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Louise Colet ou l'éclectisme littéraire. Une écrivaine parmi des hommes

Louise Colet ou l'éclectisme littéraire. Une écrivaine parmi des hommes

Publié le par Université de Lausanne (Source : Thierry Poyet)

Minores 19/20

Lettres modernes Minard,

volume 2

 

Louise Colet ou l’éclectisme littéraire. une écrivaine parmi des hommes

Si Louise Colet trouve encore une place dans la postérité littéraire, ce n’est plus qu’en tant que maîtresse de Flaubert, destinataire d’une pléiade de lettres dans lesquelles celui-ci établit sa poétique en prenant l’écrivaine pour témoin de sa réflexion esthétique

Pourtant, Louise Colet produit et publie une œuvre importante, largement remarquée en son temps. Elle a d’abord écrit de la poésie. Ses recueils sont nombreux, on citera entre autres Fleurs du midi (1836), Penserosa (1839), Les Cœurs brisés (1843) mais aussi ses quatre grands textes poétiques qui lui valent à quatre reprises d’être distinguée du Prix de l’Académie Française : Le Musée de Versailles (1839), Le Monument de Molière (1843), La Colonie de Mettray (1852) et L’Acropole d’Athènes (1854). Elle écrit aussi des romans, par exemple Une Histoire de soldat (1856), Un drame rue de Rivoli (1857) ou Lui (1858), un peu plus tard Les derniers marquis (1866) et encore des récits de voyage comme Deux mois aux Pyrénées (1866) ou Les Pays lumineux (posthume, 1879). En outre, son œuvre se complète de textes biographiques (parfois sous la forme de comédie) et on relève, par exemple : La Jeunesse de Goethe (1839), Les Funérailles de Napoléon (1840) ou la Jeunesse de Mirabeau (1840), ses Enfances célèbres (1856). À cet ensemble déjà conséquent, il faut ajouter des enquêtes mi-sociologiques, mi-historiques, par exemple L’Italie des Italiens (1862). Enfin, Louise Colet publie de nombreux articles dans la presse, elle qui a rêvé de diriger sa propre revue et tenu longtemps un salon littéraire où accueillir les gloires de son temps. Sans conteste, Louise Colet est une figure incontournable du monde littéraire au milieu du XIXe siècle. Nonobstant, bien des reproches lui sont adressés et son œuvre, souvent mal appréciée par ses confrères, quoiqu’elle rencontrât un certain public, et toute complète et variée qu’elle pût paraître, lui a valu souvent l’étiquette d’une mauvaise polygraphe qui toucherait à tous les sujets en utilisant sans cesse les mêmes machines. Louise Colet compte donc parmi les nombreux minores du siècle.

Pour cette deuxième livraison de la série thématique « Minores 19/20 » que nous consacrerons à Louise Colet, plusieurs axes d’étude sont à envisager :

1°. L’éclectisme de l’œuvre de Louise Colet, comme pour celle de Maxime Du Camp, est à considérer. Sa variété générique pose Louise Colet en polygraphe en même temps qu’elle révèle une virtuosité souvent négligée. Comment se renouveler en changeant de genre littéraire et ne pas donner l’impression d’une éternelle redite qui balayerait les spécificités de la poésie, du théâtre, du roman ou du théâtre ? Tel est le défi auquel se confronte la femme de lettres. D’autant que Louise Colet écrit beaucoup et peut-être vite : c’est l’un des reproches récurrents qu’elle doit affronter. La question est posée : sa rapidité d’exécution de ses œuvres témoigne-t-elle d’un talent particulier, d’une maîtrise spécifique ou simplement d’un besoin de s’exprimer inépuisable ? Et faut-il lire dans les textes successifs publiés une malheureuse incapacité à épuiser son sujet, qui induirait sans cesse un retour aux mêmes obsessions thématiques, la défense de la femme, les topos romantiques, etc. ? La relation au monde posée par l’œuvre de Louise Colet, en ce sens, est à observer : dans un ensemble volontiers moqué pour son « égotisme », le moi coletien toujours présent dit-il autre chose qu’un égocentrisme volontiers reprochée à la gente féminine en général ? Simple écriture cathartique (se protéger, se défendre de l’Autre…) ou réelle promotion d’une littérature de combat qui voudrait donner à la femme une reconnaissance qui lui manque ? S’il s’agit de régler des comptes personnels, la littérature de Louise Colet relève-t-elle encore de l’art ? Quand il s’agit de trouver un gagne-pain dans la publication d’un texte, vite écrit parce qu’il faut bien manger, Louise Colet prétend-elle encore au rang d’Artiste ?

