Essai
Nouvelle parution
M. Foucault, Le Courage de la vérité, cours au Collège de France, 1984

M. Foucault, Le Courage de la vérité, cours au Collège de France, 1984

Publié le par Arnauld Welfringer

Michel Foucault, Le Courage de la vérité. Le gouvernement de soi et des autres II. Cours au Collège de France, 1984.

Paris, Éditions de l'École des Hautes Études en Sciences Sociales, Gallimard, Éditions du Seuil, coll. « Hautes Etudes », 2009, 368 p.

  • Isbn 13 (ean) : 9782020658706
  • 27€


Le dernier cours de Michel Foucault en 1984, édité et présenté par Frédéric Gros.

Présentation de l'éditeur :


Le cours intitulé « Le courage de la vérité » est le dernier que Michel Foucault aura prononcé au Collège de France, de février à mars 1984. Il meurt quelques mois plus tard, le 25 juin. Ce contexte invite à entendre dans ces leçons un testament philosophique, d'autant plus que le thème de la mort est très présent, notamment à travers une relecture des dernières paroles de Socrate (« Criton, nous devons un coq à Esculape ! »), que Foucault, avec G. Dumézil, comprend comme l'expression d'une profonde gratitude envers la philosophie, qui guérit de la seule maladie grave : celle des opinions fausses et des préjugés. Ce cours poursuit et radicalise des analyses menées l'année précédente. Il s'agissait alors d'interroger la fonction du « dire-vrai » en politique, afin d'établir, pour la démocratie, un certain nombre de conditions éthiques irréductibles aux règles formelles du consensus : courage et conviction. Avec les cyniques, cette manifestation du vrai ne s'inscrit plus simplement à travers une prise de parole risquée, mais dans l'épaisseur même de l'existence. Foucault propose en effet une étude décapante du cynisme ancien comme philosophie pratique, athlétisme de la vérité, provocation publique, souveraineté ascétique. Le scandale de la vraie vie est alors construit comme s'opposant au platonisme et à son monde transcendant de Formes intelligibles.


« Il n'y a pas d'instauration de la vérité sans une position essentielle de l'altérité. La vérité, ce n'est jamais le même. Il ne peut y avoir de vérité que dans la forme de l'autre monde et de la vie autre. »

*  *  *

Dans Libération du 22/1/9, on pouvait lire un article sur cet ouvrage :

Heurt de vérité

Critique

Philosophie. En 1984, dans son ultime cours au Collège de France,Michel Foucault explorait les risques du «dire-vrai», des Grecs à nosjours.


par ÉRIC AESCHIMANN

Michel Foucault Le Courage de la vérité Le gouvernement de soi et des autres II. Cours au collège de France (1983-1984) Editionétablie sous la direction de François Ewald et Alessandro Fontana, parFrédéric Gros. «Hautes Etudes» Gallimard-Seuil, 351 pp., 27 euros.

Çaconsiste en quoi, une vie de philosophe ? Peut-être en ceci : devant lepublic du Collège de France, suivre une intuition, une force qui voustire, une question qui vous appelle : «Qu'est-ce que dire la vérité ?»Se saisir d'une notion grecque, la parrêsia, qui signifiejustement «le dire vrai», «le franc-parler», et, chaque mercredi matin,pendant trois mois, malgré la maladie, en étudier la signification dansla philosophie antique. Alors que la maladie menace, passer d'un texteà l'autre, se laisser porter par le mouvement même de la recherche,quitte à ce que les cours soient «un petit peu décousus», commeannoncé d'entrée de jeu. Et, de proche en proche, dans cette enquêtephilosophique serrée, en arriver justement au thème de la «vie philosophique». Une question éminemment intime, subjective, à rebours de la caricature réduisant Foucault à la «mort du sujet».

Longtemps, Michel Foucault s'est défini comme historien des idées, comme archéologue des savoirs. De l'Histoire de la folieà celle de la sexualité, sa démarche est une critique méthodique dessavoirs qui se prétendent «discours de vérité» pour masquer qu'ils sontd'abord des discours de pouvoir : le savoir scientifique, le savoirmédical, le droit… A tel point que, dans un essai paru l'annéedernière, Paul Veyne, qui fut son grand ami intellectuel, le présenteen penseur «sceptique» (1). Le moins que l'on puisse dire, c'est que son travail sur la parrêsia,engagé au Collège de France en 1982-83 (2) et dont la suite paraîtaujourd'hui, ne va pas dans ce sens. Foucault y apparaît habité,dévoré, hanté par la question de la vérité, non comme discours, maiscomme acte : dire la vérité.

Noyau vivant. Foucault le rappelle d'emblée : la parrêsia «est d'abord une notion politique». C'est le citoyen grec qui,sur l'agora, n'a pas peur de dire ce qu'il pense ; c'est l'ami qui vousdit ce que vous n'aimez pas entendre ; ou encore le conseiller qui serefuse à flatter le roi, au péril parfois de sa vie. Certes, il existed'autres manières de «dire le vrai», comme la sagesse, la prophétie oul'enseignement. Mais ce qui fait le propre de la parrêsia, c'est le danger qu'elle fait courir. C'est «le courage de la vérité», qu'on retrouvera dans diverses figures (le fou du roi, par exemple), mais qui, en tant que tel, en tant que parrêsia, a disparu. Foucault s'emploie à l'exhumer, à en écouter palpiter le noyau vivant.

