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Nouvelle parution
M.-C. Hoock-Demarle, L'Europe des lettres. Réseaux épistolaires et construction de l'espace européen.

M.-C. Hoock-Demarle, L'Europe des lettres. Réseaux épistolaires et construction de l'espace européen.

Publié le par Marc Escola

Compte rendu publié dans Acta fabula : "« Aujourd'hui, j'écris à la moitié du monde... » (Gottfried W. Rabener)" par Françoise Genevray.

L'Europe des lettres. Réseaux épistolaires et construction de l'espace européen de Marie-Claire Hoock-Demarle

Albin Michel

Publication :28/5/2008

Prix éditeur : 24 euros -

Nombre de pages : 416 pages

ISBN : 9782226179197

Le XVIIIe et le XIXe siècle se disputent le titre de " siècle de l'épistolaire ".

Véritable plaque tournante de la communication, les échanges épistolaires ébauchent, au cours du long XIXe siècle (1789-1914), la mise en réseau de l'espace européen. Quelques grands noms de la culture européenne, de Goethe à Mme de Staël, en passant par Stefan Zweig et Romain Rolland, prennent leur place dans cette histoire, comme autant de bornes dans les réseaux qui couvrent l'Europe post-révolutionnaire, à l'heure de la première mondialisation.

Se fondant sur une documentation considérable, Marie-Claire Hoock-Demarle suit la naissance, l'essor et la crise d'un modèle intégrateur, où l'esprit national se concilie avec l'appartenance à un monde commun, transcendant différences de langues et de religions, conflits politiques et tensions économiques. Elle met en évidence la part de vie que l'écriture de la lettre inventa et préserve jusqu'à nos jours.

Le lecteur découvrira des textes superbes et méconnus ainsi qu'une galerie exceptionnelle de personnages féminins peu ordinaires, car l'Europe des lettres est en bonne partie celle des épistolières, qui jouissent dans l'organisation des correspondances d'une prééminence que la vie politique leur dénie.

Sommaire:

La mise en réseau de l'Europe
L'épistolaire révolutionné
Le pacte interculturel
Les " États généraux de l'opinion européenne "
Une symbiose biblio-épistolaire européenne
L'Europe des épistolières
L'Europe dans la tête
Un cosmopolitisme épistolaire européen


BIOGRAPHIE de Marie-Claire Hoock-Demarle

Marie-Claire Hoock-Demarle, germaniste, professeur émérite à l'Université Paris7-Denis Diderot, a publié divers ouvrages concernant l'histoire des femmes en Allemagne et les échanges culturels à l'échelle européenne.

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On peut lire sur le site nonfiction.fr un article sur cet ouvrage;

"L'Europe à la lettre", par C. Wolff.

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Dans Le Monde des livres, on pouvait lire un article consacré à cet ouvrage:

L'Europe construite lettre à lettre

par Jean-Louis Jeannelle

LE MONDE DES LIVRES | 14.08.08 | 12h59 • Mis à jour le 14.08.08 | 12h59


Dans le genre de lacorrespondance, il y a deux modèles privilégiés : celui de l'échangeépistolaire entre érudits de différentes nationalités (unis par l'usagedu latin), tel qu'Erasme le pratiqua à l'époque de la Renaissance ; ledialogue privé, circonscrit à un cercle d'intimes, mais gagnant enintensité affective ou esthétique ce qu'il perd en densitéintellectuelle. C'est un troisième modèle que Marie-ClaireHoock-Demarle décrit ici dans L'Europe des lettres : celuid'une correspondance pensée non plus comme réserve (d'informations, deconfidences ou de morceaux de bravoures) mais dans la "dynamique de l'échange", dans le déploiement d'un espace-temps complexe.


Ce n'est donc passeulement au développement de la lettre comme genre littéraire ques'attache l'auteur, mais plus largement aux fonctions sociales,culturelles et politiques de ce mode d'échange. Car la correspondancefut le support essentiel d'une vaste mise en réseau du continenteuropéen entre la Révolution et la fin du XIXe siècle. Lientissé entre des constellations d'individus selon une géométrie toujoursvariable, sensible aux progrès techniques, aux aléas historiques et auxaffinités électives, ce vecteur d'échange offre un lieu de rencontremobile et souple, moyen idéal d'appréhension d'une opinion publique quiconstitue le principal objet de cette magistrale étude.

SOCIABILITÉS TRANSFRONTALIÈRES

Qu'ellessoient fermées (reposant sur un échange à deux pôles déterminés) ou, leplus souvent, ouvertes (dessinant une constellation de cerclesconcentriques), les correspondances ici étudiées offrent de merveilleuxtémoignages de sociabilités transfrontalières, l'équivalent de ces "états généraux de l'opinion européenne"dont Stendhal parlait à propos de Coppet. Véritable lieu de mémoired'une première forme d'intelligentsia européenne, Coppet fut unlaboratoire de ces "pactes interculturels" noués à l'époquesous l'effet de l'exil, de l'émigration ou du cosmopolitisme. Mme deStaël, Charles de Villiers, les frères Schlegel et bien d'autres y ontformé une diaspora des esprits capable de défaire symboliquementl'unité géopolitique imposée par Napoléon à la même époque. Certes, lesexemples mobilisés concernent principalement les relations entre laFrance et l'Allemagne, au détriment de l'Angleterre ou de l'Italie parexemple.

Marie-Claire Hoock-Demarle n'en varie pas moins les angles, multipliant ainsi ses objets d'analyse : "Kavalierstour" qu'effectuaient les jeunes aristocrates allemands jusqu'au début du XIXesiècle, "Lettres de Paris" qui témoignent en direct de la Révolutionpour un public étranger avide d'informations, récits de voyaged'écrivains qui adoptent la forme plus familière et plus flexible de lacorrespondance, traductions qui à l'époque comptent parmi les titres degloire des meilleurs auteurs, ou encore images que se font de l'Europeceux qui quittent le Vieux Monde...

Mais le principal apport de cette Europe des lettres concernel'espace de liberté que certaines femmes ont trouvé dans lacorrespondance, à une époque où alternaient facteurs d'émancipation etretours à un ordre social aliénant.

Quels merveilleux portraits croisés, à travers leurs échanges, de Rahel Levin Varnhagen, qui avait fait de sa "mansarde"le lieu d'une sociabilité échappant à l'architecture socialetraditionnelle, et de Pauline Wiesel, hostile à toutes les concessions,contrainte à une longue errance et assumant une liberté de moeurs et depensée avec courage. Dans les lettres de ces deux amies, Marie-ClaireHoock-Demarle discerne la construction d'un "Nous féminin" à la mesure de la mobilité géographique, sociale et intellectuelle que toutes deux incarnent.

Entrele cosmopolitisme humaniste ou le commerce épistolaire des Lumières etl'entrée dans un univers contemporain, où de nouveaux modes decommunication ont peu à peu privé la correspondance des fonctions quilui étaient jusqu'alors imparties, se situe le temps de "l'Europe des lettres".

L'étudede Marie-Claire Hoock-Demarle offre une analyse passionnante de cesdialogues dont la richesse et la valeur tenaient en partie à ladistance géographique parcourue et à la durée écoulée entre l'envoi etla réception - un art qui, même s'il paraît désormais incompatible avecl'ubiquité et l'immédiateté des communications contemporaines, n'a,espérons-le, pas disparu. L'Europe des lettres invite à en étudier les mutations profondes.

L'Europe des lettres. Réseaux épistolaires et construction de l'espace européen de Marie-Claire Hoock-Demarle
Albin Michel, "L'évolution de l'humanité", 488 p., 30 €.

Jean-Louis Jeannelle