait sa cérémonie, elle se dit. L’acte de dire la poésie n’est pas de nature. La poésie est une affaire intime. Dans le fameux for intérieur, disputent ensemble l’extraordinaire exigence, la folie lyrique, le goût du dévoilement et le goût du secret. La poésie est un bijou qu’on porte dans les grandes occasions.

Alors, comment se fait-il qu’on assiste depuis vingt ans à un renouveau de la lecture publique ? Un désir de participer à la scène théâtrale ? Une tentation de prosélytisme de la part des poètes ? Je n’y crois guère. Une intuition chez eux que, dans la grande catastrophe annoncée de la fin du monde, leur parole trouve une légitimité qui s’était enfouie dans les solitudes ? La croyance que le travail poétique transcende le chaos ? Je veux ouvrir les nouvelles saisons de la Maison de la Poésie en esquissant les lignes souterraines profondes de ce désir général d’oralité.

Quand la poésie monte au front, tous les lieux sont bons à prendre et elle les prend : salles des fêtes et théâtres, rues, métros, marchés. Radio. Petits cirques et stades de meeting. Elle prend le micro que personne ne lui tend. Elle s’érige en jambes, la bouche grande ouverte, elle beugle, elle susurre, elle chante.

Je dis volontiers que la poésie constitue une théorie du théâtre. Sa parole nomme. Sa facture hors-fiction exalte un lieu humain pur de tous, des naturalismes. La poésie laïque dispute avec la parole religieuse, elle croise les engagements politiques, elle participe des utopies, elle fréquente assidûment l’apologie, elle tisse des rêves nouveaux d’humanisme, elle aime croiser le fer avec les autres arts de la scène, la musique au tout premier chef.

Et voici la poésie et les poètes embarqués dans une pratique nouvelle. Sans connaissance des arts de la scène, sans grammaire de la représentation publique, avec leur foi seule, les voilà qui convoquent le public. Et il vient. En masse. Il existe un grand public pour la poésie, un grand désir. Nous le savons tous. Nous l’avons expérimenté. Nous le connaissons mais nous ne le savons pas.

La Maison de la Poésie s’offre à être l’atelier de cette oralité que la poésie et les poètes appellent. Cet atelier va s’inventer chez nous en forme de laboratoire de recherche mais aussi en une sorte de forum de rencontre. Cet atelier concerne les poètes et les amateurs de poésie, les enfants et leurs pédagogues, les comédiens, les musiciens, les penseurs, les peintres… Sous des formes diverses, il courra en permanence dans nos murs au cours des années qui viennent.

Et voici qu’il s’ouvre aujourd’hui sous la forme d’un colloque actif, les neuf journées de l’oralité. Les poètes débattent. Ils s’adjoignent des acteurs de la scène, voix et talents exercés, musiques « questionnantes ». Avec des metteurs en scène, avec des esprits critiques, avec des animateurs de revue, des universitaires, des philosophes, nous passons à l’acte dans la liberté de la réflexion et de l’improvisation. Un public amateur actif nous rejoint le soir. Le fil de cette parole collective est enregistré par nous et publié, de façon sonore, sur notre site internet et sur la Web Radio, en partenariat avec France Culture.

Établissons ensemble le cahier des charges de l’oralité en poésie ! Avant de prendre la route pour l’aventure nouvelle de la Maison de la Poésie, nous posons les questions de ce travail au sens le plus noble, questions lucides et franches : est-ce que l’auteur dit son texte ? Ou bien l’acteur ? Comment se fréquentent-ils ? Quel est le travail préalable nécessaire ? Faut-il lire ? Ou bien savoir par cœur ? La bouche qui parle éructe-t-elle ? Ou bien retient-elle ses mots ? N’y a-t-il pas plus clairement encore quand on les dit des poésies dans la poésie ? Quelle place occupe la poésie purement orale ? Existe-t-il une poésie d’improvisation ? Que perdons-nous dans la linéarité du temps ? Que gagnons-nous dans la communion collective avec le poète ? Voici qu’un musicien se joint à nous, quelle est sa place ? Entre ? Sous ? Dans ? L’écriture ? Illustre-t-il ? Fait-t-il écho ? Le recevons-nous comme un frère ? Ou la musique n’est-elle qu’une parure de plus dans notre orgueil ? La poésie se chante-t-elle ? N’est-elle pas un chant toute seule ? La chanson, est-ce de la poésie ? Et ne parlons pas des slameurs ! Et si nous en parlions ? Et si nous les laissions parler ? Mieux : si nous nous rencontrions ? Si nous avions à nous apprendre ? Une seconde fois : existe-t-il une improvisation poétique ? De tradition, dans certaine culture ? Et dans le chaos des villes modernes ? Questions d’aujourd’hui et questions de toujours : l’action de l’oralité attente-t-elle à la lecture intime solitaire ? Quel besoin de se réunir autour de la parole publique quand nous étions réunis séparément par la lecture du livre ? Désirons-nous ? Créons-nous un mystère supérieur ? Est-ce que l’épopée gagne à être mise en souffle ? L’apologie en rythme ? Est-ce que la sororité de la poésie avec la philosophie s’entend à l’oreille ? Faut-il entendre les langues de la tour de Babel, qu’est-ce que traduire ? Se méfier de la transe du seul diseur ? Avons-nous encore peur de la catharsis? Artaud l’emporte-t-il sur Brecht ? Tout acte collectif n’est-il pas une cérémonie ? Qu’en est-il de notre goût de la transfiguration ? La poésie dans les stades ? Notre désir d’humanisme peut-il se rassasier ? Comment se réunir vraiment dans la forme marchande du spectacle vivant d’aujourd’hui ? Ce que nous cherchons ensemble, est-ce de la vie ou du spectacle ?


