Questions de société
LRU : 3000 signatures pour recruter 3 universitaires (blog Sciences² 25/06/09)

LRU : 3000 signatures pour recruter 3 universitaires (blog Sciences² 25/06/09)

Publié le par Bérenger Boulay

Sur le blog de S. Huet:

LRU : 3000 signatures pour recruter 3 universitaires - 25/06/09

http://sciences.blogs.liberation.fr/home/2009/06/lru-3000-signatures-pour-recruter-3-universitaires.html

A bon motif, mauvaise solution. C'est ce qui ressort de l'exemple derecrutement d'universitaires selon les  modalités LRU relaté cidessous. Il concerne l'université de Paris-Ouest P-10 Nanterre) et lerecrutement de trois universitaires en économie.

D'après l'auteur de ce texte, Eve CaroliProfesseur d'Economie à l'Université Paris Ouest,Membre de l'Institut Universitaire de Franceet qui parle d'expérience puisqu'elle est (ex-)Présidente de comité de sélection, respecter la loi signifie se plier à une inflation bureaucratique absurde sans aucun effet positif sur la qualité des procédures de recrutement.

Voici ce texte.

Les recrutements à l'université à l'heure de la loi LRU :Incompétence bureaucratique ou intention de nuire ?

La loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU), adoptée par le parlementen août 2007 a, outre des mesures relatives à l'autonomie des universités, introduit denouvelles règles concernant le recrutement des enseignants-chercheurs. Elle a en particuliermis en place des comités de sélection chargés de ces recrutements qui ont vu le jour, à grandeéchelle, pour la première fois au printemps 2009. La conception et les règles régissant letravail de ces comités s'annonçaient déraisonnables : elles se sont révélées absurdes etdélétères pour le service public.

La règle ministérielle impose, tout d'abord, une parité stricte entre membres de l'université quirecrute et universitaires extérieurs à cette université au sein de ces comités, tout en excluantl'existence de suppléants. Concrètement, cela impose de constituer le comité, non en fonctiondes spécialités ou compétences des membres pressentis, mais essentiellement en fonction deleur agenda. En effet, il est indispensable qu'au moment de la constitution du comité, sonprésident ait l'assurance que tous les membres pressentis pourront être présents au jour et àl'heure prévus pour la réunion. En l'absence de suppléants, tout membre extérieur absentoblige en effet un interne à se retirer du fait de l'exigence de parité. Même une fois prises detelles précautions, les mauvaises surprises ne sont pas à exclure, les collègues extérieurs étantsusceptibles d'être empêchés au dernier moment. Cela peut bien évidemment être interprétécomme un signe d'indélicatesse de leur part, voire comme la preuve du manqued'investissement des universitaires dans leur travail, mais l'expérience a prouvé que même lesministres de la République ne sont pas à l'abri d'un accouchement…

Une remarque supplémentaire s'impose quant à la constitution des comités de sélection. A-tonjamais vu une université américaine, anglaise, japonaise, européenne ou autre, une seuleentreprise du secteur privé ou public confier le recrutement de ses cadres à un comitécomposé pour moitié d'extérieurs ? Il est fort louable de souhaiter accroître l'efficacité desprocessus de recrutement au sein des universités. Il est regrettable de chercher à le faire enimposant des règles stupides. Les universités de tous les pays, et au sein de ces universités lesdépartements, revendiquent une politique scientifique. Celle-ci consiste en des choixraisonnés concernant les disciplines et, au-delà, les thématiques à privilégier en fonction de laposition de l'université dans le paysage académique régional, national, voire européen. Lesrecrutements d'enseignants-chercheurs sont l'un des outils de cette politique, et non lemoindre. Au nom de quelle rationalité, ces recrutements devraient-il être décidés par descollègues d'autres universités qui, pour bien intentionnés qu'ils soient, peuvent, au mieuxprendre acte des besoins et des choix faits localement ? Si l'objectif est d'accroître l'efficacitédu système de recrutement dans les universités, ce qui est encore une fois louable, mieuxvaudrait juger des recrutements en question, et au-delà, de la politique scientifique desuniversités, aux résultats qu'ils produisent en termes d'enseignement et de recherchequ'imposer des règles qui feraient bondir tout responsable public ou privé, en France comme àl'étranger.

Enfin, les règles de fonctionnement des comités de sélection ont donné lieu à une explosionbureaucratique qui semblait, il y a quelques années encore, inimaginable. Il est en effetdemandé à chaque comité de sélection de fournir pour chaque candidat sur chaque poste deuxrapports portant sur le contenu du dossier ainsi qu'un avis motivé précisant les raisons pourlesquelles le comité a retenu ou non le candidat. Autant il paraît indispensable de faireeffectuer des rapports sur les dossiers soumis par les candidats (ce qui était d'ailleurs le casdans l'ancien système), autant l'obligation d'avis motivé pour tous les candidats (y comprisnon retenus) sur tous les postes constitue une inflation bureaucratique sans précédent. Prenonsun exemple simple où trois postes de maîtres de conférence sont à pourvoir. Dans denombreuses disciplines, les candidats se comptent par dizaines, voire plus, et postulent surtous les postes ouverts au recrutement. Si l'on se trouve (comme cela s'est produit cette annéeen Economie à l'Université Paris Ouest) avec 100 candidats, quasiment tous candidats surtrois postes, il faut donc fournir 300 avis motivés (sans compter les traditionnels deux rapportspar candidats). Chacun de ces avis doit être signé par l'ensemble des membres du comité desélection (de 8 à 16 personnes en général). On comprend tout de suite qu'il faut envisager, aubas mot, un total de 3000 signatures… Pourquoi ? Dieu seul le sait : simple logiquebureaucratique, incompétence ministérielle ou volonté de nuire ? On est en droit de se poser laquestion.

On comprendra donc qu'au sortir d'un mois et demi de recrutement, les universitaires françaissoient exsangues. Dans la mesure où tous les comités de sélection doivent comprendre unemoitié d'extérieurs, nous sommes extrêmement nombreux à être internes chez nous et externesdans deux ou trois autres universités. Le coût en termes d'organisation et de fonctionnementest donc colossal pour les finances publiques. Coût en termes de transport, bien sûr, maissurtout coût en temps. Organisation des comités, réunions, compte-rendu, signatures et toutcela, en l'absence bien sûr de tout soutien administratif, faute de moyens.

A l'arrivée, la question qui se pose est : la loi LRU a-t-elle accrû, comme elle prétendait lefaire, l'efficacité des recrutements à l'université ? On peut en douter. Mais une chose est sûre,en monopolisant les enseignants-chercheurs à temps plein pendant plus d'un mois, elle a faitexploser leur coût pour les finances publiques et n'a certainement pas amélioré la position dela France dans le classement de Shangaï…

 Eve CaroliProfesseur d'Economie à l'Université Paris OuestMembre de l'Institut Universitaire de France(ex-)Présidente de comité de sélection