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Nouvelle parution
Médiévales, 62, 2012 :

Médiévales, 62, 2012 : "Réforme(s) et hagiographie en occident du VIe au XIIIe siècle"

Publié le par Matthieu Vernet

Médiévales, n° 62, 2012 : "Réforme(s) et hagiographie en occident du VIe au XIIIe siècle"

EAN13 : 9782842923464.

196 p.

Prix 20EUR

Présentation

Les meilleurs spécialistes français et étrangers abordent les rapports complexes, entre les idéaux réformateurs à l'œuvre dans l'église médiévale, et l'écriture hagiographique, entre le VIe et le XIIIe siècle.

Les vagues successives de réforme de l’église se sont accompagnées, tant au sein des institutions ecclésiastiques, que pour l’ensemble des fidèles, d’un renouveau du culte des saints et de la production hagiographique.  
Inversement, et paradoxalement, les hagiographes se sont saisis de l’occasion pour transmettre et, dans certains cas, élaborer les idéaux réformateurs de leur temps.  
Ce dossier montre que la perception et les représentations des nouveaux modèles de sainteté demeurent un enjeu crucial pour tous les types de réformes. En raison même de sa diversité et de son caractère parfois insaisissable, le discours hagiographique constitue donc un laboratoire idéal pour observer les multiples façons dont se construit la légitimité d’une réforme, entre le VIe et le XIIIe siècle.

Sommaire :

Avant-propos
Stéphane Gioanni et Charles Mériaux



Les Dialogues de Grégoire le Grand et leur postérité : une certaine idée de la réforme ?
Bruno Dumézil et Sylvie Joye

Hagiographie et réformes monastiques dans le monde franc du VIIe siècle
Anne-Marie Helvétius

Réformer la vie monastique ou réformer l’Empire ? La Vie d’Eigil de Fulda par Brun Candidus (vers 840)
Klaus Krönert

Hagiographie et réforme en Bavière au tournant des VIIIe-IXe siècles
Maximilian Diesenberger

L’hagiographie contre la réforme dans l’Église de Lyon au IXe siècle
Marie-Céline Isaia

Les trois voies de la réforme dans l’hagiographie érémitique du XIIe siècle. Enquête sur la Vita Bernardi Tironensis (BHL 1251)
Patrick Henriet

Célébrer l’église, réformer la personne : la fête de la dédicace d’église dans La Légende dorée de Jacques de Voragine
Dominique Iogna-Prat



ESSAIS ET RECHERCHES


Pillages et butins dans la représentation du pouvoir à l'époque carolingienne
Rodolphe Keller

Stratégies spatiales et temporelles dans la composition poétique et musicale des conductus parisiens au début du XIIIe siècle
Anne-Zoé Rillon-Marne



POINT DE VUE


Rome au Moyen Âge
Sylvain Parent
 

Résumé des contributions

Maximilian Diesenberger

Hagiographie et réforme en Bavière à la fin du VIIIe siècle

Les textes hagiographiques trouvent de nouvelles significations lors des périodes de grandes transformations sociales et politiques comme la Bavière en a connues dans les dernières décennies du viiie siècle. Après la chute du duc Tassilon III en 788 et l’avènement d’une période d’instabilité juridique dans la principauté, la Vie de saint Rupert a été remaniée à Salzbourg afin d’accompagner la confirmation des titres de propriété de l’église cathédrale. L’érection de Salzbourg comme siège métropolitain en 798 entraîna la composition d’un nouveau texte destiné à cimenter l’unité de la province autour de son nouvel archevêque, Arn. Au même moment, une collection de Vies d’évêques gaulois et francs a été rassemblée pour modeler les comportements des suffragants dans le sens de la réforme voulue par Arn. Dans les premières décennies du ixe siècle, une sélection d’Actes de martyrs fut aussi introduite dans un sermonnaire afin de diffuser de nouveaux modèles sociaux et politiques à destination cette fois-ci d’un public de grands aristocrates laïcs.

 

Bruno Dumézil et Sylvie Joye

Les Dialogues de Grégoire le Grand et leur postérité : une certaine idée de la réforme ?

La réforme selon Grégoire le Grand, à la frontière entre l’Antiquité et le Moyen Âge, correspond à une volonté d’organisation et de correction, de remise en ordre, sans référence explicite ou régulière à un retour à une forme de communauté primitive idéale. Il s’agit davantage d’une remise en ordre morale du monde laïc, sur le modèle de ce monde monastique qui est, lui, le modèle très actuel dans lequel Grégoire s’est épanoui. L’hagiographie est bien propre à traiter ces aspirations, dont la radicalité est exprimée par la multiplicité et l’importance des miracles. Alors que leur abondance a longtemps jeté un doute sur la valeur des Dialogues, il conviendrait de considérer ces miracles plutôt comme les armes de Grégoire pour réformer les communautés chrétiennes. Le succès des Dialogues est d’emblée immense. Par l’étude de trois textes qui s’inspirent directement de ceux-ci (les Vies des Pères de Mérida, la Passion de Praejectus) ou traitent sur un mode hagiographique de la figure de Grégoire (la première Vie de Grégoire le Grand), on peut voir comment ces aspirations à une réforme sont reprises, ou non, dans l’hagiographie du siècle suivant.

