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Lire, choisir, écrire : la vulgarisation des savoirs du Moyen âge à la Renaissance

Lire, choisir, écrire : la vulgarisation des savoirs du Moyen âge à la Renaissance

Publié le par Camille Esmein (Source : Violaine Giacomotto-Charra)

JOURNEES D'ETUDE :

LIRE, CHOISIR, ECRIRE :
LA VULGARISATION DES SAVOIRS DU MOYEN AGE A LA RENAISSANCE
BORDEAUX, 20 SEPTEMBRE 2007 - PARIS, 20 MARS 2008




Ces journées d'étude, dont la première aura lieu le jeudi 20 septembre à Bordeaux, ont pour but de réfléchir à la notion, complexe car multiforme, de vulgarisation, à son statut, ses réalisations et ses applications du Moyen Âge à la Renaissance.
Les perspectives sont vastes : on peut en effet s'interroger sur les formes et les genres (écrits scientifiques ou littéraires : encyclopédie, poésie, fictions et parodie du savoir), la sélection et le traitement des informations et des sources, la langue et le lexique (statut du latin et des langues vernaculaires, lexique scientifique, traduction, néologie...), sur le rôle de l'illustration et le recours à l'image, ou encore sur l'horizon d'attente, la réception et le lectorat.
Le vulgarisateur étant avant tout un lecteur, les interrogations seront donc essentiellement consacrées au traitement qu'il fait subir à ses sources. Plusieurs approches pourront ainsi être envisagées : le type de sources retenu, les procédures de sélection des informations, la mise en forme et en page de ces dernières (étude de la langue et du lexique, des procédés rhétoriques, du recours à l'image), l'adaptation de ce type d'écrit à un horizon d'attente et l'impact du lectorat sur les choix opérés.













Christine Silvi (Paris 4): christine.silvi@wanadoo.fr Violaine Giacomotto-Charra (Bordeaux 3): Violaine.Giacomotto@u-bordeaux3.fr



PROGRAMME DE LA PREMIERE JOURNEE :
JEUDI 20 SEPTEMBRE 2007 - BORDEAUX - MSHA
9H - 17H




- JOËLLE DUCOS (PARIS IV) :
L'encyclopédie entre latin et français : enjeux linguistiques ou épistémologiques ?


- VALERIE FASSEUR (PAU)
L'enseignement de saint Augustin dans le Breviari d'Amor de Matfre Ermengau


- CHRISTINE SILVI (PARIS IV) :
La revendication de la grécité dans quelques monographies d'oiseaux d'Aristote à Buffon


- JACQUELINE VONS (TOURS, CESR)
Vulgarisation et défense de la langue française dans la nomenclature anatomique : les choix de Jacques Grévin (1538-1570)


- MYRIAM MARRACHE-GOURAUD (POITIERS) :
Inventer et choisir sa licorne : le chemin d'Ambroise Paré parmi les autorités


- MARIE-LUCE DEMONET (TOURS, CESR) :
Un exemple de vulgarisation philosophique : l'analyse des facultés de l'âme


- SUSANNA LONGO (LYON 3) :
Imaginaire et connaissance des nations barbares en Italie au XVI siècle


- ROSANNA GORRIS (VERONE)
Ecrire la terre, écrire le ciel : Guy Le Fèvre de la Boderie et Peletier du Mans poètes de la terre et du ciel


- CLAUDE THOMASSET (PARIS IV) : CONCLUSIONS









RESUMES


VALERIE FASSEUR
L'enseignement de saint Augustin dans le Breviari d'Amor de Matfre Ermengau


