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Nouvelle parution
Modernités n°29 :

Modernités n°29 : "Puissances du mal"

Publié le par Alexandre Gefen

Compte rendu publié dans le dossier critique d'Acta fabula "Le mal, en mots et en images" (novembre-décembre 2011, Vol. 12, n°9) : "Modernités du mal" par Sarah Lacoste et Matthieu Vernet.

 

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Modernités n° 29 : "Puissances du mal"

Textes choisis et présentés par Pierre Glaudes et Dominique Rabaté

Pessac : Presses universitaires de Bordeaux, 2009.

480 p.

 

 

ISBN : 978-2-86781-537-9

 

 

Prix : 26 €

 

 

 

 

Sommaire : Puissances du mal

 

Couverture : Gustav Adolf Mossa, intitulée "Salomé : le goût  du sang" (1904, aquarelle, mine de plomb et encre sur carton grège. Collection particulière)

 

Prologue 

 

- Ouverture n°1 : L’invention d’un siècle

1)  Pierre Glaudes : Naissance du mal moderne 

2) Fabienne Bercegol : Un « barbare aveu » : Les Natchez de Chateaubriand

 

I) L’inflation du mal

3) Jérôme Cabot : Melmoth remplacé. Avatars du mal sous la Monarchie de Juillet

4) Andrea Del Lungo : Impuissances du mal (Balzac, Histoire des Treize)

5) Alexandre Péraud : Le mal et l’argent

6) Jean-Pierre Saïdah : La représentation parodique du mal autour de 1830

 

II) Figurations poétiques

7) Marie-Catherine Huet-Brichard : Le récit de cauchemar

8) Yves Reboul : Rimbaud et le mal

9) Valéry Hugotte : Lautréamont ou les délices de la cruauté

10) Arnaud Despax :  Le tyran, le poète et la parole du mal (sur Pierre Emmanuel)

 

III) Avatars du diable

11)  Lydie Parisse : Le diable dans L’Affaire de la rue de Lourcine

12)  Sylvie Vignes : titre à revoir, sur « Faust au village »

13)  Delphine Gachet : De quelques figures du Mal dans la littérature fantastique

14) Jean Sarrocchi : Monsieur Ouine ou la puissance béatifiante du mal

15) Jacques Dupont : Jouhandeau : pouvoirs et puissances du mal

 

- Ouverture n° 2 : Epreuves, exorcismes

16)  Dominique Rabaté : L’abîme du banal

17) Alain Merlet : Le mal et son traitement dans l’expérience psychanalytique

 

IV) Politiques du mal

18) Gilles Magniont : Le savoir amer des méchants romans

19) Nicolas Di Méo : Mal politique ou fatalité historique ? Le mythe de la décadence 

20) Julien Roumette : Romain Gary et le sourire de Prométhée

21) Jean-Pierre Moussaron : Johnny Guitar : le western rédimé    

 

V) L’indicible du mal

22) Eric Benoit : Dans l’aporie du comment dire (Jabès)   

23)  Josette Rico : Les lieux impossibles de l’écriture : Disgrâce de Coetzee

24) Jean-Yves Laurichesse : Richard Millet : entre le mal et l’innocence 

25) Chantal Lapeyre : Langage et perversion dans le roman contemporain

26) Séverine Bourdieu : Un exorcisme à l’encre de Chine L’Ascension du Haut-Mal de David B.

 

 

 

 

Avant-propos

 

Dans une note, du 15 septembre 1974, Jean-Patrick Manchette remarque : « On pourrait peut-être définir, ou du moins déterminer le roman policier comme une branche de la littérature consacrée au Mal – je ne veux pas dire une branche consacrée au Mal, je veux dire une branche de ce qui, dans la littérature, est consacré au Mal »[1]. Manchette continue en soulignant certaines parentés avec la tragédie et le western puisque « la mort seule peut arrêter le mouvement des personnages ». Et il poursuit en distinguant de manière magistrale le roman policier du roman noir, selon une thèse que ses Chroniques illustrent aussi.

On pourrait dire à sa suite que le volume collectif que l’on va lire s’intéresse à la branche de la littérature qui est consacrée au Mal, cette branche qui fait peut-être l’essentiel de l’arbre depuis deux siècles (au-delà même du succès évident depuis le milieu du XIX° siècle du roman policier). Car, selon l’hypothèse qui nous a servi de fondement, c’est dans un rapport inédit au Mal que s’élabore justement la littérature moderne, la littérature qui revendique ce nom nouveau, en remplacement de celui de Belles-Lettres, devenu caduc. Cette nouvelle idée de la littérature naît du traumatisme de la Révolution Française et de la Terreur ; elle se place résolument sous l’angle de la fascination pour le mal, en réaction contre l’idéal rationaliste des Lumières. Ce sont donc les pouvoirs de séduction (à l’image de cette Salomé ingénue et perverse de Mossa que nous avons choisie pour la couverture) et de fascination des figures maléfiques qui sont au centre des analyses à venir, dans la mesure où ces figures ne restent pas un simple motif thématique ou dramatique, mais parce qu’elles engagent une véritable mutation esthétique et formelle, et posent une question capitale à la représentation.