2°. Une approche comparatiste sera également la bienvenue pour mieux appréhender l’œuvre de Louise Colet et la resituer dans une filiation littéraire significative. Exacte contemporaine de George Sand qui a pu lui être un modèle, Louise Colet a voulu s’inscrire dans la voie tracée par la bonne dame de Nohant. Qu’est-ce qui les différencie alors que l’une et l’autre semblent proposer pareillement une œuvre engagée – notamment féministe – en même temps qu’on leur reproche – critique misogyne ? – une écriture trop prolifique, donc inefficace et mal venue ? Louise Colet a voulu, en tenant un salon littéraire, s’inscrire encore dans la lignée d’autres femmes célèbres, dont Juliette Récamier qu’elle a fréquentée. Qu’est-ce donc qu’être une femme de lettres au milieu du XIXe siècle ? Être un écrivain à part entière ou un faire-valoir des écrivains reconnus ? Et puis Louise Colet est restée dans l’histoire littéraire comme la maîtresse de nombreux confrères : sa difficulté à trouver sa place dans le monde littéraire traduit-il là le sexisme d’un siècle phallocrate ? Par ailleurs, Louise Colet s’est beaucoup intéressée au XVIIIe siècle : on pourra se demander de qui elle se veut l’héritière, du point de vue de la pensée (philosophique) comme de l’écriture. Semblablement, elle s’est beaucoup préoccupée de l’évolution de la société, des révolutions en marche (en Italie avec Garibaldi, avec la Commune en France…), de l’évolution des mœurs, du progrès technique (elle a couvert l’ouverture du canal de Suez pour un journal…) : quelle serait donc la modernité de Louise Colet pour ses contemporains et pour nous, aujourd’hui ? Quelle postérité pour une œuvre qui, parfois, se fait aussi moralisatrice et qui pourrait paraître démodée parce que trop bien inscrite dans son temps ? Il convient de s’interroger sur les influences subies, sur les conseils reçus – en distinguant ceux qui seront suivis des autres – et sur les connivences avec ses contemporain(e)s.

3°. Par ailleurs, l’œuvre de Louise Colet semble lue selon une série de codifications multiples : la codification du féminin (une « écriture féminine » avec ses limites selon la lecture masculine de confrères intransigeants et peut-être sexistes), la codification de l’histoire littéraire en marche (une œuvre profondément romantique au moment même où la littérature évolue vers l’autonomisation et l’Art pour l’Art), la codification de la valeur littéraire (une littérature de minores quand se développe face à elle quelques œuvres qui fixent à jamais des majores, de Hugo à Flaubert)… Le XIXe siècle littéraire dans lequel s’ébat Louise Colet ne cesse plus de fixer des limites, des règles et des valeurs alors même que l’œuvre de cette écrivaine tâche de brouiller toutes les frontières, les héritages et, peut-être même, les prolongements possibles. L’œuvre de Louise Colet serait-elle une œuvre qui dit un absolu, celui de la liberté de création ?

4°. Une réflexion selon les outils de la sociologie littéraire serait aussi à convoquer. Louise Colet semble multiplier les postures, vouloir reconfigurer l’espace littéraire de son temps sans y parvenir pour de bon et en même temps elle donne à voir des cénacles multiples, elle illustre les relations de puissance entre écrivains installés et débutants (sa relation aux maîtres que sont Musset, Vigny ou Hugo est à interroger tout comme il faut s’interroger sur sa capacité à lancer Bouilhet, Leconte de Lisle ou à faire naître la pensée théorique de Flaubert…). Bien entendu, Louise Colet permet de réfléchir encore à la notion si pratique pour les critiques masculins (Barbey d’Aurevilly en tête) de bas-bleuisme : qu’est-ce qu’une femme en littérature au XIXe siècle ? Et comment devient-on écrivain alors ?

