Essai
Nouvelle parution
M. Bataillon, Les Jésuites dans l'Espagne du XVIe siècle.

M. Bataillon, Les Jésuites dans l'Espagne du XVIe siècle.

Publié le par Marc Escola

Les Jésuites dans l'Espagne du XVIe siècle
Marcel Bataillon

Pierre-Antoine Fabre (Annotateur) , Gilles Bataillon (Préfacier)

Paru le : 08/01/2009
Editeur : Belles Lettres
Collection : Histoire
ISBN : 978-2-251-38096-4
EAN : 9782251380964
Nb. de pages : 352 pages

Prix éditeur : 35,00€


1946.
L'Europe émerge de la seconde guerre mondiale. L'Espagne s'est enfoncée dans la dictature catholique du Général Franco. Marcel Bataillon, consacre cette année-là son cours du Collège de France aux premiers jésuites d'Espagne. Inédit jusqu'à ce jour, le manuscrit de ce cours est un météore. Ancré dans l'histoire sociale, politique, culturelle et spirituelle des marges du royaume de Castille, mais tout autant attaché à des aventures individuelles, il mobilise toutes les ressources d'un grand historien et devance de plusieurs décennies les recherches actuelles sur la première réforme catholique dans la péninsule ibérique, en soulignant par exemple l'ouverture, exceptionnelle et brève, de la jeune Compagnie de Jésus aux juifs convertis.

Marcel Bataillon est un homme libre. Contre l'anticléricalisme de l'hispanisme français de l'immédiat après-guerre, irrigué par l'exil républicain, il fait surgir une communauté de prêtres-moines peu orthodoxes, et cependant bien catholiques. Contre la forteresse de l'historiographie catholique du Siècle d'Or, il lance cette même petite troupe. Contre les certitudes des uns et des autres, il questionne, il interroge.

À l'heure de la reconstruction d'un continent ravagé par lui-même, il met en avant l'urgence d'une attention toute particulière à ces jésuites du XVIe siècle confrontés comme leurs contemporains à un double traumatisme : le grand schisme de la Réforme et la révélation d'un Nouveau Monde.

Sommaire:

Les " Apôtres " d'Alcala
Les Iniguistes et le monachisme
L'entrée de la Compagnie en Espagne éclairée par les vocations de Torres et Nadal
La question des nouveaux chrétiens, un embarras et une force

L'auteur:

Marcel Bataillon (1895-1977) occupa la chaire de Langues et littératures de la péninsule Ibérique et de l'Amérique latine au Collège de France.
Son oeuvre, notamment sa thèse, Erasme et l'Espagne, recherches sur l'histoire spirituelle du XVIe siècle est reconnue comme un sommet dans l'histoire de l'hispanisme et reste aujourd'hui une référence indépassable. Gilles Bataillon, directeur d'études au Centre d'études mexicaines et centraméricaines est le petit-fils de Marcel Bataillon. Pierre Antoine Fabre est directeur d'études à l'EHESS et directeur du Centre d'Anthropologie Religieuse Européenne.

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Dans le Monde des livres du 30/1/9, on pouvait lire un article sur cet ouvrage:

Critique "Les Jésuites dans l'Espagne du XVIe siècle", de Marcel Bataillon : les jésuites, leçon magistrale LE MONDE DES LIVRES | 30.01.09

Dansl'Europe de l'immédiate après-guerre, quelques intellectuelss'efforcent de tirer les leçons de la faillite humaniste que représentele second conflit mondial. Au côté de l'historien Lucien Febvre, quiinterroge l'incroyance au temps de Rabelais et relit Marguerite deNavarre pour établir le départ entre amour sacré et amour profane,l'hispaniste Marcel Bataillon (1895-1977) réaffirme alors les exigenceséthique, politique et scientifique requises pour conjurer le mal ; iluse de l'histoire religieuse afin d'explorer les lignes de fracture duVieux Continent. Et ce dès le cours inaugural de sa chaire de langueset littératures de la péninsule ibérique et de l'Amérique latine, auCollège de France, en 1945.