« Puissances du Mal » : l’expression désigne donc l’empire nouveau qu’exerce sur la sensibilité moderne un Mal qui échappe aux conventions et aux représentations chrétiennes. Ce mal se répand dans toute la société, envahissant tous les lieux d’ancienne innocence, opérant une sorte de révolution anthropologique. Le Mal comme le Démon de la Bible est Légion, et l’art moderne ne cesse de représenter – avec effroi et complaisance - les innombrables visages qu’il prend : visages connus que la littérature, mais aussi la peinture, le cinéma ou même la bande dessinée reconfigurent, ou visages entièrement inédits. Le panorama est immense, vertigineux : il ne s’agissait bien évidemment pas pour nous de le couvrir intégralement, mais plutôt de proposer quelques avenues, quelques lignes de perspective pour rendre compte de cette fascination moderne, qui n’avait jamais fait l’objet d’une telle enquête.   

La traversée que nous proposons prend en écharpe deux siècles, du XIX° siècle naissant à aujourd’hui. Nous avons voulu faire apparaître, à la fois, des ruptures et des continuités dans les représentations collectives et individuelles que l’art a pour mission problématique d’articuler. C’est la raison pour laquelle ce volume est structuré en deux temps principaux, avec une ouverture double à chaque temps fort. On peut ainsi faire ressortir une économie du Mal propre au XIX° siècle, mais qui continue de produire ses effets jusqu’au XX° siècle sans césure radicale. La trame globalement chronologique que nous avons décidé de suivre permet de suivre ainsi des évolutions complexes qui n’obéissent pas servilement aux découpages historiques classiques.

Le premier temps est intitulé : « L’invention d’un siècle » pour bien marquer la nouveauté de ce qu’il faut bien appeler « le mal moderne ». On en suivra en trois chapitres l’empire croissant (pour ne pas dire l’impérialisme triomphant, sous le signe de l’argent roi) dans la période romantique. Défi à la représentation, le mal bouscule aussi les figurations poétiques auxquelles on pourrait être tenté de penser moins spontanément, et c’est pourquoi nous avons voulu consacrer le deuxième chapitre à quelques aventures poétiques qui réinventent leur langue par l’expérience déconcertante et roborative du mal. La figure du Diable, on s’en doute, ne pouvait échapper à ces nouveaux modes de figuration et, sans prétendre revisiter un dossier déjà bien documenté, la troisième partie décline certains de ses visages inattendus chez Labiche ou Giono, Bernanos ou Jouhandeau.  

Nous avons baptisé le deuxième temps, en hommage à Henri Michaux, « Epreuves, exorcismes ». La banalisation terrifiante du Mal ne peut plus s’exercer dans le registre encore sublime auquel le XIX° pouvait prétendre. En panne de cadre transcendantal pour le penser, le XX° siècle remet à la littérature ou au cinéma le pouvoir d’interroger sans relâche ses motifs proliférants. Deux axes nous ont paru s’imposer pour ce nouveau trajet : d’abord une accentuation politique des pouvoirs maléfiques pour un siècle que l’Histoire aura particulièrement éprouvé. Des romans noirs au western flamboyant, c’est la gamme chromatique (ou même technicolor) du Mal que l’on abordera dans la représentation complexe de ses fondements idéologiques. L’art et la littérature donne des visages à ce qui n’aurait autrement pas de nom : l’empire accablant du Mal exige de l’artiste cette lutte (c’est bien une épreuve) pour dire et tenter de libérer grâce à ce dire (c‘est l’exorcisme promis, la catharsis espérée). C’est donc à cet « indicible du mal » qu’est consacrée la dernière section de ce volume qui se rapproche volontairement des écritures les plus contemporaines, de Jabès à Coetzee, de Millet à David B.

 

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Ce livre est la refonte d’un long et fructueux travail collectif, décliné en séminaires et journées d’études entre 2005 et 2007, mené conjointement par les Equipes « Modernités » de l’Université de Bordeaux 3 et « Littérature et herméneutique » de l’Université du Mirail – qui poursuivent avec cette nouvelle publication une collaboration précieuse. Ces « Puissances du Mal » nous auront, pendant deux ans, donné beaucoup d’entrain et d’excitation intellectuelle. Puisse le lecteur qui va les découvrir éprouver, comme nous, le délicieux frisson que l’art, quand il se confronte au plus terrible, sait nous procurer.

 

Pierre Glaudes et Dominique Rabaté


[1] On trouvera ce texte en appendice à La Princesse de sang, le dernier – et magnifique - roman inachevé de Manchette, publié de façon posthume en 1996 (je cite l’édition Folio Policier, Gallimard, 2005, voir page 213).