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Mot propre et périphrase

Mot propre et périphrase

Publié le par Marc Escola (Source : Jean-Damien Mazaré)

Appel à communications

Colloque "Le mot propre et la périphrase : du tour précieux à l'objet tu"

(CIELAM - Université de Provence Aix-Marseille)

30, 31 mai et 1er juin 2012

Marseille


« Je veux enfin qu'au jour marqué pour le repos,

L'hôte laborieux des modestes hameaux

Sur sa table moins humble, ait, par ma bienfaisance,

Quelques-uns de ces mets réservés à l'aisance. »

Gabriel Legouvé, La Mort de Henri IV


La langue se languit de réalité ? La littérature s'en mêle : le mot propre et la périphrase mènent deux chasses antagonistes - soit au harpon (piquer au vif), soit au filet (circonvenir). Le colloque prendra pour objet cette tension pragmatique entre un certain usage indirect de la langue - pervers ou subtil à l'envi - et l'énergie du mot propre, juste d'un point de vue éthique, obscène ou délicat d'un point de vue moral, caractéristique ou sale d'un point de vue esthétique.

Comment la tension entre dénomination et circonlocution est-elle susceptible d'éclairer ou de dissiper le rêve d'un langage adéquat au réel et de la littérature comme activité mimétique ? L'opposition est-elle si nette entre, d'un côté, « la prose du monde », les « mots de la tribu » et, de l'autre, ces « termes bizarres » et « ce jargon » qu'on appelle « beauté poétique » ? Le mot juste lui-même n'est-il pas la périphrase - ou expression figurée - d'un réel « sans phrase » et mutique ? La périphrase n'est-elle pas plus juste, plus motivée - et peut-être plus originaire - qu'un mot propre dont une convention fait toute la propriété ? Comment utiliser l'opposition lacanienne entre la langue et lalangue pour penser le rapport entre symbolique du mot propre et imaginaire de l'équivoque périphrastique ?

Du geste inaugural de la nomenclature adamique (nomen est consequentia rerum) à la réticence « dans une ombre exprès » de l'allusion mallarméenne, est-il possible d'inscrire ce conflit entre mot propre et périphrase dans une éthique et une pragmatique raisonnée de l'écriture littéraire ?

Axes du colloque

1. Économie de la langue

La tension entre mot propre et périphrase sous-tend le combat qui oppose Boileau (Satire XII, Contre l'équivoque) au gongorisme de la poésie baroque et à l'euphuisme précieux. Pour la clarté, contre les « tournures » et le « contourné », Boileau engage la littérature sur la voie d'une déflation du discours, et promeut une forme d'atropie littéraire : le rationnement des signifiants renverse ainsi les pratiques discursives conçues comme dépense ; une nouvelle économie, avare de signes, modifie les structures idéologiques de l'aristocratie « généreuse », dont le Grand Dictionnaire des Précieuses d'Antoine Baudeau de Somaize illustrait l'énergétique du faste.

Prise entre le ridicule du surcroît (s'asseoir sur les « commodités de la conversation » chez Molière) et la réduction sublime (la simplicité du « haut discours »), la périphrase semble demeurer aux marges de cette ère nouvelle des dictionnaires : en effet, se met en place un nouveau langage, grâce auquel les Lumières entendent parler autrement pour penser autrement, afin que « les mots ne tombent pas dans le vide » (G. Benrekassa, Le Langage des Lumières). L'enjeu idéologique de la dénomination est à interroger dans la pratique encyclopédique aussi bien que dans la déconstruction dont procède la dénomination voltairienne du Dictionnaire philosophique.

2. Énigme de la périphrase, énergie du mot.

Dans son Dictionnaire de Poétique et de Rhétorique, Morier propose de distinguer périphrase-énigme et périphrase-image. La question de la langue des origines se heurte au problème de sa figuration initiale (Cf. Mimologiques, G. Genette). Le point où culmine le marivaudage (le « défaut de clarté ») ou le « dangereux supplément » rousseauiste est celui depuis lequel s'abîme le silence du geste éloquent ou de l'hiéroglyphe, chez Diderot, palliant le mot juste, court-circuitant la périphrase tout en en gardant les propriétés d'image ou d'énigme.

