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Littérature, n° 190 :

Littérature, n° 190 : "Recours à l'imagination"

Publié le par Marc Escola

Littérature 2018/2 (N° 190)

Recours à l'imagination

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Résumés :

Laurent Demanze

L’imaginaire encyclopédique. Sur quelques usages contemporains de l’imagination

Si la littérature contemporaine subit un reflux de l’imagination analysé par Claude-Pierre Pérez, elle n’en invente pas moins des stratégies renouvelées d’invention. Ce renouvellement a lieu notamment en sollicitant paradoxa- lement la puissance de suscitation des sciences et plus particulièrement de l’imaginaire encyclopédique. Faire du savoir attesté un nouveau lieu de l’imagination, mobiliser les dispositifs formels de l’encyclopédie ou reven- diquer la force d’une analogie imaginative, telles sont les voies adoptées par des écrivains aussi divers que Pierre Senges, Gérard Macé ou Emmanuelle Pireyre.

The encyclopedic imaginary

If contemporary literature is submitted to a backward surge of the imag- ination, as analyzed by Claude-Pierre Pérez, it nevertheless displays new inventive strategies. This renewal takes place notably when, paradoxically, the suggestive power of sciences and more particularly of the encyclopedic imaginary is requested. Making attested knowledge a new locus of the imag- ination, mobilizing the formal devices of the encyclopedia or claiming the power of imaginative analogy, are the ways adopted by writers as diverse as Pierre Senges, Gérard Macé or Emmanuelle Pireyre.

Maxime Decout

Le roman policier : une machine à imagination

La fiction contemporaine a trouvé dans le roman policier une manière singulière de repenser son rapport à l’imagination et à la vraisemblance. Après Borges, Robbe-Grillet, Butor et Perec, des écrivains comme Roubaud, Vila-Matas, Echenoz, Modiano, Paul Auster et bien d’autres encore ont renouvelé les formes et les enjeux de ce genre. La banalisation de l’univers du polar et la raréfaction de l’aventure y fonctionnent comme les catalyseurs de nouveaux imaginaires, à la lisière de l’étrange, de l’absurde et de la fantaisie. Dans le même temps, c’est l’artificialité du roman policier qui est sans cesse exhibée jusqu’à opérer une véritable textualisation de l’enquête qui interroge tant l’herméneutique des détectives que celle du lecteur.

The detective story: an imagining machine

Contemporary fiction has found in the detective story a new, specific manner to think its relationship to the imagination and verisimilitude. After Borges, Robbe-Grillet, Butor and Perec, writers like Roubaud, Vila-Matas, Echenoz, Modiano, Paul Auster and many more have renewed the forms and issues of the genre. The trivialization of the universe of the detective novel and the rarefaction of adventure then work as catalysts for new imaginaries, on the brink of the strange, the absurd and the fantasy. At the same time, the artificial character of the detective novel is relentlessly exhibited up to fabricate a genuine textualization of the inquiry which interrogates the detectives’ hermeneutics as well as the readers’.

Jean-François Louette

« Érostrate » de Sartre, ou comment infecter le langage des justes

Dans la nouvelle « Érostrate » (Le Mur, 1939), Sartre explore plusieurs mo- dalités de l’action-par-un-texte : l’influence, l’explosion, l’infection. Pour souiller la langue des « Justes », les bien-pensants, les honnêtes gens, il constitue son texte en « objet-piège » (Saint Genet). Pièges énonciatifs : ir- réalisme de la situation d’énonciation, brutalité d’un « paquet » expédié au lecteur. Pièges de l’allusion : mimer les tours de langage dont la psychana- lyse de Freud est friande, notamment le lapsus, pour provoquer à la fois, dans le lectorat de La NRF, les nationalistes, les rationalistes, et les caudataires du surréalisme. Multipliant les jeux de mots piégés, Sartre met en œuvre un viol imaginaire de la langue commune par l’argot, ou inversement, en une ver- tigineuse oscillation entre sens propre et sens figuré. Reste la proximité du nom du héros de la nouvelle, qui ne s’avoue pas ses penchants homosexuels, Paul Hilbert, avec celui de François-Paul Alibert, l’un des compagnons de Gide – l’une des cibles privilégiées de Sartre ?

Sartre’s “Erostrate” or, How to infect the language of the righteous

In the short story « Erostrate » (The Wall, 1939) Sartre explores some modalities of performing action by way of a text: influence, explosion, infection. In order to sully the language of the « Righteous », the right- thinking people, the decent people, he builds his text as a « trap-object » (Saint Genet). Enunciative traps: unrealism of the enunciative situation, brutality of a « parcel » shipped to the reader. Allusive traps: imitating the turns of phrase Freudian psychoanalysis is fond of, especially the slip, in order to provoke nationalists, rationalists and the sycophants of surrealism as well within the Nouvelle Revue française’s readership. In multiplying trick puns Sartre implements an imaginary rape of common speech by slang, or conversely a dizzy oscillation of literal and figurative sense. It remains the closeness of the name of Paul Hilbert, the short story’s hero, who does not

acknowledge his homosexual inclination, to that of François-Paul Alibert, a companion of Gide’s – one of Sartre’s privileged targets?