35326534393030383437353938663730?&_RM_EMPTY_ Jusque-là inédit, le livre, qui est issu de ces cours, et qui paraît aujourd'hui sous le titre Les Jésuites dans l'Espagne du XVIe siècle,atteste autant de la personnalité du savant que d'un contre-piedhistoriographique spectaculaire. Certes, l'ouvrage s'inscrit dans ledroit fil d'Erasme et l'Espagne, la thèse soutenue par Bataillondès 1937. Tenue par nombre d'historiens pour un chef-d'oeuvre, cetterecherche sur la matrice intellectuelle du Siècle d'or bouleversait lesperspectives : en effet, observer un espace strictement ibérique, dontl'horizon est cependant ce monde dilaté par les récentes conquêtesextra-européennes, relève alors de l'audace historiographique. Bientôt,les travaux de Bataillon sur la première évangélisation américaine engénéral, et Bartolomeo de Las Casas en particulier, imposent lechercheur comme spécialiste de ces "nouveaux mondes", capable d'établir une passerelle entre deux champs de réflexion rarement mis en dialogue.

Avec Les Jésuites dans l'Espagne du XVIe siècle,Bataillon frappe plus fort encore : il ouvre une brèche dansl'historiographie de la Contre-Réforme, en montrant comment, pendanttoute la seconde moitié du XVIe siècle, la Compagnie deJésus, fondée en 1540, sut maintenir un réel écart avec la ligneinstitutionnelle de l'Eglise catholique. Vantant à propos d'Ignace deLoyola, fondateur de l'ordre, "quelques-unes des énergies les plus pures et les plus désintéressées du mouvement diffus de rénovation religieuse",Bataillon empiète sur le terrain confisqué par l'histoireecclésiastique. Mieux, il rectifie la vulgate bien pensante du temps : "Si nous voulons situer correctement la Compagnie naissante dans le mouvement religieux contemporain, nous devons oser la rapprocher d'un mouvement que l'Inquisition a qualifié d'illuminé ou luthérien : l'érasmisme espagnol."

Onimagine la bombe. Tant pour les gardiens de l'historiographiecatholique, puisque Bataillon établit l'ouverture première du nouvelordre aux juifs convertis, que pour des hispanistes français volontiersanticléricaux et furieux de cet éloge de Loyola. Brouillant moins lespistes qu'il ne les met au jour, le savant pense en homme libre, enmilitant et en pédagogue hors pair.

Ce cours enfin exhumé permetégalement de restituer la vraie stature de l'homme. Fils du biologisteEugène Bataillon, pionnier de la parthénogenèse expérimentale, MarcelBataillon est un ardent champion de l'humanisme classique. Le jeunenormalien, dont la scolarité est interrompue par la guerre dès 1915,alors même qu'il découvre l'Espagne dont il ignore tout, jusqu'à lalangue, profite de ce séjour pour aider à établir des comités depropagande et des réseaux locaux favorables aux Alliés. Sous-lieutenantd'artillerie, il rapporte du front, où il perd son frère cadet, lacroix de guerre, le souvenir de l'horreur et un pacifisme viscéral. Etsi, adhérent à la SFIO et membre du Comité de vigilance desintellectuels antifascistes, il mésestime la gravité de laremilitarisation de la Rhénanie par Hitler en mars 1936, Bataillon,s'engage alors sous la bannière du Front populaire avec une énergiequasi guerrière, et vise la députation à Alger. Cette résistance àl'extrémisme de droite - il est naturellement antifranquiste - lui vautsept semaines d'internement au camp de Royallieu, présumé communiste àl'heure où les nazis entrent en guerre contre l'URSS (juin 1941).

MaisBataillon est aussi un formidable professeur. Et si l'on n'entend plusici sa voix lente et posée, adéquation d'une pensée subtile et d'uneparole impeccable, on reste fasciné en parcourant ces lignes par salogique claire et sa puissance de conviction. Six décennies plus tard,la postérité de Bataillon est immense. Seule la figure du maîtrenovateur s'est effacée. La restaurer aujourd'hui dans sa grandeur estd'une justice élémentaire.

LES JÉSUITES DANS L'ESPAGNE DU XVIE SIÈCLEde Marcel Bataillon. Edition établie, annotée et présentée parPierre-Antoine Fabre, préface de Gilles Bataillon. Les Belles Lettres,"Histoire", 360 p., 35 €.
Philippe-Jean CatinchiArticle paru dans l'édition du 31.01.09

Voir le compte rendu d'André Burguière sur Bibliobs