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Appels à contributions
Mallarmé herméneute

Mallarmé herméneute

Publié le par Natalie Maroun (Source : Thierry Roger)

 

 

Comité scientifique : Y. Citton (Université Stendhal-Grenoble 3) ; Ch. Doumet (Université Paris-8) ; P. Durand (Université de Liège) ; J. N. Illouz (Université Paris-8) ; B. Marchal (Université Paris-Sorbonne) 

 

 

Organisateur : Thierry Roger

 

 

La difficulté légendaire de la poésie mallarméenne de la maturité – hermétique – constitue un défi pour l’herméneutique littéraire. Pourtant, et c’est un paradoxe que l’on n’a sans doute pas encore assez souligné, le corpus de l’auteur du Coup de dés n’a pas fait l’objet de grands débats méthodologiques dans le champ de la théorie littéraire. Nous disposons d’un « sur Racine » et non d’un « sur Mallarmé », d’un « mythe de Rimbaud », et non d’un « mythe de Mallarmé » ; quant au structuralisme, il a appliqué ses outils et ses méthodes aux Fleurs du Mal ou aux Chimères par exemple, et non aux Poésies. De même, « l’esthétique de la réception » d’un Jauss ou d’un Iser a donné des exemples de sa démarche en convoquant Baudelaire ou Valéry, Henry James ou Joyce, plutôt que Mallarmé. Certes, l’auteur de Crise de vers, on le sait, a fécondé tout un pan de l’histoire de la théorie du XXe siècle, mais, l’effort théorique ne s’est pas appliqué en retour à son oeuvre pour en déterminer les conditions de lisibilité, alors que cette « poésie critique » constitue un observatoire de choix pour réfléchir sur les opérations constitutives de l’acte de lire. A côté des exégèses de la poésie mallarméenne, il y a eu indéniablement des usages théoriques de la pensée critique mallarméenne, entre Jakobson et Kristeva, Valéry et Blanchot, sans parler des usages philosophiques, de Sartre à Badiou, ou des transformations créatrices, de Brennan à Butor, de Debussy à Boulez, de Redon à Broodthaers. Mais Le Liseur de poèmes, pour démarquer Thibaudet, reste à écrire à l’ombre de Mallarmé, dont l’oeuvre, on le sait, constitue comme une vaste orthoptie de la lecture : « des contemporains ne savent pas lire ». Il s’agirait pour nous aussi d’opérer un changement de point de vue sur l’oeuvre mallarméenne, en rappelant, indépendamment des questions d’influence, que Mallarmé fut le contemporain du Dilthey de « La naissance de l’herméneutique », et que la pensée de Gadamer peut éclairer notre manière de lire le poète, tout autant que celle de Derrida.

