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Mort de Maurice Nadeau

Mort de Maurice Nadeau

Publié le par Marc Escola

L’écrivain, éditeur et journaliste littéraire Maurice Nadeau est mort dimanche à l’age de 102 ans, après avoir mené, avec succès, un dernier combat pour sauver la Quinzaine Littéraire, une nouvelle fois menacée. Avec lui, c'est le vingtième siècle de la littérature qui prend fin.

P. Assouline lui rend le plus bel hommage sur son blog:

"Pour saluer Maurice Nadeau"

*  *  *

Et dans Libération du 17 juin 2013 T. Samoyault, engagée depuis vingt ans aux côtés de M. Nadeau dans l'aventure de la Quinzaine, adresse cette lettre au disparu:

«Cher Maurice,

Avant de vous connaître, je savais lire, mais c’était à peu près tout. Vous m’avez appris ce qu’on pouvait faire avec les livres, les transmettre, les défendre, se battre avec, s’en souvenir. Vous m’avez donné le temps des livres, qui est aussi bien l’engagement, l’amitié, que l’ironie et la distance avec l’époque. Vous m’avez donné une autre image du siècle. Ce XXe siècle, dans lequel je suis arrivée tard, vous m’en avez ouvert une autre porte que celle des crimes, du désœuvrement et de la fin des utopies. Regarder sa violence en face a signifié pour vous de reconnaître avant les autres les écrivains qui la disaient et qui parlaient dans le désert.

«Vous êtes mort et je vous croyais immortel. Ce n’est pas un mot d’enfant. Vous aviez laissé le temps. Dans tous les sens du terme. Vous nous laissiez du temps. Vous le laissiez durer. Le tournant du siècle, pour moi, c’est quand vous avez passé 100 ans. Vous ne rentriez pas dans le nouveau à reculons, mais vous continuiez à regarder le précédent en face et nous disiez que lire, c’est placer son regard en équilibre entre le passé et l’avenir, dans le présent. La dernière fois où je vous ai vu vivant, c’était il y a deux semaines. Vous avez parlé de votre avenir en disant que vous ne le voyiez plus. La Quinzaine allait mal. Je me disais que sans doute, je ne vous verrai plus jamais vivant. C’est ainsi que l’on passe de l’immortalité à la mort d’un seul coup, lorsque l’équilibre auquel on s’accrochait si fort est rompu par le coup d’aile de la nécessité. Quelque chose devient irrespirable, alors on ne respire plus.

«Pourquoi est-ce que je tenais tant à vous ? Vingt ans de compagnonnage dans le Journal, mes deux premiers livres publiés par vous, la confiance maintenue jusqu’au bout, c’est tout cela, mais ce n’est pas tout. Vous mainteniez la résistance active dans une époque qui pensait n’en avoir plus besoin. On se moquait parfois de nous, vos collaborateurs, si subjugués par votre personnalité que nous vous remettions la nôtre, que nous oubliions nos droits les plus élémentaires et notre liberté. C’était ne pas voir que notre liberté tenait précisément à cela, à appartenir à une organisation solidaire où rien n’obéissait aux lois du commerce ordinaire, quand le salaire est le prix de la peine et la rivalité, la règle des rapports. Pour nous, c’était le contraire : nous apprenions à résister à notre tour au spectacle intégré et aux lois du marché. Les livres, la littérature nous payaient de notre désir et de notre inadaptation. Ce que certains appelaient votre trotskysme, je lui donnais le nom de la résistance, qui est cette fois une manière d’endurer.

«Vous êtes mort le 16 juin 2013, cent-neuvième anniversaire du Bloomsday, le jour de Bloom, le jour des fleurs en boutons. Vous avez été le contemporain de Joyce et avez tenu absolument à le rester. Une vie, dit Stephen dans Ulysse, c’est beaucoup de jours, jour après jour. Vous en avez vécu trente-huit mille et presque autant de livres sans doute. Vous m’avez donné le temps de tous ceux et celles que vous avez lus et connus. Je me promène dans ce volume de 38 000 pages que vous m’avez confié. Mon chagrin ne me permet pas encore d’y mesurer ma vie. Mais en répondant aujourd’hui à la dernière lettre que vous m’avez écrite, je me dis qu’il peut encore y avoir là une raison d’agir.»

