Essai
Nouvelle parution
M. Braud, La forme des jours. Pour une poétique du journal personnel

M. Braud, La forme des jours. Pour une poétique du journal personnel

Publié le par Alexandre Gefen (Source : Michel Braud)

Michel Braud, La forme des jours. Pour une poétique du journal personnel

Seuil, collection poétique, 2006

EAN : 9782020818476

26 €

Résumé


Qu'entend-on par journal personnel en ce début de XXIe siècle, à un moment où le genre connaît un développement sans précédent ? Quels sont, du Journal de Stendhal au Mausolée des amants d'Hervé Guibert, les caractères de ces textes, qu'on les appelle journaux intimes, journaux littéraires, journaux de voyage, journaux de guerre... ? Tenter de répondre à cette question, c'est d'abord rencontrer la figure du diariste, source et objet du discours personnel, en retrait du monde et penché sur ses propres profondeurs, développant le discours qu'il ne tient pas devant autrui. C'est ensuite lire les notes quotidiennes comme autant de saisies de l'instant et de jalons du passage du temps, qui font du journal une " espèce d'histoire ", un récit apparemment sans structure, disparate et bigarré. C'est encore poser la question de la destination, ou plus précisément de la figure de lecteur que le texte pose ou présuppose : comment le diariste, qui affirme souvent n'écrire que pour lui-même, prévoit-il, voire met-il en place une lecture extérieure ? C'est enfin s'interroger sur le statut du genre : quelle littérarité le journal peut-il se voir reconnaître, par renversement des valeurs littéraires ? Car, finalement, décrire le journal, c'est se demander ce que peut être une littérature intime. Et c'est se demander ce qu'est la littérature.

Sommaire

  • A FORME SU SUJET
  • Le diariste et son journal
  • " Le carnet d'ivoire "
  • " Entre moi et moi "
  • L'intime

  • LA FORME DE L'EXISTENCE
  • Expérience du temps et écriture
  • Le récit des jours
  • " Un informe journal "

  • LA FORME D'UNE OeUVRE ?
  • Le secret et le public
  • Ecriture de soi, fiction et littérature


Michel Braud est maître de conférences en langue et littérature françaises à l'université de Bordeaux III.

Quelques lignes de présentation de l'auteur :

Longtemps considéré comme un discours ordinaire, parent de l'agenda et du livre de comptes, et comme une écriture à fins personnelles, sans composition, le journal personnel est devenu aujourd'hui, dans les publications de grande diffusion et sur internet, l'une des formes les plus communes de témoignage individuel, quelle que soit l'expérience vécue. Il s'est aussi progressivement imposé dans le domaine littéraire, et notamment dans le domaine littéraire français et francophone, comme un genre. […]

Les dernières décennies ont vu la publication de très nombreux textes, posthumes ou anthumes : ceux qui étaient connus par des fragments (Henri-Frédéric Amiel, Marie Bashkirtseff…) ont fait l'objet ou ont commencé à faire l'objet d'éditions intégrales, et de nouveaux journaux ont été révélés (Jean Cocteau, Hervé Guibert…). Certains auteurs ont publié ou ont continué à publier le leur de leur vivant, de manière régulière ou fragmentaire (Julien Green, Annie Ernaux…) ; d'autres se sont fait connaître davantage par lui que par leurs autres oeuvres (Renaud Camus, Marc-Edouard Nabe) ou, encore, ont tenté de s'imposer comme écrivains en le publiant comme première oeuvre (Charles Juliet, André Blanchard). Depuis l'étude de Béatrice Didier, divers travaux ont par ailleurs été consacrés à l'émergence du genre au tournant des XVIIIe et XIXe siècles, à ses formes littéraires, à un groupe particulier de diaristes (les jeunes filles), ou à divers auteurs du XIXe ou du XXe siècle.

C'est sur cet arrière-plan que je me propose de décrire la forme du journal telle qu'elle s'est constituée en plus de deux siècles, et telle que nous la percevons aujourd'hui. Mon propos est de relire les textes déjà classiques et de lire ceux qui ont été publiés dans le dernier quart de siècle, pour redessiner les contours du genre. Genre en mouvement, assurément, dont je retiendrai essentiellement les caractères permanents, n'évoquant que ponctuellement quelques mutations significatives. Il ne s'agit pas ici d'une histoire du journal (qui reste à écrire) mais d'une présentation des traits qui, par leur relative stabilité, en font un genre. Je prendrai appui, pour cela, sur les apports contemporains de la narratologie, de l'analyse de discours et (plus ponctuellement) de la sociologie de la littérature, sans toutefois m'enfermer dans une terminologie quelconque.

Je considère donc le journal comme un genre susceptible de faire l'objet d'une analyse critique au même titre qu'un autre. On oppose encore parfois à cette approche le fait que le diariste tient ou tiendrait à l'origine son journal intime pour lui-même, pour se soulager, réfléchir ou se souvenir, et sans intention de le publier. De ce fait, le lecteur y aurait accès par effraction, comme par dessus son épaule, et toute étude se trouverait subordonnée au point de vue de l'auteur. Le rôle de la critique serait de reconstituer l'intention du diariste, de définir les fonctions que le journal a eues pour lui. Si cette perspective éclaire le sentiment individuel qui est à l'origine de l'écriture et la place que celle-ci tient dans l'existence de son auteur, elle restreint en proportion l'angle d'analyse du texte. En se plaçant au point où écrit le diariste, le critique ne peut questionner le mode de communication mis en place pour susciter cette projection du lecteur. Or il me semble que si l'intention du diariste doit bien évidemment être prise en compte, elle ne doit l'être que comme un élément de la signification d'ensemble du journal. Elle est l'une des dimensions, importante à plus d'un titre il est vrai, de l'expérience personnelle qui se trouve décrite dans le texte et que j'étudierai comme telle.