Il convient en effet de noter l’absence de ce que nous appellerions une herméneutique mallarméenne, en donnant à ce mot le sens que lui attribuait Paul Ricoeur dans une conférence tenue au Japon en 1978, à savoir celui de « discipline de second degré » qui enquête sur les conditions de possibilité des règles exégétiques. Ce chantier, posant à nouveaux frais la question de « l’obscurité » de cette poésie, présenterait deux aspects. Un premier versant, faisant émerger une herméneutique restreinte, poserait la question suivante : comment Mallarmé a-t-il été lu ? L’enquête porterait sur l’exhumation des principes et des moyens herméneutiques plus ou moins conscients qui ont conduit à "expliquer", "comprendre", "interpréter" la poésie de Mallarmé, longtemps jugée illisible. Un tel programme de recherche, très vaste, en partie seulement engagé, reste à approfondir. Mais c’est plutôt un second versant, ouvert sur une herméneutique élargie, qui fera d’abord l’objet de ce colloque. Nous nous poserons cette autre question, inverse : que nous apprennent théorie et pratique mallarméennes de la lecture ? L’objectif serait alors de revenir sur l’idée fameuse de la lecture entendue comme pratique, de la situer dans la longue durée comme dans le « moment symboliste » d’une l’histoire de l’interprétation, de voir comment cette notion se noue paradoxalement à une poétique de « l’isolement de la parole », ou d’une éventuelle mort du lecteur, et de chercher à décrire quel type de lecteur empirique fut Mallarmé poète, Mallarmé critique, Mallarmé épistolier, ou Mallarmé traducteur. Il conviendrait en outre de compléter ce panorama des rapports croisés entre poétique et herméneutique par cette question : la conception du poète comme « lecteur d’horizon » jette-t-elle les bases d’une herméneutique de la terre, ou de la nature, qui resterait à définir, alors qu’une des images encore dominantes de l’oeuvre, depuis Valéry, met en avant la réflexion du langage ? Enfin, l’élargissement maximal nous conduirait, après Mallarmé, à envisager son héritage sous l’angle non des manières d’écrire, mais des manières de lire la poésie. Ce serait ainsi l’occasion de confronter les positions de l’auteur de Divagations à d’autres approches de « l’acte de lire », en allant de Valéry et Proust à Sartre, Gracq, Butor, Bonnefoy, Jaccottet, Roubaud, Deguy ou Quignard, mais aussi en re-parcourant sous cet angle les travaux des grands théoriciens, de Ingarden et Gadamer à Eco en passant par Iser, Jauss, Michel Charles ou Stanley Fish – ces deux listes n’ont rien d’exhaustif – et de débattre alors de l’existence éventuelle d’une tradition mallarméenne de la lecture littéraire.

Ce sont donc ces différentes pistes de recherche que ce colloque se propose d’explorer, en accueillant des approches variées, mêlant littérature et sciences humaines, de façon à encourager ce « retour à l’herméneutique » auquel nous assistons depuis une dizaine d’années : réflexion collective menée par Vincent Jouve à Reims en 2002 sur « l’expérience de la lecture », ou encore sur le « malentendu » inséparable de tout « geste herméneutique », dirigée par Bruno Clément et Marc Escola à Vincennes en 2003 ; question décisive posée par Christian Doumet en 2004 du « faut-il comprendre la poésie ? » ; traduction française d’une partie des travaux de Stanley Fish en 2007 ; essai de re-formalisation de la lecture opéré par Yves Citton en 2007 dans Lire, interpréter, actualiser, pour ne retenir que certaines initiatives représentatives. 

Les différentes communications à venir pourront ainsi aborder l’une des pistes de recherche suivantes, séparément, ou de manière croisée :

 

Axe 1 : Mallarmé théoricien de la lecture

 

-la théorie mallarméenne de la lecture comme « pratique »

-la situation de cette théorie dans le contexte de la pensée fin-de-siècle 

-la situation de la conception mallarméenne de la lecture dans une histoire large de la lecture et de l’herméneutique

-l’inscription de la figure du lecteur dans le poème

-la thématisation des opérations de lecture par le poème

 

Axe 2 : Mallarmé praticien de la lecture

 

-la question de la « bibliothèque mallarméenne » 

-la critique journalistique : critique littéraire ; critique d’art

-le commentaire épistolaire 

-de la mémoire littéraire à l’histoire littéraire ; de la lecture à l’écriture : la lecture « pour soi » des aînés ou des contemporains (Beckford, Musset, Hugo, Banville, Gautier, Baudelaire, Villiers de l’Isle-Adam, Verlaine, etc.) / pratique des « préfaces », « médaillons », « portraits », « tombeaux » et « hommages »

-la lecture assortie d’une démarche de traduction et / ou d’adaptation (Poe, Whistler, Tennyson, Les Dieux antiques, L’Etoile des fées, Contes indiens)

-Mallarmé premier lecteur de ses textes : relecture et travail de correction ; commentaire

 

 

 

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Les propositions de communication, accompagnées d’un titre et d’une présentation de quelques lignes, doivent être envoyées à Thierry Roger, avant le 1er février 2013, à l’adresse suivante :

 

thierry.roger@univ-rouen.fr