*  *  *

On peut également lire sur Rue89.com cet hommage:


"Maurice Nadeau avait été célébré et fêté pour ses cent ans en 2011, et pour ce siècle consacré à la littérature – mais pas seulement, il fut militant communiste, trotskyste, résistant, et bien plus.

Ces dernières semaines, il avait réuni ses dernières forces pour sauver sa Quinzaine Littéraire, fondée en 1966 et menacée, une nouvelle fois, de fermer faute de moyens financiers. Une grande mobilisation fut relayée sur les réseaux sociaux, avec un appel de Nadeau, et il fut entendu.

Début mai, il sonnait l’alerte :

« C’est de mort, en effet, qu’est menacée “ La Quinzaine littéraire ” : pas dans six mois, pas dans un an, comme elle l’a souvent été durant les 47 années de son existence, mais dans les semaines qui viennent. Liquidation judiciaire ou dépôt de bilan, suspension de la parution.

Rien d’étonnant dans la situation actuelle de la presse écrite, rien d’étonnant pour un périodique qui n’a jamais voulu se mettre “ au goût du jour.”

En effet, depuis 1966, “ La Quinzaine littéraire ” n’a cessé de défendre une certaine qualité de l’écriture et de la pensée, et de privilégier la lucidité dans tous les domaines du savoir. Et cela grâce au concours de plus de 800 collaborateurs : écrivains, universitaires, journalistes.

Allons-nous nous laisser faire et voir disparaître le journal ? »

Un mois plus tard, dans le numéro du 1er juin de La Quinzaine, envoyé sous format PDF à ses abonnés (dont je suis désormais, en réponse à son appel), Maurice Nadeau pouvait écrire dans son édito :

« Notre appel dans La Quinzaine du 16 mai : “Vous ne laisserez pas mourir La Quinzaine littéraire !” a été largement entendu. D’abord grâce aux réseaux sociaux et à nos amis des sites internet, qui ne sont pas ennemis, on le voit, de la presse écrite. »

Maurice Nadeau n’aura pas survécu longtemps à ce sauvetage in extremis, sans doute la dernière chance d’un magazine qui lui tenait particulièrement à cœur et qui va désormais devoir se trouver un autre « guide », alors qu’il prépare une nouvelle formule à l’automne.

Kerouak, Miller, Gonbrowicz, Houellebecq...

D’une longue histoire dans la littérature et la politique, on retiendra surtout les « découvertes » qu’on lui doit en France, d’auteurs étrangers comme Jack Kerouac, Witold Gombrowicz, Henry Miller, Malcolm Lowry, et français comme Georges Perec ou Michel Houellebecq dont il publie le premier roman, « Extension du domaine de la lutte », en 1994.

« D’autres écrivains de son catalogue, rappelait Mouloud Akkouche sur son blog de Rue89 pour les 100 ans, n’auront jamais une telle “ visibilité ”, mais toujours une place dans le panthéon intime de Maurice Nadeau. Un panthéon jamais soumis au diktat de la mode et des prix. »

Dans une interview en 1991 avec Marie-Andrée Baudet, il expliquait comment il était devenu « découvreur » de littérature étrangère :

« Je crois que ce sont surtout les circonstances qui ont provoqué ça. A l’époque, je parle de l’après-guerre, il y avait une faim de littérature étrangère. Puis, en même temps, les Français continuaient à croire qu’ils étaient les rois. Et, en somme, je n’ai rien cherché du tout, mais le fait que j’ai commencé à publier des étrangers a fait que d’autres sont venus.

J’ai été obligé d’en refuser plusieurs. J’ai été obligé de refuser Cortazar, Vargas Llosa, je pourrais en citer une bonne dizaine. Ils venaient parce que j’avais commencé à publier des auteurs étrangers, et que les autres éditeurs les ignoraient. (...) De sorte que je n’ai eu qu’à attendre. Miller m’a amené Durell, Malcolm Lowry est venu. Ca s’est fait tout naturellement. »"

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