 

Anne-Marie Helvétius

Hagiographie et réformes monastiques dans le monde franc au VIe siècle

Tandis que cohabitent diverses formes de monachisme dans le monde franc du viie siècle, le rôle politique des monastères ne cesse de croître grâce au soutien des rois et de l’aristocratie. Une série de récits hagiographiques témoignent du lien étroit qui s’établit entre réforme monastique et unification politique. Dans cette perspective, la réforme acquiert parfois une dimension universelle : au-delà de la vie commune des moines, ce sont les valeurs chrétiennes et donc le comportement de tous les chrétiens que les hagiographes cherchent à corriger. La diversité des modèles présentés dans ces sources reflète celle des intérêts variés que ces textes servaient à défendre, y compris sous la plume d’un même auteur, comme en témoigne le cas de Jonas de Suse.

 

Marie-Céline Isaïa

L'hagiographie contre la réforme dans l'église de Lyon au IXe siècle

L'hagiographie, qui devient avec la fin du ixe siècle un discours normatif et le moyen d'inciter à la réforme monastique (Hincmar, Adon), n'est pas utilisée de la même façon par les réformateurs carolingiensde la première moitié du ixe siècle. Elle traduit plutôt la réticence de certaines communautés face à cette réforme permise par l'appesantissement de l'autorité épiscopale : l'attachement des chanoines de Saint-Just par exemple à des cultes anciens (saint Galmier, saint Just) et aux textes archaïques qui les mentionnent, peut témoigner d'une forme de résistance passive face à une réforme voulue par Leidrade et Charlemagne.

 

Patrick Henriet

Les trois voies de la réforme dans l'hagiographie érémitique du XIIe siècle : enquête sur la Vita Bernardi Tironensis (BHL 1251)

Cet article étudie le concept de réforme dans la Vita Bernardi Tironensis (BHL 1251), un texte consacré au fondateur de l’abbaye de Tiron (région du Perche), Bernard d’Abbeville († 1116 ou 1117), et rédigé par le moine Geoffroy le Gros entre 1137 et 1149. On a voulu ici prolonger une réflexion entamée ailleurs sur le concept de réforme en contexte « grégorien ». La Vita Bernardi, consacrée à l’un des plus célèbres Wanderprediger actifs au tournant des xie et xiie siècle, célèbre en particulier pour ses interventions contre le mariage des prêtres, développe-t-elle le concept d’une reformatio de l’Église universelle, ou privilégie-t-elle un cadre local  et une conception plus traditionnelle de la re-formatio comme conversion individuelle et retour à Dieu ? Dans cette optique, on étudie successivement la réforme intérieure, celle des institutions particulières (les monastères), et enfin celle de l’Église dans son ensemble. Sans minorer l’originalité de cette remarquable Vita, à bien des égards très différente de celles que produisaient, par exemple, les milieux clunisiens quelques décennies plus tôt, on insiste pour terminer sur le fait qu’il convient sans doute de parler ici, au moins autant que d’une hagiographique au service de la réforme, d’une certaine instrumentalisation de l’idéal réformateur, mis au service d’une construction mémoriale locale.

 

Dominique Iogna-Prat

Célébrer l'église, réformer la personne : la fête de la dédicace d'église dans La Légende dorée de Jacques de Voragine

La sainteté dont il est question dans cette étude est largement paradoxale dans la mesure où la tradition chrétienne a fait d’un objet (l’église, honorée comme un saint à l’occasion de l’anniversaire de la fête de dédicace) un véritable sujet. En célébrant, comme le fait Jacques de Voragine dans la Légende dorée, une église « anthropisée » c’est la personne même du fidèle qu’il s’agit de réformer.

 

Klaus Krönert

Réformer la vie monastique ou réformer l'Empire ? La Vie d'Eigil de Fulda par Brun Candidus (vers 840)

Quelle fonction la Vie d’Eigil de Fulda rédigée vers 840 par Brun Candidus pouvait-elle avoir dans la société de l’époque ? Le texte (BHL 2440-2441) relate de manière détaillée, en prose et en vers avec de surcroît une série d’enluminures, la situation critique que la communauté de Fulda a connue lors des réformes de 816/817 sous l’abbatiat de Ratgar, la destitution de ce dernier par Louis le Pieux, l’élection du nouvel abbé, Eigil, ainsi que son abbatiat qui parvint à sortir la communauté de la crise. Eigil est décrit comme un abbé qui a dirigé ses moines avec amour, sagesse et fermeté, qui a été à l’écoute des frères et qui a parfaitement répondu aux exigences de l’empereur, de sorte qu’il fît régner la paix et la concorde. Ce n’est cependant pas la crise de 816/817 qui préoccupait Brun Candidus lors qu’il écrivit cette Vie, mais les crises dans lesquelles la communauté de Fulda et l’Empire se trouvaient plongés dans les années 830 : les conflits liés aux thèses hérétiques du moine Gottschalk et la guerre civile entre Louis le Pieux et ses fils. À tous les acteurs de cette nouvelle période sombre, l’hagiographe proposait un modèle de bonne gouvernance, fondée sur la concorde, la charité, la sagesse, mais aussi sur la pratique de la correction et la recherche du consensus.