Essai
Nouvelle parution
M. Darrieussecq, Rapport de police. Accusations de plagiat et autres modes de surveillance de la fiction

M. Darrieussecq, Rapport de police. Accusations de plagiat et autres modes de surveillance de la fiction

Publié le par Marc Escola

Compte rendu publié dans Acta fabula : "Quel genre de flics sommes-nous ?" par Florian Pennanech. 

Rapport de police. Accusations de plagiat et autres modes de surveillance de la fiction
Marie Darrieussecq

Paru le : 05/01/2010
Editeur : POL
ISBN : 978-2-84682-331-9
EAN : 9782846823319
Nb. de pages : 319 pages

Prix éditeur : 19,50€


L'accusation de plagiat est peut-être l'archétype de l'accusation littéraire, une tentative de meurtre symbolique, qui réussit parfois.
Ce Rapport de police étudie les attaques des dénonciateurs ; et aussi, d'Apollinaire à Zola, de Freud à Mandelstam, de Daphné Du Maurier à Paul Celan, les réactions des accusés. La plagiomnie - la calomnie plagiaire - manifeste une surveillance de la fiction, qui passe par la notion de crime, voire de blasphème, et pose la question du sacré en littérature. C'est cette surveillance, qui vaut pour toute écriture non appropriée, dont est retracée ici la longue histoire, de Platon au goulag.

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On peut lire sur le site BibliObs.com un entretien avec l'auteur:

Plagiaires, vos papiers!


Février 1998. Marie Darrieussecq publie son deuxième roman, « Naissance des fantômes ».Elle est déjà célèbre pour s'être rêvée en truie deux ans auparavant.Les journalistes se précipitent sur ce petit bout de Kafka sorti deNormale sup. Huit jours plus tard, ils reçoivent la lettre d'une autrejeune prodige, dont l'oeuvre est plus épaisse et la notoriété plusdiscrète. C'est Marie NDiaye, qui crie à la « singerie » avec une violence qu'on ne lui connaissait pas.

Septembre 2007. Marie Darrieussecq sort « Tom est mort », dans lequel elle imagine la perte de son fils. Camille Laurens y reconnaît « Philippe » (1995), le livre écrit d'une traite pendant son deuil maternel. Egalement publiée chez POL, elle parle de « plagiat psychique ». Darrieussecq aurait-elle pour les livres qu'elle aime une dévotion de moine copiste ? Sa réponse est un gros essai, « Rapport de police ». La calomnie « plagiomniaque », nous dit-elle, est un phénomène vieux comme la littérature. Elle en dévoile les sources.

Le Nouvel Observateur. - Qu'est-ce que la « plagiomnie »  ?

Marie Darrieussecq. - Soyons clair, la contrefaçon existe. Mais ce n'était pas mon sujet. J'appelle «plagiomnie»la dénonciation calomnieuse de plagiat. A l'origine, on trouve un désirfou d'être plagié. C'est tout bénéfice : on s'imagine unereconnaissance qu'on n'a pas forcément, puisqu'on est digne d'êtrecopié. On se pose comme auteur qui compte, comme victime aussi. Et parles temps qui courent, être victime, c'est une assurance de respect,d'attention médiatique. L'exemple le plus marquant est celui de Daphné Du Maurier, l'auteur de « Rebecca ».Deux femmes, sorties de nulle part, disent chacune qu'elles l'ontécrit. Preuves à l'appui. L'une d'elles, une Américaine, croit que deséditeurs ont subtilisé son manuscrit, l'ont fait sortir en fraude desEtats-Unis... Ca lui semblait plus plausible que d'imaginer Du Maurieren train d'écrire un roman. Du Maurier mettra dix ans à gagner sonprocès. Dix ans pour rien.

N. O. - Peut-on parler de propriété en littérature ?

M. Darrieussecq.- C'est très compliqué. La littérature n'est pas un territoire qu'onpeut séparer avec des frontières, des piquets et des douaniers quidemandent : « Poètes, vos papiers ! » Quand on écrit, on estconstamment sous influence. Je suis sous celle de Duras, Joyce,Faulkner, Perec. J'écris parce que j'ai lu, non parce que j'ai ressentides choses dans mes tripes. Je n'aurais pas réussi à penser ma vie sides mots n'étaient pas venus m'éclairer. Je me suis appropriée par lestyle des mots qui, au départ, n'étaient pas les miens.

N. O.-L'étymologie latine de «plagiat» renvoie à l'idée de propriété...

M. Darrieussecq.- Ca a signifié « voleur d'esclave », puis « voleur d'enfant ». On ditsouvent que les Anciens se copiaient les uns les autres, seréinterprétaient sans arrêt. Or l'accusation de plagiat est aussivieille que cette pratique. Il y avait une tolérance, mais quand onvoulait se débarrasser d'un auteur, comme c'est arrivé à Epicure, onutilisait cette arme. La figure du voleur d'enfant, c'est le malabsolu. Le plagiat introduit l'idée de l'écrivain repoussant.

N. O. - Que vient faire la justice là-dedans ?

M. Darrieussecq.- Hors des cas de contrefaçon, elle éprouve une gêne, avec ces affairesde plagiat. Elle est appelée à remarquer ce qui se ressemble. Or çamarche avec presque tous les livres. J'ai pris « Une partie de campagne » de Maupassant et « les Raisins de la colère » de Steinbeck: les similitudes sont incroyables. Le juge laisse de côté lesdissemblances. La jurisprudence est confuse et s'en remet à sonimpression de lecture. Une universitaire parle de « l'invention du lecteur moyen ». Et ça rejoint la mythologie tripière qui veut qu'on lise avec son estomac plutôt qu'avec son cerveau.