Le Breviari d'Amor, composée vers 1288 par un clerc bitterrois, est l'unique somme en langue d'oc qui ne soit pas la traduction d'un ouvrage en latin. Cette oeuvre originale recourt pourtant abondamment au procédé de la citation, non seulement dans la partie intitulée « Perilhos tractat d'Amor de donas » où sont rassemblées 266 citations de troubadours, mais également dans les 28 000 vers plus strictement encyclopédiques : Matfre y décrit l'univers - d'abord les cieux, puis le monde sublunaire, l'homme enfin. La description du monde sublunaire s'ordonne selon la chronologie de la Création telle qu'elle est formulée dans la Genèse. Matfre s'y inspire largement du Commentaire de la Genèse contre les Manichéens de saint Augustin, dans lequel l'évêque d'Hippone avait particulièrement veillé à vulgariser son enseignement. Pourquoi Matfre privilégie-t-il certains arguments ou exemples plutôt que d'autres ? Quelles distorsions rhétoriques fait-il subir au discours augustinien afin de simplifier davantage encore l'épineuse question du mal, lui qui ne s'adresse pas à des esprits subtils ? Comment s'efforce-t-il de prolonger son exposé théorique en une expérience sensible ? Comment cette démarche s'insère-t-elle tout naturellement dans une somme ? Voici quelques-unes des orientations qui permettront de mettre en évidence la présence de l'enseignement augustinien dans l'oeuvre de Matfre.



CHRISTINE SILVI
La revendication de la grécité
dans quelques monographies d'oiseaux d'Aristote à Buffon


Cette étude, qui embrasse une diachronie large, se propose de suivre, dans quelques monographies d'oiseaux, un détail infime, la revendication de la grécité, afin de mettre en exergue quelques tentatives réussies de réécriture des textes sources dans des traités qui, bien qu'étant des compilations, savent faire le tri et adapter le discours de la tradition à des exigences et à des réalités nouvelles. Que l'appartenance de l'oiseau à l'espace grec soit indiquée par son nom – ainsi en est-il des ortygias ou cailles d'Ortygie, des Stymphalides aues ou bien encore des Diomedias aues – ou par une prédication signalant sa nationalité, comme c'est le cas du fameux merle blanc de Cyllène, il est possible de saisir les interactions
entre les signifiants utilisés pour référer aux oiseaux et le contenu des monographies qui, d'un texte à l'autre, change, ou plutôt évolue, en fonction du dessein des naturalistes, bien sûr, mais aussi, et peut être surtout, des expériences nouvelles dont les textes se doivent de porter témoignage. Le nom ou la prédication habituellement fournie s'adapte alors au contenu : c'est ainsi que le merle blanc de Cyllène, observé par Gesner en Suisse, mentionné par Belon en Savoie et en Auvergne et localisé par Buffon dans les « pays montueux » court les monts et n'est donc plus qu'un merle parmi les autres, distingué du merle noir par sa seule couleur et non plus par Cyllène, son aire d'extension un temps exclusive. Mais l'inverse est également possible et les données des monographies peuvent varier en fonction du signifiant retenu : lorsque les oiseaux de Diomède n'ont plus du héros grec que le nom, nom qui, de surcroît, devient autonyme, seulement utilisé par le naturaliste pour permettre la reconnaissance par son lecteur de l'objet du monde auquel il fait référence, les éléments de la légende sont du même coup passés à la trappe, comme l'est le lac Stymphale quand les oiseaux appelés traditionnellement Stymphalides ne sont plus mentionnés que par l'appellation commune vanelli. Ici une manipulation citationnelle, là une sélection rigoureuse des informations fournies par les hypotextes, là encore une nouvelle organisation du discours de la tradition contribuent à la construction d'un savoir, qu'à tort, on croyait figé.



JACQUELINE VONS
Vulgarisation et défense de la langue française
dans la nomenclature anatomique : les choix de Jacques Grévin (1538-1570)



En 1569, le médecin Jacques Grévin publie une traduction en français du traité anatomique l'Epitome d'André Vésale (1514-1564). L'ouvrage contient plusieurs textes adressés au lecteur, dans lesquels Grévin explique et tente de justifier les choix lexicaux qu'il a opérés dans la traduction, prenant en compte les mots populaires comme les sources savantes grecques. Cet effort de vulgarisation en direction des chirurgiens et des lecteurs ignorants du latin n'est pas exempt de polémique, en revendiquant pour le vernaculaire l'accès au statut de langue apte à exprimer des connaissances scientifiques.