Noyau vivant car l'idée de «vie» est le fil rouge de tout le cours. Parce qu'elle est un acte, la parrêsiava provoquer des effets à la fois sur ceux à qui elle s'adresse et surcelui qui la pratique. Elle fâche, oui, mais elle est accès de chacun àsa propre vérité, donc à soi-même. Elle est «souci de soi». Ce que Foucault montre ici, notamment par sa lecture de l'Apologie de Socrate,c'est que le souci de soi et le souci des autres sont l'avers et lerevers d'une même exigence, qui est de conduire chacun à sa proprevérité, à lui-même. Pourquoi Socrate a-t-il dit le vrai aux Athéniens,au point de risquer la mort ? «Pour les inciter à s'occuper, non deleur fortune, non de leur réputation, non de leurs honneurs et de leurscharges, mais d'eux-mêmes, c'est-à-dire : de leur raison, de la véritéet de leur âme. Ils doivent s'occuper d'eux-mêmes. Cette définition estcapitale.»

Malgré l'érudition (Sénèque, Epictète, Dion Chrysostome, lesCyniques…), l'exercice n'a rien de gratuit. C'est de son monde queFoucault parle. A travers les murs du Collège de France, on entend leséchos d'une actualité intense où la vérité est une ligne de clivage :Foucault s'est rapproché du réformisme «deuxième gauche» de la CFDT etentretient des rapports «chien et chat» avec un pouvoir mitterrandisteen train de s'enfermer dans ses ambiguïtés ; il a refusé de se laisserprendre à la polémique sur le «silence des intellectuels»lancée par Max Gallo ; il s'est engagé pour la Pologne prise sous lachape de plomb du général Jaruzelski ; il parle désormais publiquement,et avec véhémence, de son homosexualité… Tout cela travaille en lui, etla restitution du cours à partir des enregistrements permet depercevoir la tension extrême de sa réflexion. Foucault cherche quelquechose, reformule son objet, en énumère inlassablement les traitsconstitutifs, en trois ou quatre points définis avec méticulosité. Lesénoncés sont répétés, amendés, précisés. D'autres voies sont esquissées: «Ce serait un autre objet d'étude de…», «La longue histoire qui serait sans doute à faire de…»

Finalement s'impose le thème de la vie philosophique. Alors, tousles éléments se mettent en place. Car ce que Foucault découvre, àtravers la figure du philosophe «cynique» (et notamment Diogène, vivantdans son tonneau, sale, vitupérant ses contemporains, snobant Alexandrevenu le rencontrer…), c'est que la question du «dire-vrai» conduit à celle de la «vraie vie», c'est-à-dire d'une «vie philosophique».Dans un passage spectaculaire, il montre que la philosophie occidentales'est séparée en deux branches. D'un côté, la philosophie comme simple «connaissance de l'âme» et de «l'autre monde», objets de la métaphysique, qui aboutira au XIXe à la figure du professeur de philosophie payé par l'Etat. Et, de l'autre, la philosophie comme «épreuve de la vie», qu'on va retrouver chez l'ascète, le moine-mendiant, le militant révolutionnaire du XIXe et jusqu'à «ce qu'on peut appeler le gauchisme».

«Samouraï». A cette aune, Spinoza, qui refusa d'enseigner etpréféra tailler des verres de vue, aura été le dernier philosophe semettant à l'épreuve de la vie ; et Leibniz, son contemporain et sonrival, diplomate, administrateur, homme politique, «le premier des philosophes modernes».Voilà pourquoi, peut-être, Foucault, qui était bel et bien professeurde philosophie, fut si longtemps réticent à être présenté commephilosophe. Mais il trouve chez les cyniques cette idée d'une viephilosophique qui lui permet de lever l'objection. Dès lors, lephilosophe devient «missionnaire universel du genre humain», «médecin de tous», mais aussi homme du «scandale de la vérité», «agressif», celui qui va «secouer les gens, les convertir», qui veut «changer le monde» plutôt que de rendre les gens heureux. Et là, comment ne pas y lire l'autoportrait de celui que Paul Veyne décrit comme un «samouraï» ?

«La valeur de la mort de Socrate est au coeur même de la rationalité occidentale», note Foucault. C'est même «en cela que la philosophie se distingue de la science». Le cours s'achève le 28 mars 1984. Il va mourir trois mois plus tard. Dans sa postface, Frédéric Gros parle d'un «testament philosophique».On peut aussi parler d'une ultime méditation, qui proclamerait quephilosophe, oui, il l'est, non pas dans le sens d'un savoir qu'ildétiendrait, mais d'une pratique qu'il s'efforcerait de mettre en oeuvre: un style de vie.

(1) Paul Veyne, Foucault. Sa pensée, sa personne. Albin Michel. Lire Libération du 3 avril 2008.

(2) Le gouvernement de soi et des autres, Cours du Collège de France 1982-1983. Seuil-Gallimard. Lire Libération du 31 janvier 2008.