N. O. - Et pour vous, cette obsession du plagiat nie la possibilité du roman...

M. Darrieussecq.- C'est un phénomène qui remonte à Platon et sa célèbre haine de lafiction : si on n'a pas vécu ce qu'on écrit, on l'a forcément copié.Pour certains écrivains, notamment d'autofiction, le roman ne seraitqu'un pâle reflet de l'autobiographie, voire un plagiat. Un « plagiat psychique », comme disait Camille Laurens. Ceux-là ne croient pas à l'imagination. C'est la controverse entre Chalamov et Soljénitsyne.Chalamov disait qu'on peut écrire sur le goulag sans y être allé, quec'est même un devoir. Soljénitsyne n'était pas tout à fait d'accord.C'était un débat précurseur : ma génération a la lourde charge deprendre la relève des témoins. Ceux de la Shoah sont en train demourir. Nous sommes dépositaires d'une parole qui ne pourra êtrequ'imaginée, si on accorde au roman la même gravité qu'au témoignage.Au-delà de ce cas limite, Camille Laurens m'a reproché d'oser faireparler à la première personne une femme qui a perdu son enfant, sans enavoir perdu. Mais au moment où Albert Camus écrit « l'Etranger », il n'a pas perdu sa mère. Boulgakovraconte la mort de son frère Kolia alors qu'il est vivant. Pourquoiserait- ce interdit d'écrire ses cauchemars ? Je trouve ça très étrange.

N. O. - Comment expliquez-vous cependant ces accusations répétées contre vous ?

M. Darrieussecq. - Quand Marie NDiaye m'a accusée en 1998, je sortais du succès de « Truismes ».Je la connaissais un peu. A la suite de bisbilles personnelles, quipassaient essentiellement par son mari, elle a été prise d'une jalousieféroce. Et quand on veut tuer un écrivain, on l'accuse de plagiat. Iln'y a pas pire. Camille Laurens me reprochait moins de la plagier qued'avoir écrit ce qu'elle pense inimaginable. Mais en ajoutant le mot « plagiat »,c'est encore plus vendeur. Et très douloureux : dans ce livre, je parlede gens qui se suicident à cause de ce genre d'accusation.Heureusement, j'ai les nerfs solides. Mais on m'a attaquée dans machair.

N. O. - Le cas de Paul Celan est en effet terrible...

M. Darrieussecq. - A l'origine, il y avait son ami Yvan Goll, un poète. Ils travaillaient ensemble, s'échangeaient des idées. Yvan Goll estmort sans jamais se plaindre de rien. C'est sa veuve, Claire, qui aaccusé Celan avec obsession, dans les années 1950 et 1960. Ca a menéCelan en clinique, puis au suicide. Il pensait, je le pense aussi, quec'était une attaque antisémite. Pas forcément de la part de ClaireGoll, mais de certains journalistes, ainsi que du Groupe 47, formé enAllemagne autour de Gunter Grass. La calomnie est une forme de rejet de l'Autre, comme l'antisémitisme. Tsvetaeva disait : « Tous les poètes sont des juifs ». Dans beaucoup des dénonciations de plagiaires que j'ai étudiées - dont celle de Marie NDiaye -,la langue employée puise, souvent à l'insu du dénonciateur, dans unvocabulaire d'extrême droite, dans des images liées aux parasites, à ladigestion. C'est la langue de Léon Bloy ,qui voyait des plagiairespartout.

N. O.-En URSS, l'accusation de plagiat était une véritable stratégie totalitaire...

M. Darrieussecq. - Le plus beau cas est celui de Maïakovski. Gorki etlui se détestaient. Une haine très banale, mais il était possible alorsde se débarrasser physiquement d'un ennemi... Le KGB a monté de toutespièces une accusation de plagiat contre Maïakovski. On est allé trouverun obscur écrivain pour crier un peu partout que leurs livres seressemblaient. Maïakovski avait d'autres ennuis sur le dos, il étaitépuisé. Il s'est suicidé deux ans plus tard. C'est ensuite arrivé à Ossip Mandelstam. Un pauvre mec qui s'appelait Gornsfeld sefigurait qu'il avait été dépossédé. Ca a beaucoup plu à la presse parceque Mandelstam commençait à gêner. Sa lente ostracisation a débuté surle plagiat. On retrouve ici le rejet de l'Autre. La plagiomnie est unepathologie : on veut être le seul écrivain, éliminer les frères etsoeurs, être le préféré du père.

N. O. - Vous-même, ne vous êtes-vous jamais sentie plagiée  ?

M. Darrieussecq.- Après « le Bébé », où je racontais mon expérience de la maternité, ily a eu un effet de mode dans la littérature française. Je ne me suispas crue plagiée, mais je me suis offusquée que d'autres osent écriresur le même sujet après moi. Je me souviens en particulier d'ElietteAbécassis qui avait sorti six mois après un très bon livre, « Unheureux événement ». J'étais prise d'un accès de mégalomanie.

N. O. - Ces accusations vous heurtent-elles encore aujourd'hui  ?

M. Darrieussecq. - Oui. Lors de l'affaire Marie NDiaye, Philippe Sollers m'avait dit  : « Faites très attention. C'est une tentative d'assassinat. »Mes accusatrices savaient très bien où frapper. Surtout Marie NDiaye.Camille Laurens, c'est autre chose, il y avait une part de stratégie.J'avais déjà été accusée, c'était facile de revenir sur ce terrain-là.La calomnie a tendance à s'autonourrir. J'ai découvert que lalittérature est un pays très peu accueillant.

« Rapport de police
Accusations de plagiat et autres modes de surveillance de la fiction »
par Marie Darrieussecq
POL, 368 p., 19,50 euros

Propos recueillis par D.C.