Estelle Mouton-Rovira

Imaginer la réception. Figures de lecteurs et déplacements herméneutiques chez Éric Chevillard et Olivia Rosenthal

La mise en fiction de l’interprétation dans le récit contemporain semble remettre en question les habitudes critiques caractéristiques des études litté- raires, au profit d’une interrogation sur les enjeux de la lecture. Les textes d’Éric Chevillard et d’Olivia Rosenthal donnent à lire une véritable tension entre la satire d’une lecture programmée et la revalorisation d’une valeur ima- ginative, plus souple, de l’herméneutique, qui devient alors matériau fiction- nel autant qu’incitation à réinventer nos théories de l’interprétation. Luttant contre les réflexes critiques d’inspiration formaliste qui conditionnent l’in- terprétation des textes, les auteurs invitent leurs lecteurs à porter l’attention sur ce que peut transmettre le récit et à en valoriser la force émancipatrice.

Imagining reception. Reader figures and hermeneutic displacements in

Éric Chevillard and Olivia Rosenthal’s works

Fictionalizing interpretation within contemporary narrative seems to displace critical habits germane to literary studies towards an interrogation upon reading issues. Eric Chevillard’s and Olivia Rosenthal’s texts favor the reading of a genuine tension between the satire of a schedule dreading and the revalorization of an imaginative, more supple, value of hermeneutics, then becoming a fictional matter as well as an incentive to reinvent our theories of interpretation. Struggling against formalist-grounded critical reflexes conditioning the interpretation of texts, the authors invite their readers to pay attention to what the narrative is able to transmit and to valorize its emancipating power.

Alexander Dickow

La Nature terrassée : l’imagination créatrice dans les Méditations esthétiques d’Apollinaire

« La Nature terrassée » analyse les premiers chapitres des Méditations es- thétiques : les Peintres cubistes de Guillaume Apollinaire. Le livre d’Apolli- naire essaie tant bien que mal de rassembler des tendances contradictoires parmi les approches contemporaines du cubisme : une tendance antiratio- naliste (à travers Bergson, l’ésotérisme, la théosophie, etc.) et une tendance rationaliste (scientiste ou scientifique, kantienne, etc.). La synthèse échouée des tendances en présence témoigne d’une contradiction propre à l’époque d’Apollinaire, elle-même traversée par un rationalisme étroitement scientiste et un antirationalisme tout aussi extrême. Ces courants contradictoires se cristallisent autour du cubisme.

Nature overcome: the creative imagination in Apollinaire’s Méditations esthétiques

“Nature overcome” proposes an analysis of the first chapters of Apollinaire’s Aesthetic Meditations: The Cubist Painters. Apollinaire’s book attempts with some difficulty to gather together several contradictory trends in con- temporary approaches to Cubism : an anti-rationalist trend (through Bergson, esoteric sources, theosophy, etc.) and a rationalist trend (positivist or scien- tific, Kantian, etc.). The failure to synthesize the opposing trends manifests a contradiction peculiar to Apollinaire’s period, traversed as it is by a nar- row, scientistic rationalism as well as an extreme anti-rationalism. These contradictory epochal trends crystallize around the Cubist movement.

Jean-Patrice Courtois

Imaginer depuis le document

Le rapport essentiel de l’imagination au document est envisagé ici du point de vue d’une pratique poétique : extraction de documents qui seront ensuite entrés en poème, trajet ou geste d’imagination irréductible à toute analyse en termes de référence. L’imagination poétique produit alors, à partir de la présence des objets documentés, des trous dans la surface, des images de langage, issues des discours et de tout type de métalangage : un usage non documentaire du document. L’observateur, celui qui imagine, se manifeste dans les concomitances qu’il orchestre, irréductibles à des reconstitutions explicites ; il décrit, il fait de tout langage image, il voit le document dans le langage.

The documentary imagination

The essential link of the imagination with the document is here considered from the viewpoint of apoetical praxis : collecting documents which will be then entered into poem, a route or gesture of the imagination that cannot be reduced to any analysis in terms of reference. The poetic imagination then produces, from the presence of documented objects, gaps in the surface, images of language stemming from discourses and from any type of meta- language : a non-documentary use of the document. The observer, the one who imagines, comes forward in the concomitances irreducible to explicit reconstructions which he/she orchestrates; he/she describes, makes image from all language, sees the document within language.