MYRIAM MARRACHE-GOURAUD
Inventer et choisir sa licorne :
le chemin d'Ambroise Paré parmi les autorités



Il s'agira de montrer comment, dans le Discours de la mumie, de la licorne, des venins et de la peste (Paris 1582), Ambroise Paré organise ses lectures pour faire état de la nature et des vertus de la corne de licorne. Nous nous demanderons comment le texte met en place une confrontation des opinions, des noms, ainsi qu'une confrontation des images. Pour l'oeil et pour l'esprit de son lecteur, l'auteur choisit puis ordonne ses sources, les hiérarchise, les commente (mais pas toutes) : nous pourrons ainsi nous interroger sur la place et la hiérarchisation des références chez Paré, c'est à dire sur la « fabrique » de la controverse, et sur l'élaboration d'une pensée construite à partir de la diversité de celles des autres.



SUSANNA LONGO
Imaginaire et connaissance des nations barbares en Italie au XVIe siècle



Au XVIe siècle en Italie, la notion de « barbare » est encore largement tributaire de l'héritage antique, bien que de nouvelles formes de « barbarie » fassent leur apparition : cette notion est rarement confrontée aux découvertes géographiques et aux récits des voyageurs. Par l'étude des oeuvres de Celio Rodigino (Lectionum antiquarum libri XXX), Lilio Gregorio Giraldi (De diis gentium, De varios sepeliendi ritus) et B. Zanchi, Dictionarium poeticum et epitheta veterum poetarum, on se propose de comprendre comment les érudits italiens du Cinquecento entendent transmettre le savoir autour des peuples éloignés dans le temps et dans l'espace, peuples mythiques et historiques confondus. La question des sources et de leur exploitation touche la tradition très discutée d'Hérodote à la Renaissance.



ROSANNA GORRIS
Ecrire la terre, écrire le ciel :
Guy Le Fèvre de la Boderie et Peletier du Mans poètes de la terre et du ciel.