5°. On pourra encore aborder la dimension politique de l’œuvre de Louise Colet. Réflexion sur une société en devenir (place de la femme, respect des enfants, souci des minorités…), sur l’exercice politique au sens politicien (ses points de vue sur Napoléon III, les Communards, Garibaldi…), sur les questions sociales (la misère, la colonie de Mettray…), sur le savoir, les lieux de savoir et la culture en général (les grands hommes par exemple Molière, les lieux de culture par exemple Versailles…), l’œuvre de Louise Colet représente le XIXe siècle, l’interroge, le met en cause, et peut-être l’aide à avancer. Quel est le pouvoir de l’écrivain ? Quel est celui de Louise Colet ? En quoi son œuvre est-elle profondément républicaine si l’on considère encore qu’elle reconfigure le monde littéraire (en promouvant la liberté de l’artiste, l’égalité entre les artistes et une fraternité nécessaire) face à un conservatisme partisan de hiérarchiser les écrivains, de promouvoir des valeurs qui marginalisent celui qui est dissemblable et qui pose sans cesse des frontières entre les œuvres ?

Tels sont quelques-uns des aspects utiles à envisager au moment de réfléchir sur l’œuvre de Louise Colet et de la recontextualiser, au moment de concevoir Louise Colet en tant que l’une des principales minores du XIXe siècle.

 

Éléments bibliographiques

Camille Aubaude, Lire les femmes de lettres, Paris, Dunod, 1993.

Émile Auriant, L’envers d’une muse ? Paris, Œuvres nouvelles libres, 1938.

Jules Barbey d’Aurevilly, Les bas-Bleus, Paris, 1878.

Roger Bellet (dir.), Femmes de lettres au XIXe siècle : autour de Louise Colet, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1986.

Micheline Bood et Serge Grand, L’Indomptable Louise Colet, Paris, Pierre Horay, 1986.

Jean-Paul Clébert, Louise Colet ou la Muse, Paris, Presses de la Renaissance, 1986.

Hélène Frejlich, Les amants de Mantes, Paris, Sfelt, 1936.

Gérard-Gailly, Les Véhémences de Madame Colet, Paris, Mercure de France, 1934.

Liliane Giraudon, La Poétesse, Paris, POL, 2009.

Joseph Jackson, Louise Colet et ses amis littéraires, New Haven, Yale University Press, 1937.

Andrea Del Lungo et Brigitte Louichon (dir.), La Littérature en bas-bleus, 3 tomes, Paris, Garnier, 2010, 2013 et 2017.

Francine Du Plessix Gray, Mon cher volcan ou la vie passionnée de Louise Colet, Paris, Lattès, 1994.

Patricia Godi-Tchatchouk (dir), Voi(es)x de l’autre. Poètes femmes XIXe-XXIe siècles, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise-Pascal, 2010.

Vicki Mistacco, Les Femmes et la tradition littéraire, New Haven, Yale University Press, 2007.

Christine Planté, La Petite sœur de Balzac. Essai sur la femme auteur, Paris, Le Seuil, 1989.

Christine Planté, « La Place des femmes dans l’histoire littéraire : annexe ou point de départ d’une relecture critique ? », Revue d’Histoire Littéraire de la France, n°3, 2003.

Christine Planté (dir.), Masculin/Féminin dans la poésie et les poétiques du XIXe siècle, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 2002.

Christine Planté (éd), femmes poètes du XIXe siècle. Une anthologie, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 2010.

Martine Reid, Des Femmes en littérature, Paris, Belin, 2010.

Martine Reid (dir), Les femmes dans la critique et l’histoire littéraire, Paris, Champion, 2011.

François Rétif (dir), Le masculin dans les œuvres d’écrivaines françaises, Paris, Garnier, 2016.

Sylvie Triaire, Christine Planté et Alain Vaillant (dir.), Féminin-Masculin. Écritures et représentations, Montpellier, Presses universitaires de la Méditerranée, 2003.

 

Pour une publication en 2020 du volume 2 de la Série thématique « Minores 19/20 », Lettres Modernes Minard, les contributeurs sont invités à adresser à

Thierry Poyet, Université Clermont Auvergne

Mail : Thierry.poyet@uca.fr

  • avant le 31 juillet 2018 : une proposition de contribution (résumé d’une page maximum avec éléments biobibliographiques) ; et si accord :
  • avant le 31 janvier 2019 : la contribution définitive.