Promouvant ce que Jean-Claude Milner a appelé les « maîtres mots » dans Les Noms indistincts, ceux qui expriment le « lien » culturel et sur lesquels la loi ou le contrat cherchent à exercer un empire, le lexique et la poétique du dix-huitième siècle n'écrasent pas pour autant la périphrase qui hante un langage désigné par Lacan comme « parade » ou comme du « semblant », par la double exclusion du topos et du logos : « Là où ça parle, ça jouit et ça sait rien ».

La fiction autobiographique de Chateaubriand, l'introspection stendhalienne, en marge d'un langage médicalisé ou scientifique qui s'élabore sur le sexualité, porte jusque dans leur pendant romanesque (René, Armance) la trace d'une résistance de la périphrase à l'intérieur d'un discours qui « ne cesse pas de ne pas se dire ». À la suite des travaux de P. Bayard sur Stendhal, la dialectique entre mot propre et périphrase gagnerait à être étudiée à la lumière du rapprochement entre aveu et déjection anale opéré dans ses travaux par Ferenczi.

3. Le mot et les choses.

Le « maître-mot », dans l'ère post-révolutionnaire, devient le mot caractéristique, mot-signature du réel, du trivial, du quotidien : « forme optique » où se réfléchit la crise de la représentation littéraire et le passage du régime des Belles-Lettres à celui de la Littérature, le mot propre se voit aussi opiniâtrement promu que refoulé. Une reconfiguration des genres est nécessaire pour que Chateaubriand puisse envisager la possibilité d'une épopée moderne où puisse figurer le lexique des objets contemporains. Du Racine et Shakespeare de Stendhal au « mouchoir » du More de Venise, le théâtre romantique se prononce contre les abus de la périphrase pour les « mots nationaux » et, jouant topos contre logos, pour un nouveau vocabulaire empreint de « localité ». Tous les mots ont droit de cité dans la nouvelle littérature ; Banville se félicite de ces nouveaux arrivants qui décuplent le nombre des rimes et libère la poésie des périphrases et inversions auxquelles la condamnait la pénurie des rimes classiques (Petit traité de poésie française). Le mot poétique commence alors, comme le dit Henri Meschonnic dans Pour la Poétique I, à se définir comme « mot déformé-reformé », à l'horizon de son utilisation baudelairienne.

« Pas gagné » d'une poésie « absolument moderne », le mot propre et le terrorisme de la dénomination doivent compter avec la résilience des tournures : Verlaine défend une poétique du « mot propre évité des fois à dessein » ; la littérature symboliste, violemment anti-mimétique, joue la suggestion contre la référence. Il s'agit, comme l'écrit Mallarmé, d' « évoquer, dans une ombre exprès, l'objet tu, par des mots allusifs, jamais directs, se réduisant à du silence égal, comporte tentative proche de créer ». La périphrase personnelle de Mallarmé, dont Albert Thibaudet disait qu'elle est « une interférence d'analogies d'où seulement est banni le mot à commenter, non comme vulgaire, mais comme rendu inutile par l'évocation de son Idée », équivaut à une évidement de l'objet, à son évacuation. Il ne s'agit plus tant de voiler l'objet, de le préserver dans une ombre protectrice, que de l'abolir (cf. M. Blanchot, La Part du feu) et de remettre en cause l'antériorité ontologique de la référence sur le simulacre (cf. J. Derrida, La Dissémination).

Le colloque aura lieu les 29, 30 mai, et 1er juin 2012 à Marseille, site Saint-Charles de l'Université, et au centre international de poésie Marseille (Vieille Charité).

Il est organisé par Jean-Christophe Cavallin et Jean-Damien Mazaré, de l'Université de Provence.

Comité scientifique :

Béatrice Didier (ENS Paris)

Mathilde Thorel (Université de Provence)

Éric Bordas (ENS Lyon)

Jean-Christophe Cavallin (Université de Provence)

Martin Rueff (Université de Genève)

Vincent Vivès (Université de Valenciennes).

Les propositions de communication (titre et résumé) sont à envoyer avant le 15 octobre 2011 à motpropre@gmail.com.