Dans notre communication nous aborderons deux poèmes scientifiques du ciel et de la terre : Le Cantique de la nouvelle estoile de Guy Le Fèvre de La Boderie et La Savoye de Jacques Peletier du Mans, pour voir comment les deux poètes lisent, transposent et transforment en poésie leurs sources scientifiques (les astronomes, les savants suisses de la montagne et les explorateurs des entrailles de la terre…). Nous relirons le splendide Cantique de la nouvelle estoile (1574), à la lumière de son riche intertexte (de C. Gemma à J. Munoz), un poème dans lequel poésie et prophétie, astronomie et christocentrisme, oracles et tensions apocalyptiques s'allient pour composer cet hymne magnifique à l'amour et à la paix qui célèbre le retour du Christ intra nos. Histoire d'étoiles, histoire de signes du ciel, ce poème étincelant de lumière révèle et recèle dans ses mots étoilés, les zodiaques de la vie humaine, les espoirs et les peurs de catholiques, protestants, familistes et néo-stoïciens qui, les yeux au ciel, ad sidera vultus, espèrent en une renovatio mundi ramenant sur terre la paix et l'âge d'or qui semblent s'éloigner inexorablement.
Mythe jamais brisé par les explorations scientifiques ou acrobatiques, la montagne garde, en littérature, à travers des phases différentes, au fil des siècles, une dimension magique, mystérieuse que les hommes de science - comme Peletier du Mans, médecin et mathématicien mais aussi explorateur du Mundus subterraneus, qui lit et exploite, dans sa Savoye (1572), les théoriciens de la montagne suisses, médecins et zoologues, apothicaires et cartographes (de Gesner à Simler) - veulent éclairer. Le docte Peletier dans ses vers consacrés aux villes, aux eaux , aux plantes et aux animaux du Pays qui l'a accueilli ou abrité en 1569, sait donner au paysage alpestre de Savoie un charme austère mais nouveau. Les sommets enneigés sous la plume du poète de l'Amour des amours se transforment en monts-clochers à la « teste pointue », en monts-nuages qui se dressent dans l'azur du ciel : « Ces Alpes chenues/A l'oeil lointain ont semblance de nue ». Peletier n'hésite pas à critiquer l'homme qui viole la montagne pour déchirer l'or de son ventre, les minéraux. Nouvel Orphée, le poète enchante la nature, les plantes, les animaux, les rochers de Savoie et il évoque les « désirs ardents des hommes” qui les poussent, nouveaux Icare, plus loin que les oiseaux et il leur demande de respecter ces fiers géants. Peletier, hanté par ce paysage majestueux qui l'entoure, sur les traces de l'Ulysse de Dante qui a fait « de virtude e conoscenza » (XXVI ) les buts de son nostos : Sur toute chose, écrit Peletier « le docte [qui] a vagué comme Ulysse », « en ta mémoire attache /Le ferme coeur de ce Prince d'Itache », semble vouloir pénétrer le secret de ces montagnes. Non seulement il re-crée dans son poème scientifique l'univers sauvage, « maudit » (premier nom du Mont Blanc, c'est François de Sales qui l'appellera ainsi dans sa correspondance) de ces lieux pour en trouver le charme mais, dans un mouvement « en avant », poussé par son « envie de connaître », le poète voudrait « ouvrir les montagnes », découvrir “ce qu'en ces Mons estoit clos et couvert », leur élan, leur force vitale et fécondante, ce que P. Giacomoni a défini ainsi : « Il grande corpo della madre terra ». Fleurs, plantes, minéraux, pierres précieuses, cristaux, eaux, semblent défiler dans une sorte de cortège d'Orphée et ouvrir leurs secrets au poète, astronome et mathématicien qui, dans ce lieu, a trouvé non seulement le bonheur que sa patrie ensanglantée lui refuse mais la paix. La montagne est le soutien, le squelette qui contient une matière qui vit et qui subit de continuelles métamorphoses. Une matière vitale, précieuse que l'homme doit respecter et ne pas violer. Le poète y condamne « l'effort cruel des hommes qui les sapent / Pour arracher l'or au ventre caché ». La montagne de Peletier est une montagne qui comme ses eaux vit, bouge, tremble, inonde, détruit même hommes et villages, mais où la dimension sereine, paisible, triomphe. Le vert se substitue aux couleurs du feu et à l'action dévastatrice de l'eau et de la neige, bleue et froide, la montagne devient lieu de merveille et de découverte continue. Elle est un précieux témoignage pour connaître le monde dans sa forme spirituelle et, dit-il, « la Nature se delecte à se faire chercher » (Louange de la science) dans les lieux les plus secrets et sauvages. De l'étonnement à la découverte, le mouvement que le poète suit est le mouvement, l'élan d'une connaissance sans fin qui l'enivre du plaisir de la découverte. Peletier, esprit ordonnateur (expert en mathématiques et en géométrie) semble pénétrer les secrets de la montagne, « le haut savoir que la Nature conserve » caché dans ces archives ou entrailles de la terre pour s'approcher dans un mouvement qui n'est pas circulaire mais vertical, ascendant et infini. Peletier est conscient des facettes innombrables de la montagne et son pessimisme reste (« Que saurais de toi, duquel je suis si peu »), mais ce scepticisme est d'autre part le moteur de ce processus de connaissance qui le conduit très loin et très haut. Son parcours est un itinéraire scientifique où il classe, il analyse, il regroupe mais aussi une ascension, une sorte d'élévation vers le supra-humain, vers ce ciel qui tout gouverne (cf. Ode à Marguerite in L'Amour des Amours) et qui le mène droit « au Ciel, m'élève et me convoie ».
Ce « frère d'Ulysse » par la description des merveilles de la montagne et de son âme fonce en avant et monte très en haut. Il aspire au suprême mais il est lui aussi conscient, comme Pétrarque et comme Marguerite des dangers de ce défi suprême. Victime ou héros de ces

Ardens desirs que les hommes affolent
D'aller plus haut que les oiseux ne volent

Nous aborderons donc ces univers poétiques, céleste, terrestre et souterrain, pour démontrer la diversité de l'approche scientifique et poétique de ces deux poètes des secrets de la nature, pour mettre en évidence les affinités de leur démarche mais aussi leur indéniable originalité.