Claude Guerre


L’ATELIER : UN OUTIL

La volonté de poésie en scène n'existe pas à l'état de nature. Ou plutôt, elle est si naturelle que la culture occidentale livresque l'a repoussée dans les contrées marginales, croit-elle, de la chanson, de la poésie événementielle, de la poésie d'improvisation. Les poètes disent en catimini leurs vers ou sur un mode grandiloquent dont ils prétendent qu'il est calligraphique. Mais en Inde, les concours de poésie se réunissent dans les stades, dans les théâtres russes la poésie s'est toujours dite à haute voix…

Il n'y a pas de tabou. La poésie dès qu'elle sort du livre sort de la certitude graphique et devient matériau au même titre que la musique, les sons, le silence, les couleurs, les costumes (surtout s'il n'y a pas de costume), le décor (le théâtre nu ne serait-il pas un décor, une circonstance temporelle, une économie de pensée, la pensée de l’économie? Penser à Claudel : Le soulier de satin. Le décor, c’est le soulier, les acteurs chantent la langue, autour on voit les techniciens qui le font voyager.)

La poésie dite n'est plus la poésie lue par chacun. Voici qu’elle sera entendue par tous. Empruntant le dire des interprètes, elle entre dans le champ de réflexion et d'action des acteurs et des metteurs en scène. Le poète dit sa vie, le comédien met sa vie en jeu dans les mots du poète. La confrontation auteur-interprète restera celle que nous avons si souvent mise en jeu. Elle va tâcher de perfectionner dans l’objet scénique la puissance de ses signifiants et de ses émotions.

Le jeu des comédiens deviendra un champ permanent d'expérimentation là où il n'était qu'expérience fugitive. La poésie doit-elle être apprise par cœur? Ou bien doit-elle être lue ? Les anciennes questions (de l'interprétation, de la consommation, de l'incarnation, de la diction) restent vives et trouvent, dans ce travail préparatoire aux spectacles, l'épaisseur concrète de ce que l'intuition devinait.

Nous n'étions qu'en rêve. Nous voici sur le plancher du travail des théâtres.

L'improvisation se travaille. La musique s'écrit. Les partitions communes s'élaborent. La scénographie, le décor, la musique, le travail des voix... Chaque spectacle est un projet. Mais ils sont tous reliés par une aventure commune et neuve: la poésie passe à l'acte de la scène. Elle relie son origine orale lointaine et un désir d'être entendue (qui n'est pas exclusif, renvoyant sans cesse chacun à sa lecture dans le livre) inventif, désireux de fraternité avec le théâtre, prétendant offrir dans ces lieux de communion de la cité, la parole forte des poètes.

Ceci est le programme d'action d'un travail permanent qui ne peut pas se passer d'un laboratoire où s'expérimentent sans risque les pires chimies. Ici se crée une praxis nouvelle entre la réflexion théorique, l'histoire (passé et avenir) de la poésie et la pratique expérimentale de la scène, poésie à la main, poésie en bouche. Ce laboratoire fonctionne régulièrement en cycles. Il met en présence des poètes, des critiques et théoriciens, des comédiens, des metteurs en scène, des musiciens d'écriture et d'improvisation, et d'autres artistes (arts plastiques, vidéo, photo, scénographie, lumières, décor, costumes...). Les débats et les expérimentations sont captés et conservés.